AlloCiné Séries : Lors du festival de Monte-Carlo, il avait été dit que l’équipe devait signer pour trois saisons supplémentaires (la troisième saison en faisant donc partie), qu’en est-il aujourd’hui ?
Grégory Fitoussi (Pierre Clément) : C’est moi qui ait dit cette connerie (rires) ! Mais c’est une bêtise ! Je n’aurai pas dû dire ça, c’était prématuré d’annoncer autant de saisons à l’avance.
Caroline Proust (Laure Berthaud) : Il y a la saison 4 qui se prépare, ça c’est certain ! Mais, on ne sait pas pour le reste…
Anne Landois (Scénariste) : Effectivement, je suis en train d’écrire la saison 4, mais par contre pour les saisons suivantes, je ne sais pas du tout ce qu’il en est.
Avez-vous prévu des intrigues qui commenceraient dans la saison 3 et qui se continueraient dans la saison 4 ?
Anne Landois : Non, pas du tout. En réalité, dans la saison 3, il y aura deux intrigues parallèles "feuilletonnantes", c’est-à-dire qu’il y aura très peu d’intrigues bouclées par épisode, contrairement à la saison 2. Dans la saison 3, on a une histoire policière et une histoire judiciaire qui concerne le juge d’instruction, toutes les deux sur 12 épisodes.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur les intrigues de cette nouvelle saison ?
Caroline Proust : C’est toujours un petit peu compliqué de parler de ça sans révéler les choses. On va commencer comme les saison 1 et 2 sur un cadavre que l’on va se disputer avec le commissaire de la criminelle. Mais nous allons finalement obtenir l’affaire et, en déballant le cadavre, parce qu’il est dans une bâche,
nous allons nous rendre compte assez rapidement que le mode opératoire est quand même sérieusement étrange et fait par un individu clairement dérangé, ce qui laisse donc craindre des récidives. On va donc commencer l’enquête là-dessus. Puis effectivement, il y aura un deuxième cadavre qui va être trouvé, avec le même mode opératoire. Et là on va se dire qu’on a à faire à quelqu’un qui signe ses meurtres, donc un tueur en série. Voilà, ça va être le fil rouge de la saison 3, avec forcément la présence de la criminelle. Et puis d’un autre côté, il y a le juge Roban (Philippe Duclos) qui va aussi se trouver pris dans un engrenage, entre une affaire qu’il aura à résoudre, qui va avoir des répercutions sur nous, et notre affaire de proxénétisme sur laquelle on est également. Tout ça va donc s’imbriquer sur le principe d’engrenage.
Que pouvez-vous nous dire sur les évolutions de vos personnages, pour la saison 3 ?
Caroline Proust : Ça commence très, très mal pour mon personnage, parce que Laure sort d’une histoire d’amour bafouée et donc elle ne va pas bien du tout. Elle s’implique à fond dans son travail… Et en plus de cela, elle a toutes les bêtises qui ont été faites, enfin LA grosse bêtise avec l’affaire Larbi et l’autre qui a pris le flingue, qui fait qu’elle va se retrouver à devoir faire ses preuves et à devoir être irréprochable, ce qui est toujours compliqué quand on fait un métier comme celui-là. Voilà à peu près le parcours de Laure… il va aussi y avoir des histoires d’amour qui vont arriver par la suite.
Grégory Fitoussi : En ce qui concerne l’évolution de mon personnage, Pierre Clément, c’est une suite assez logique des précédentes saisons, où il arrive un peu au bout de ses désillusions face à la réalité de son métier et il décide de changer radicalement de voie. Il ne supporte plus le mode de fonctionnement de la justice et de la hiérarchie, comme on pourra le voir dans les deux premiers épisodes. Il va donc décider de devenir avocat, ce qui est un choix assez radical, quand on est magistrat.
Caroline Proust : Un choix surprenant !
Grégory Fitoussi : Surprenant et en même temps somme toute assez logique ! Mais assez radical en tout cas.
Mais un avocat qui va continuer à suivre la loi ou qui va comme, Joséphine Karlsson, s’en défaire un peu ?
Grégory Fitoussi : Qui va forcément suivre la loi, c’est cela qui est intéressant :
on garde le même personnage, mais on l’emmène ailleurs, avec un autre angle. Il va donc continuer à respecter la loi, mais il va en tout cas changer dans le sens où il va s’associer avec Joséphine Karlsson (Audrey Fleurot), en sachant très bien qui elle est et comment elle travaille, comment elle fonctionne. Je suis convaincu que c’est quelqu’un d’intelligent, qui a une vision très lucide de qui il est et de comment les choses fonctionnent. Il va apprendre à essayer d’être un peu plus mordant et un peu moins naïf.
