Touristes raconte la sanglante épopée d’un couple de serial-killer en vacances dans la campagne anglaise. C’est un bon début pour un drame, et c’est pourtant une féroce comédie…
Il y a un chien dans le film, donc c’est drôle (rires). Plus sérieusement, c’est vrai qu’on aurait pu rendre l’histoire totalement dépressive avec ce postulat de personnes qui pètent les plombs, mais le but a toujours été d’en faire une comédie.
Dans Touristes, les personnages principaux sont des meurtriers. Comment les percevez-vous : comme des monstres ou des citoyens lambdas devenus fous ?
Je ne les vois pas comme des gens monstrueux, ce qu’ils font l’est, mais ils ne sont pas horribles à la base. Ils sont juste très extrêmes. Toute la société est basée sur le respect des conventions et des lois. Les gens ne se frappent pas parce qu’ils ont peur d’être attrapés ou d’être jetés en prison. Mais quand une guerre civile se déclenche, les gens deviennent fous parce qu’ils ont désormais la possibilité de tuer, de blesser ou de voler et surtout de ne pas être pris. C’est une question intéressante. Je peux comprendre les personnages du film parce qu’il m’arrive très souvent d’être en colère contre des gens. Mais je ne leur fait jamais de mal parce que j’ai intériorisé ces limites de société. Ce qu’ils font est mal, mais ils se permettent d’envoyer valser les contraintes et de céder à l’anarchie. De premier abord ils sont parfaitement normaux, et en réalité ils sont totalement radicaux.
Et paradoxalement on s’attache à eux…
Oui, parce que ce sont des êtres humains. On a fait en sorte qu’ils soient crédibles, avec les pieds sur terre. C’est très important au cinéma que les personnages semblent vraiment exister. Il ne faut pas qu’on ait l’impression qu’ils sortent tout juste d’un scénario, ou qu’on sente que la voix de l’auteur est trop forte, ou alors ils deviennent juste des morceaux d’informations et on ne s’attache pas à eux.
Steve Oram et Alice Lowe © Wild Side Films / Le Pacte
Avez-vous été influencé par certains films ? On pense notamment à Tueurs nés...
Pas vraiment, on a plutôt regardé Grey Gardens mais surtout pour des questions de plans, sur la façon d’obtenir un angle réaliste. J’ai aussi regardé un peu La Balade sauvage. C’est toujours dangereux de regarder des films qui ont des points communs avec celui que vous êtes en train de faire, je ne vois pas ce qui pourrait en ressortir de bon. Ça peut juste mener à refaire la même chose. Par contre, ça peut être bénéfique si c’est pour s’assurer qu’on n’est pas en train de reproduire de façon non intentionnelle certains aspects d’une autre œuvre.
Comment avez-vous rencontré Alice Lowe et Steve Oram, à la fois scénaristes et comédiens principaux du film ?
J’avais travaillé avec Alice et Steve sur d’autres projets à la télévision anglaise. Je les connais depuis quelques années et je savais qu’ils avaient réalisé un court métrage sur l’idée de Touristes et dès que j’ai su qu’ils voulaient en faire un film, j’ai tout de suite manifesté mon intérêt.
Tout est donc parti d’un court-métrage ?
Non, à la base c’était un sketch dans leur spectacle de stand-up. Alice et Steve jouaient ces personnages pendant 3 minutes devant un petit public dans un sous-sol ou dans un pub, et c’est ensuite qu’ils en ont fait un court-métrage de 20 minutes.
Alice Lowe © Wild Side Films / Le Pacte
Les personnages ont beaucoup évolué du spectacle au film ?
Oui, pour la bonne et simple raison qu’ils ont été créés il y a cinq ans, et entre temps, Alice et Steve ont vieilli et évolué. Il a aussi fallu énormément étoffer l’idée, puisque ce qui fonctionnait sur de très courts formats ne pouvait pas tenir la distance dans un film de 90 minutes.
Qu’est ce qui a fait de vous le réalisateur idéal pour adapter ce projet ?
C’est mon genre d’humour, c’est ce que j’aime. J’étais le candidat parfait parce que je ne suis pas du genre à réaliser une comédie mignonne et sympathique sur un groupe de charmants trentenaires. Mais des trentenaires qui deviennent des meurtriers, ça me parle !
