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    Film israélien déprogrammé : le point sur la polémique

    Une vive polémique a éclaté suite à l'annonce par le réseau de salles Utopia de la déprogrammation du film israélien "A cinq heures de Paris", qui sort le 23 juin. Alors que les esprits semblent s'être apaisés, AlloCiné fait le point.

    Qu'est-ce que le réseau Utopia ?

    Créé à Avignon en 1976 par Anne-Marie Faucon et Michel Malacarnet, le réseau de cinéma Utopia s'est depuis implanté dans sept villes à travers la France. Classé meilleur réseau art et essai par le Centre national du cinéma depuis des années, il accueille en moyenne 1,5 million spectateurs par an, ce qui lui permet d’obtenir, chose rare pour ce milieu, des bénéfices réguliers. Reconnu pour son engagement, il met en place une politique régulière de débats entre spectateurs et personnalités du cinéma. Le réseau Utopia diffuse aussi une gazette mensuelle du même nom dans laquelle sont présentés films et débats à venir.

    Ce qui a déclenché la polémique

    C’est au moment du bouclage de l'édition de juin de la gazette Utopia que la flottille humanitaire « Free Gaza » subit un assaut meurtrier de l’armée israélienne. Alors qu’ils voulaient d’abord mettre en avant le film A 5 heures de Paris (photo ci-dessous) comme une « jolie comédie douce-amère » (les citations de ce paragraphe sont issues de la lettre envoyée par Utopia en réponse au Ministre Frédéric Mitterrand), ils jugent déplacé, pour « des raisons morales », en tant que "citoyens", d’écrire dans ce contexte « des choses douces et légères sur un film qui donne une si paisible image d'Israël ». Ils décident alors, à la surprise générale, de déprogrammer le film dans deux de leurs salles.

    Crainte d’ouvrir la boite de Pandore

    Les critiques affluent et les communiqués tombent, notamment de la part du Ministre de la Culture Fréderic Mitterrand, qui fait part « de son incompréhension et de (sa) désapprobation à l'égard de cette décision(…) d'autant plus navrante et incompréhensible que le nouveau cinéma israélien a toujours posé un regard lucide et critique sur le conflit israélo-palestinien et n'a jamais éludé ce débat ». Le Maire de Paris Bertrand Delanöé demande également aux programmateurs de revenir sur leur décision : « il est à la fois absurde, injuste et contre-productif de s'en prendre aux créateurs pour condamner l'action d'un gouvernement » juge-t-il dans un communiqué.

    Cette fronde dénonce un « boycott dangereux », et craint qu'« associer un cinéaste à un État que l’on juge coupable » ne soit néfaste à la condition d'artiste et, potentiellement source de dérives envers d’autres films au simple prétexte qu’ils sont en partie financés par des fonds publics de pays en conflits (comme les États-Unis, la Chine, ou encore la Thaïlande et sa récente Palme d'Or). Et le débat de prendre alors de l’ampleur sur Internet : « Ce boycott qui assimile des citoyens à leur gouvernement est d'abord stigmatisant alerte notamment Amos Schupak de Rue89.

    Les associations artistiques se font également entendre, s’insurgeant d’une seule voix contre cette déprogrammation. Parmi celles-ci, l'ARP (Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs) juge qu'en "voulant dénoncer la politique d'un pays, Utopia se contente de faire un raccourci des plus regrettables et des plus dangereux".

    Un réalisateur hollandais se retire…puis se rétracte

    La polémique prend une nouvelle tournure quelques jours plus tard, quand le réalisateur hollandais Ludi Boeken, choqué lui aussi de cette décision, demande, comme « acte de solidarité » le retrait des salles Utopia de son film Marga (photo ci-dessous), en salles cette semaine, qui raconte l’histoire de Justes allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le réalisateur, en accord avec sa maison de production Acajou Films , écrit alors au réseau controversé pour lui faire part de sa décision. Il explique qu'il juge la déprogrammation du film de Leonid Prudovsky "incompréhensible" tout en saluant le travail du réseau Utopia, « qui défend avec ardeur les cinéastes du monde entier".

    Suite à ce courrier, Utopia rédige un nouveau communiqué, à deux voix, où est annoncé le retrait de la demande de Ludi Boeken, malgré les désaccords persistants sur la démarche : « La déprogrammation du film A 5 heures de Paris s'est faite dans un contexte très précis, au dernier moment du bouclage de la gazette d'Utopia, alors qu'on apprenait l'attaque (…)" Le communiqué se veut précis : "il nous a semblé, citoyens de base, animateurs d'un cinéma, que le seul moyen pacifiste et visible qui était à notre portée pour attirer l'attention et dire notre désapprobation était la déprogrammation d'un film, là par hasard, produit avec l'aide de l'organe de production officiel d'Israël. Ce que le réalisateur de Marga nous a appris, c'est que la droite et l'extrême droite israélienne s'attaquent à ce fond et contestent la trop grande liberté d'expression des réalisateurs. Il est probable que la connaissance de cet état de fait aurait pu influer sur notre décision... » déclare alors Utopia.

    Vers la fin de la polémique ?

    Rappelons ici que des débats similaires ont également agité le monde de la musique où, à la suite de l'attaque de la flottille humanitaire "Free Gaza", certains artistes tels que Gorillaz, les Pixies ou encore les anglais de The Klaxons avaient décidé d'annuler leur venue en Israël en signe de protestation.

    Devant le tollé généralisé, Utopia confesse avoir agi maladroitement et dans l’urgence et reconnaît une « incertitude » quant au bien-fondé de son action. Mais il rappelle que le point de départ de sa position était « un appel à la prise en compte de cette souffrance que nous partageons avec beaucoup », et Anne-Marie Faucon, co-directrice, ne regrette pas « cette déprogrammation dans la mesure où, pour la première fois, le message est largement passé (…). » Elle précise alors ce message : « Ceci étant dit, il est bien évident que notre intention n'était nullement de boycotter ou de censurer le cinéma israélien et les cinéastes israéliens en général, pas plus que A 5 heures de Paris et son réalisateur en particulier.»

    Après plusieurs informations contradictoires, ils maintiennent pourtant temporairement ce retrait, avant d’assurer que le film sera finalement déplacé de quelques semaines, une fois « le geste symbolique » entendu. Il sera alors accompagné de débats auxquels ont déjà répondu favorablement certains réalisateurs israéliens, « sur le sens de la création, de la production et sur l'implication des œuvres culturelles dans notre vie collective ». Leonid Prudovsky (photo ci-dessus) y a d’ailleurs été invité.

    « Échaudés par la déformation et les raccourcis pratiqués par la presse sur nos propos, nous avons décidé de ne plus répondre oralement à des interviews », nous a confié le programmateur du réseau Utopia Patrick Troudet, qui ne souhaite pas raviver cette polémique, exacerbée par des enjeux plus larges que ceux auxquels le réseau fait face habituellement. Utopia aura en tout cas alimenté un débat nourri et offert par la même occasion un coup de projecteur inattendu sur un film qui sortira le 23 juin, dans 80 salles.

    Adrien Ribstein-Moreau

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