En guise d'introduction, Vincent Rottiers répond à notre questionnaire "Jeunes comédiens"...
En 2010, Anaïs Demoustier, jeune actrice en vue, a donné la réplique à Juliette Binoche. Elle a aussi travaillé avec la troupe de comédiens chevronnés de Guédiguian. Et pourtant, quand on lui demande quel est son souvenir le plus marquant de l’année, elle répond sans hésiter : "Le tournage de L'Hiver dernier, avec Vincent Rottiers, un jeune acteur démentiel". Cela fait près de 10 ans que ce "jeune espoir" bluffe les acteurs et réalisateurs qui l’ont côtoyé, et cela faisait un petit moment qu’on voulait l’approcher. Après avoir essuyé quelques refus (le garçon n’est pas fan des interviews, même s'il commence à y prendre goût), on le rencontre à l’occasion de la sortie de Avant l'aube, thriller social à la tension toute chabrolienne.
extrait de Avant l'aube, en salles actuellement
Quand on le voit à l’écran tenir tête à Jean-Pierre Bacri, ennemi comme lui du sourire forcé et de la bonne humeur obligatoire, on se dit que ces deux-là se sont bien trouvés. "C’est vrai, Raphaël (Jacoulot, le réalisateur) aussi est assez introverti. Au début, c’était pas la grosse banane, mais plus ça allait, plus on était à l’aise, on restait ensemble entre les prises, à fumer notre clope… ". Le Frédéric qu’il incarne dans le film est un jeune en réinsertion, un garçon un peu paumé, en recherche de père et de repères, qui observe tout et tous avec son regard bleu perçant, mais parle peu. "Certains disent que c’est plus dur de jouer une scène sans parler. Mais je n’ai pas l’impression… Je dirais même que c’est peut-être plus difficile de parler que de ne pas parler". Ces rôles de taiseux à la rage contenue, il les connaît bien. "On m’a fait faire ça souvent. J’aimerais bien jouer dans une grosse comédie pour changer, et pour voir si j’en suis capable."
Vincent Rottiers nous parle de Avant l'aube
En épluchant sa filmo (une vingtaine de titres, il n’a que 25 ans), on trouve tout de même une "grosse comédie", L'Île aux trésors avec Jugnot et Rouve. "C’était un peu les vacances, six semaines en Thailande…" Avec malgré tout un souvenir poisseux : "Pour une scène, ils m'ont mis la tête dans du poisson pourri. Au début, j’ai refusé. Mais ils voulaient absolument que je le fasse. Après, le chef-op m'a demandé : « Mais pourquoi tu l'as fait ? » Je sais pourquoi je l’ai fait : il y a la pression, tout le monde autour… Alors soit tu t'énerves et tu t'en vas, soit tu le fais et tu te tais." Il revendique son côté bon petit soldat : "Je suis l'acteur, donc je fais ce qu'on me demande. Je n'aime pas parler des heures avec le réalisateur. C'est son film, donc je me dis qu'il sait ce qu'il fait."
De toute façon, Vincent Rottiers n’aime pas tricher, lui qui a aimé tourner dans le froid pour les besoins d’Avant l'aube. "Mes lèvres gercées à la fin du film, c’est pas du maquillage." Pas du genre à prendre la pose en théorisant sur "la mise en danger de l’acteur", il confesse juste une exigence d’authenticité quasi-maladive. Sur le tournage de Mon ange en 2004, il a tenu à "pleurer vraiment", comme indiqué sur le scénario. Vanessa Paradis, sa partenaire, "simple, généreuse", lui a alors lancé un bienveillant : "Vincent, c’est que du cinéma". Il explique aujourd'hui : "Je sais qu’on peut jouer ça, faire des fausses larmes. Mais ça se sent à l’image. La caméra, elle le voit. Aujourd’hui j’ai une approche un peu moins radicale, mais pour moi, il faut toujours essayer de se rapprocher le plus possible de la réalité. Et c’est ça qui est le plus difficile. »
Avec Vanessa Paradis dans Mon ange
Cette recherche éperdue de vérité, elle lui vient de son tout premier tournage, Les Diables, l'histoire de deux gosses abandonnés et fugueurs, suivis par la caméra aimante de Christophe Ruggia, une rencontre décisive. "Avant, je pensais que le cinema, c'était ce qu'on voit dans les magazines : les paillettes, l’argent... Si je n’avais pas fait Les Diables, je n’aurais pas eu cette notion de travail, j'aurais peut-être tourné un ou deux films merdiques et on n'aurait plus entendu parler de moi. Christophe m’a donné une rigueur. Avec sa sœur Véronique, ils nous ont coachés pendant quatre mois, Adèle Haenel [vue depuis dans Naissance des pieuvres] et moi. Tous les mercredis et pendant les vacances scolaires, on avait rendez vous dans un théâtre, pour des petits exercices, des jeux d’Actor’s studio. » Un premier tournage tellement intense qu’il a bien failli être le dernier : "J’étais vidé : jouer tout le temps des scènes de folie, dans les larmes… J’ai eu envie de tout arrêter. Heureusement qu'un tournage c'est pas comme ça tout le temps." Il s’empresse d’ajouter : "Mais parfois t'as envie que ce soit comme ca..." Une phrase murmurée qui laisse entrevoir des fêlures, mais aussi l'envie de ne pas s'épancher.