Qu’est ce qui fait selon-vous que l’on soit plus ou moins sensible à l’humour noir ? C’est une question d’éducation ? De nationalité ?
Non, c’est la façon qu’on a de voir la vie. J’envisage la vie comme une farce, je suis du genre à voir le verre à moitié vide. Je suis attiré par le côté sombre des choses. Ce n’est pas une question de nationalité. Les films de Jean-Luc Godard et de Jean-Pierre Melville ont aussi cet humour noir selon moi. Je ne crois pas au cliché qui veut que certains pays aient le sens de l’humour et pas d’autres. On parle beaucoup du succès des comédies anglaises. Mais ça a plus à voir avec le fait que la langue anglaise est accessible qu’avec l'idée qu’on soit particulièrement bons pour la comédie. Il y a sûrement une comédie grecque géniale, mais je ne la verrai jamais car ça ne sera jamais traduit ou diffusé en Angleterre. Les autres comédies noires que je connais sont canadiennes, américaines, australiennes, mais c’est parce qu’elles sont toutes en anglais. Il ne faut pas analyser les choses autrement.
© Wild Side Films / Le Pacte
L’idée ayant été d’abord développée dans le cadre d’un spectacle comique, y a-t-il eu beaucoup d’improvisation durant le tournage ?
Oui, et c’était l’une des raisons qui m’a poussée à faire le film. Alice et Steve sont extrêmement talentueux en matière d’impro et surtout, ce sont eux qui ont écrit le scénario. Le problème de l’improvisation, c’est qu’on peut le demander aux acteurs, qu’ils peuvent s’en tirer très bien et proposer des choses extra mais qui seront hors-sujet par rapport au propos du film. Et ce n’est pas de leur faute, c’est au réalisateur de recadrer ça car il maîtrise l’histoire dans son ensemble. Mais quand les scénaristes sont eux-mêmes les acteurs principaux, comme c’est le cas sur Touristes, alors l’improvisation est un plus car ils savent ce qui pourra être intégré à l’histoire dans son ensemble.
Edgar Wright ("Shaun of the dead", "Hot Fuzz", "Scott Pilgrim") est producteur de "Touristes" et on a vraiment l’impression qu’il est devenu incontournable dans le monde de la comédie anglaise…
Vous savez, il n’y a pas tant que ça de gens qui font des films en Angleterre (rires). Edgar est ami avec Alice, qui jouait d’ailleurs dans Hot Fuzz. Ça faisait longtemps que j’avais envie de faire partie de ce groupe parce que je partageais leur humour. Pendant longtemps, j’ai travaillé dans mon coin, je ne connaissais pas d’autres réalisateurs et ce n’est d’ailleurs que très récemment que j’ai été pour la première fois sur le tournage d’un film réalisé par un autre que moi.
Il y a certaines scènes bien gores dans le film, comment avez-vous créé les crânes défoncés par exemple ?
C’est un prothésiste du nom de Dan Martin qui s’est chargé de créer tous ces artifices. (NDLR : Il a travaillé entre autres sur Batman Begins et Wolfman) Certains effets ont aussi été obtenus par ordinateur. Pour la scène où l’on voit le gars explosé par terre, on a juste creusé un trou où il a plongé sa vraie tête et on l’a recouvert d’une prothèse ensanglantée. On a dû pas mal ruser, parce que je l’ignorais, mais les mannequins en plastique coûtent très cher et il fallait s’en passer.
© Wild Side Films / Le Pacte
La campagne anglaise joue un rôle primordial dans le film, on sent qu’une vraie attention a été portée aux décors naturels ce qui est assez rare dans les comédies actuelles…
Oui, j’entends souvent des gens qui disent que la comédie ne fonctionne pas dans la nature et je ne suis pas du tout d’accord. Allez dire ça à Jacques Tati ou même Charles Chaplin. On voulait vraiment que la nature soit un personnage à part entière, qu’on voit les personnages évoluer dans de grandes étendues et non pas juste avoir des plans serrés sur des visages. Je voulais explorer l’Angleterre. Et on a découvert des paysages absolument magnifiques, qu’on a vraiment essayé d’exploiter au maximum.
La bande annonce :
Touristes
Propos recueillis à Cannes par Maud Lorgeray et Sebastien Olland