En partenariat avec AlloCiné, le Forum des Images organise chaque mois un débat pas comme les autres - Les Ciné-débats de la Sorbonne - qui permet à des étudiants passionnés de cinéma de rencontrer des artistes, en l’occurrence ici des techniciens du cinéma dont le travail est souvent ignoré du grand public (costumier, monteur, musicien, décorateur…). Ces rencontres permettent de faire un peu plus la lumière sur ces techniciens de l’ombre, et de voir ou de revoir des extraits de films sur grand écran. Le 20 octobre dernier, c’est Hervé de Luze qui était présent pour nous faire part de son expérience de monteur, de ses anecdotes, de ses points de vue sur le cinéma d’aujourd’hui et pour essayer de nous éclairer sur son métier en répondant à la question : le monteur, collaborateur ou créateur ?
Le montage, une seconde écriture...
Césarisé trois fois (pour On connaît la chanson d’Alain Resnais, Ne le dis à personne de Guillaume Canet, The Ghost Writer de Roman Polanski) et nommé à l’Oscar du meilleur montage pour Le Pianiste en 2002, Hervé de Luze a sa définition propre du montage : il s’agit d’une seconde écriture, le montage nous fait ressentir le passage du temps et de la construction de l’intrigue. Ayant travaillé avec des réalisateurs tels que Maurice Pialat, Alain Resnais, Claude Berri, Bruno Podalydès ou encore Claude Zidi, ce monteur soutient logiquement que chaque cinéaste a son propre rapport avec le montage et le monteur. Il n’y a pas de recette prédéfinie. Pour un même scénario, le film final ne sera jamais le même, tout dépend du réalisateur et du montage. « Pour prendre en charge un film, il faut garder une ligne artistique dure et droite », déclare-t-il. Cette ligne est en effet le souci principal : la ligne narratrice, conductrice, rythmique et spatiale est celle que le monteur doit maintenir voire construire. Il y a donc une part créatrice qui peut poser la question : un film peut-il être une oeuvre de monteur et pas seulement de réalisateur ? Une co-réalisation de monteur ? Le monteur doit avoir une initiative, mais c’est également un métier qui marche à l’instinct : « Je ne saurais pas dire pourquoi ça marche. Je vois quand deux plans collent bien. Il y a plusieurs solutions certes, mais il n’y en qu’une qui est bonne », nous confie-t-il.
Tout est affaire d'échange...
Après trente années de collaboration, ce qu’il pense de Polanski ? « C’est un vrai artiste, un cinéaste du détail, de la précision qui possède également une acuité incroyable concernant les sons et les images. Il sait, et il nous montre que tous les éléments peuvent créer une forme de suspense : la musique, le jeu des acteurs, l’espace, la lumière et tant d’autres. » C’est d’ailleurs Roman (comme il l’appelle maintenant) qui a lancé sa carrière en lui proposant de monter Tess - son monteur initial partait en vacances - en 1979, et qui l’a recommandé à Claude Berri pour Tchao pantin. Son travail de monteur est alors reconnu et lui permet de travailler avec les plus grands. Hervé de Luze, collaborateur ou créateur, pose également la question du statut du monteur : « Si un film est mauvais, ce sera toujours la faute du monteur, alors que s’il est bon ce sera grâce au réalisateur. » Cet homme passionné explique aussi qu’il faut écarter l’égo et la position qu’on donne à ce genre de rôle puisque dans le cinéma, tout est affaire d’échange, et c’est encore mieux s’il y a conflit (modéré) entre le réalisateur et le monteur pour faire naître un film qu’on ne croyait pas voir initialement. Alors simple collaborateur ou co-auteur ? On comprendra que tout est question de passion, de choix et qu’Hervé de Luze n’est pas moins artiste que… Polanski.
Yoni Nahum