Parce qu’on pourrait le décrire comme une sorte de chevalier blanc qui croit en la vertu de la loi, etc. et on a un peu envie qu’il sorte de cela…
Grégory Fitoussi : Mais c’est le cas. C’est quelqu’un qui est droit et qui tient à garder une ligne directrice très droite dans son métier, mais…
Caroline Proust : Mais quand on essaie d’être droit… par exemple pour Laure, c’est la même chose, par rapport au fait de devoir avancer, vouloir toujours être sûre et faire ce qui est juste ! Il y a des moments où on se retrouve face à des obstacles et on doit se demander comment les franchir… Est-ce qu’il faut les défoncer ? Est-ce qu’il faut les contourner ? Est-ce qu’il faut faire deux pas en arrière ? Il y a toutes ces questions qui se posent. Est-ce qu’il ne faut pas aussi parfois faire les choses qui ne sont pas autorisées… ? Et évidemment, c’est tout le problème auquel sont confrontés ce type de personnages.
Grégory Fitoussi : C’est aussi ce qui est passionnant, pour nous acteurs, d’interpréter des personnages qui sont en perpétuel dualité et ambiguïté dans leur façon de fonctionner et de voir les obstacles qu’ils rencontrent. C’est toujours intéressant de jouer des personnages qui ont des cas de conscience.
Anne Landois, vous avez intégré l’équipe à partir de la troisième saison. Comment est-ce que cela s’est passé pour vous ?
Anne Landois : Très bien ! Un peu angoissant au début (rires), parce qu’en fait Engrenages, c’est une série qui existait déjà, avec le succès qu’on connai. C'est aussi est une série extrêmement exigeante. Arriver et écrire pour une série comme Engrenages, c’est un vrai challenge pour un auteur.
Et quand on se voit confier la saison 3… à la fois c’est un rêve d’auteur et un véritable challenge. Alors, je ne l’ai pas écrite seule, on avait une configuration d’écriture assez particulière. Le commissaire de police, Eric de Barahir, a été co-auteur avec moi sur cette saison, alors qu’il était conseillé sur la saison 2. Et là, on a vraiment travaillé ensemble. Il s’agit d’un vrai commissaire de police, avec une vraie expérience de terrain qui apporte un flot d’anecdotes et de thèmes, d’enquêtes… ce qui est vraiment précieux pour un scénariste, parce que moi je ne suis pas flic, il y a beaucoup de choses que je ne soupçonne pas. J’essaie donc de mettre en ordre ce qu’il me raconte, parce que je connais la dramaturgie. De plus, la crédibilité d’Engrenages vient aussi de la véracité des affaires et de la justesse de la procédure. Nous avons donc formé un trio, le commissaire, moi et le producteur artistique (Thierry Depambour), qui est vraiment le garant de la continuité, qui perpétue le style d’Engrenages depuis le début. Ensuite, nous avons travaillé de façon un peu particulière parce que nous avons développé des arcs très détaillés. On a fait un document d’une centaine de pages où tous les épisodes étaient extrêmement détaillés, dans un style assez littéraire, c’était presque des pré-séquenciers. Puis, on a fait entrer des auteurs pour nous aider à les développer, parce que pendant que l’on écrivait les arcs des épisodes 7 et 8, par exemple, il fallait qu’il y ait des auteurs qui développent déjà les scénarios des épisodes 1 et 2. Sinon le tournage allait être très retardé et ce n’était pas possible.
Donc vous étiez trois auteurs à la base, et plusieurs auteurs vous ont ensuite accompagné pour le reste du travail d’écriture ?
Anne Landois : Voilà, exactement ! Il y a quatre auteurs qui nous ont aidés. Quand ils arrivent, ils ont déjà une matière, tout est là ! Alors, ça ne veut pas dire que c’est facile, parce que ce sont des auteurs chevronnés et il faut s’approprier une matière qui n’est pas à soi. Ce n’est pas du tout évident, surtout pour des auteurs comme eux, parce qu’en général, ce sont plutôt eux qui apportent leur matière. Mais ils y sont très bien parvenus, à la fois en s’appropriant les textes et en rajoutant leur part personnelle.
Au final, vous étiez sept auteurs pour cette saison ?
Anne Landois : Six en fait, puisque le producteur artistique n’écrit pas, c’est lui qui nous aide à écrire, il nous dirige, il nous donne des indications. Mais il n’écrit pas. Donc on était vraiment six auteurs au final : deux auteurs principaux et quatre auteurs pour nous aider.
Par rapport à la façon dont ça se passe au États-Unis, au niveau de l’écriture, quel regard portez-vous sur la question de la différence que l’on fait souvent entre les séries françaises et les séries américaines ?
Anne Landois : Pour Engrenages, c’est vraiment particulier. J’ai l’impression qu’il n’y a pas beaucoup de séries qui fonctionnent comme cela en France, parce que c’est vrai que souvent on travaille par atelier d’écriture.