Avec Adèle Haenel dans Les Diables
Vincent Rottiers est trop accro à l’adrénaline pour s’immerger dans une longue aventure sur les planches ("On me l’a proposé mais je crois que ça me saoulerait de faire la même chose tous les soirs pendant trois mois"), même si, pour ce gamin de la banlieue parisienne, tout a commencé par un spectacle au collège : "En 4e, on a été choisis avec une copine pour jouer les rôles principaux d’une pièce de théâtre. Ensuite elle a joué dans un téléfilm, du coup ça a fait tilt dans ma tête. Son agent m'a fait faire des castings, qui n'ont pas marché. Au bout d'un an, je me suis dit que c’était pas pour moi, je me suis lancé dans le montage video, et c'est là que Christel Baras [directrice de casting sur Les Diables] m'a repéré." Lucide, il sait que tout peut encore s’arrêter, mais ne manque pas de solutions de repli, même les plus inattendues ("organiser des soirées, faire des brocantes, être moniteur de plongée…"). Et le cinéma n’est pas sa seule passion. "Je rappe un peu, je fais des petits instrus maison, mais c’est un hobby, pas pour faire de l’argent."
Bande-annonce du Passager (Dvd disponible chez Diaphana)
Dix ans après Les Diables, il vient de retrouver Christophe Ruggia pour Dans la tourmente, un polar social. "C’était un peu bizarre de se retrouver, pour lui comme pour moi. C’était plus carré, je n'avais plus dix minutes de préparation avant chaque scène." Les rôles principaux sont tenus par Clovis Cornillac et Yvan Attal, qui partagent avec lui un goût pour les personnages physiques. Marqué par Bronson, ce portrait d'un taulard frondeur incarné par le massif Tom Hardy ("les bonnes patates !"), et avant ça par le Scarface de Brian De Palma (« s’il cherche quelqu’un pour tourner un Scarface 2...", rigole-t-il), il a tourné cette année dans un film belge intitulé Montana, en référence au légendaire gangster. Dans cette histoire de voyous, il a pour compagnon de jeu Reda Kateb, révélé dans Un prophète, et qu’il a déjà pu croiser sur le plateau de Qu'un seul tienne et les autres suivront, autre film de prison.
extrait de Qu'un seul tienne et les autres suivront (Dvd disponible chez France Télévisions Distribution)
Hasard des tournages, il a aussi collaboré dernièrement avec Tahar Rahim, héros de Love and bruises, que le Chinois Lou Ye a réalisé, "un peu à l’arrache", à Paris, et qu'on découvrira sans doute à Cannes. "Avec Tahar et Jalil Lespert, on forme dans le film une bande de potes d’enfance. Et puis une femme venue d’Asie tombe amoureuse de Tahar, ce qui va un peu casser notre relation d’amitié". Pas impossible que la route de Vincent Rottiers croise un jour celle de Jacques Audiard. Le réalisateur d'Un prophète a même failli le diriger dans Je suis heureux que ma mère soit vivante, un projet finalement repris par Claude Miller et son fils Nathan. Encore une histoire d’enfance blessée, encore un personnage aux allures de bombe à retardement. Et encore une nomination au César du Meilleur espoir -la première, c’était pour Le Passager d’Eric Caravaca, en 2007. Mais, malgré une prestation remarquée la même année dans A l'origine, ça n’a pas encore été son tour. On imagine que ça ne le tracasse pas plus que ça. Et on se dit que l’explosion ne saurait tarder.
Julien Dokhan
extrait de Je suis heureux que ma mère soit vivante (DVD disponible chez Metropolitan)