Et quand je dis souvent, c’est aussi assez récent, on en est aux balbutiements en France. Les Américains ont quarante ans d’écriture de séries derrière eux. Alors que nous, on est en train de mettre en place un processus. Et j’ai l’impression que ce processus s’invente au fur et à mesure que les séries s’écrivent. Pour Engrenages, la première saison ne s’est pas écrite comme ça, la deuxième saison non plus et la troisième s’est écrite comme le sera certainement la quatrième. On a un peu inventé nous-mêmes notre façon de travailler, parce qu’on s’entendait bien tous les trois, Eric de Barahir, Thierry Depambour et moi. On a bien fonctionné comme ça. Mais on ne pouvait pas dire dès le début, on va faire un atelier d’écriture, on va déjà faire rentrer six auteurs, etc. Non, ça ne s’est pas fait comme ça. On avait besoin d’un groupe assez intime, on avait besoin de réfléchir entre nous parce que c’est long et compliqué, parce qu’il y a 12 épisodes et qu’on avait décidé de rentrer vraiment dans la psychologie des personnages de façon plus profonde, ce qui veut dire beaucoup, beaucoup de réflexion.
Comme vous le disiez, il y aura 12 épisodes pour cette saison, il n’y en avait que 8 pour les précédentes, ça a dû vous aider dans votre travail d’écriture pour étaler l’intrigue, développer davantage l’histoire des personnages ?
Anne Landois : Oui, évidemment ! Mais le pari c’est qu’il faut garder le souffle… parce que 12 épisodes, cela veut aussi dire 4 heures de film en plus pratiquement, donc c’est quand même lourd. Ça signifie à la fois : trouver plein de rebondissements à l’intrigue policière et creuser les personnages de plus en plus. C’est un travail au long cours avec eux. On avait de la place pour développer les personnages, ce qui fut une très bonne chose, parce que c’est là-dessus que l’on avait axé la saison 3. On s’est dit que maintenant on connaissait les personnages, on les a vus dans les saisons 1 et 2. Tout le monde les connait. On avait donc envie de savoir qui ils sont vraiment en dehors de leur métier : qu’est-ce qu’ils font quand ils sortent de leur travail ?
Le fait que la série soit diffusée sur Canal +, est-ce que cela vous donne davantage de liberté au niveau de l’écriture que si elle avait été diffusée sur une autre chaîne ?
Anne Landois : C’est la première fois que je travaille avec Canal+, et je trouve que ça a été un partenaire assez exceptionnel. Encore une fois ce n’est pas moi qui suis à l’origine de la série donc je n’ai pas connu tous les affres et les errements qu’il y a eu au début de l’écriture, parce qu’il y en a forcément eu. Il y avait déjà des personnages qui étaient installés, ce qui ne veut pas dire que c’était plus facile, parce qu’il faut pouvoir entrer dans ce qui a déjà été mis en place, ce qui n’est pas évident. Mais en tout cas, Canal+, à aucun moment, ne nous a bridé. Ça a vraiment été un partenaire formidable parce qu’ils attendaient qu’on donne le meilleur, et ils nous ont suivi sur le meilleur. C’est très stimulant et on ne s’est jamais senti frustré, ce qui est très rare en télévision. Ils ne changent pas d’avis du jour au lendemain, ils savent où ils veulent aller. Forcément, on est là aussi pour les suivre. Mais il se trouve qu’on a formé un partenariat assez idéal parce qu’on était vraiment en symbiose avec eux. C’était très stimulant.
Est-ce que vous pourriez nous donner un exemple d’une scène ou d’un élément qui, selon vous, n’aurait pas été accepté sur une autre chaîne ?
Anne Landois : Ce n’est pas tellement dans les scènes elles-mêmes, c’est davantage dans l’ambiance. Alors si, on pourrait penser aux scènes d’autopsie, mais aussi la gravité des meurtres, parce qu’on a quand même, vous aller le découvrir, un serial killer qui mutile des jeunes filles… Pour cette histoire, on s’est inspiré du tueur de Perpignan, qui est une affaire qui a eu lieu au début des années 90, une affaire extrêmement violente.
Donc oui, on est sur des meurtres qui sont tout en haut de l’échelle, au top de l’horreur. Il y a donc cette violence, mais qui n’est pas une violence qui fait toc, qui n’est pas gratuite parce qu’Engrenages, c’est un univers sombre, noir et violent. Voilà on le sait dès le début, c’est la règle ! A partir de là, tout le reste est cohérent c’est-à-dire qu’effectivement quand on travaille sur des meurtres comme ça, ça se répercute sur les personnages, sur plein de choses… ce qui va pour Engrenages, n’irait pas pour une autre série ou pour une autre chaîne, ça s’est sûr. On ne verrait pas ce genre de meurtres sur une autre chaîne et ce ne serait pas filmé non plus de la même manière, parce que là c’est hard, on essaie d’être hyper réaliste ! On a gardé ce côté sombre et très cru de la série pour cette saison. On est du côté des flics, et ils ne prennent pas de pincettes quand ils parlent d’un viol, d’une mutilation… il y a des mots pour chaque chose. Nous même, on ne s’est pas dit : "Non, on ne peut pas utiliser ce mot-là parce que ça va choquer le téléspectateur…", pas du tout ! On avait une liberté de ton, assez rare en télévision, du fait que l’on sait très bien dans quel genre de série on est : une série noire, violente et on parle de choses violentes. A côté de ça, il y a énormément de romanesque, qui vient contrebalancer tout ça et c’est ce que l’on a voulu travailler. Donc on est sur de la violence parfois insoutenable avec ce tueur en série, mais tous les personnages ont une part d’humanité qui contrebalance cet univers très dur.
Par rapport à la fin de la saison 2, ce n’est pas vous qui l’avez écrit, mais il a été décidé un peu à la dernière minute de ne pas tuer un des nouveaux personnages, Samy (Samir Boitard), qui donc finalement a été gardé pour la ou les saisons suivantes…
Anne Landois : Et ça nous arrange beaucoup (rires) !
Mais pourtant, on pourrait penser qu’au niveau de l’histoire ce n’était pas une si bonne décision que cela…
Anne Landois : Oui c’est vrai, mais c’était compliqué de finir comme ça…tout le monde s’est posé la question. Mais vous savez, même si Engrenages est une série très sombre, cela reste difficile de finir une saison sur la mort d’un des personnages auquel on s’est attaché. Si c’était arrivé peut-être plus tôt dans les épisodes, si cela avait été contrebalancé par autre chose… mais finir là-dessus ! Je pense que ça a été une bonne décision de la chaîne de ne pas finir sur la mort d’un des personnages. C’est quand même dur !
Parce qu’on pensait que par rapport au côté sombre de la série et d’un point de vue scénaristique, vous n’alliez pas hésiter à tuer un des personnages, si cela s’avérait nécessaire… et donc pour les saisons suivantes, s’il le faut est-ce que vous n’aurez pas de pitié à tuer vos personnages ?
Anne Landois : Alors dans la saison 3, on ne tue personne (rires) ! En tout cas, pas nos personnages ! En réalité, on les aime tellement, qu’on ne veut pas les voir mourir. Ceux qui meurent sont les victimes et puis bon après… il y a un peu de dommages collatéraux. Mais sinon, non, on préfère faire évoluer nos personnages que de les voir mourir. Ça nous intéresse plus parce qu'une fois morts… ils sont morts (rires) ! On préfère les mettre dans des situations inextricables, de voir comment ils vont s’en sortir. Mais à côté de cela, ça reste vraiment très sombre parce qu’ils ont des préoccupations, parce qu’ils vivent dans un univers dur et ça se répercute vraiment sur eux, sur leur façon de voir le monde. Ils ont, eux-mêmes, une vision du monde assez sombre. Ils se débattent parce qu'ils sont englués dans cette noirceur, dans ce Paris un peu crade. Donc, non, non ! On ne tue personne et d’ailleurs on est bien content que Samy soit vivant, parce qu’on a envie de le faire revenir, dans une saison prochaine (rires) ! Donc merci à Canal+ de ne pas avoir tué Samy dans la saison 2 !
Y aura-t-il des guests pour cette saison qui viendront faire des apparitions pour un épisode, voire plusieurs ?
Caroline Proust : Oui, là il y a Bruno Debrandt qui joue le commissaire de la criminelle, le commissaire Brémont. Il y a aussi Ronaldo, joué par Misha Arias de la Cantolla.
Grégory Fitoussi : Mais il y a plein de nouveaux personnages.
Caroline Proust : Oui, mais il y aussi des personnages qui vont être plus importants, comme ce fut le cas avec Reda Kateb (Aziz) pour la saison 2. Effectivement, il y a toujours beaucoup d’acteurs qui arrivent, c’est génial !
Est-ce qu’il y a d’anciens acteurs qui vont revenir dans cette saison, qui vont rester plus longtemps ?
Caroline Proust : Nous l'espérons. Nous attendons de voir la saison 4, ce qu’ils vont faire. Je trouve que ce serait vraiment bien qu’il y ait des acteurs qui reviennent, mais maintenant ce n’est pas nous qui décidons de cela. Nous ne sommes pas maîtres de cela, on ne tire pas ces fils-là. Hein ? Nous sommes des marionnettes…
Grégory Fitoussi : Des acteurs (rires) !
Propos recueillis le 31 Mars 2010 par Céline Chahinian