Allociné : Quand vous est venu l’idée de cette cible-caméra, point de vue du canon du tank ?
Samuel Maoz : C’était pour moi la seule façon de réaliser le film. Comme vous le savez peut-être, cette histoire est mon histoire. J’ai fait ce long-métrage pour deux raisons : la première est que je ne souhaitais pas montrer les soldats se comporter de façon héroïque. On a trop souvent montré ce point de vue dans les films de guerre car il s'agit, dans la majorité des cas, de divertissements. Je voulais évoquer la réalité des faits car c’est ainsi que le public peut vraiment saisir l’horreur de la guerre. Si je sors du tank, ce n’était plus la réalité car ma guerre s’est réellement déroulée dans un huis clos. La raison principale reste que je souhaitais me concentrer sur les âmes de ces soldats. Je savais qu’ils n’était pas possible d’en parler dans une structure cinématographique classique. Je ne souhaitais pas que les spectateurs regardent uniquement le film, mais qu’ils le sentent. Il s’agit d’une compréhension émotionnelle. Pour arriver à cela, il fallait que je passe par l’expérimentation. Je souhaite que vous participiez à cette mission. L’objectif était que vous ressentiez des sentiments forts durant le film et que vous en sortiez en réfléchissant à ce que vous veniez de vivre, d’où l’expérimentation qui était pour moi l’unique moyen d’y arriver.
L’écriture a-t-elle été un processus difficile ?
Pas tant que cela. Comme c’est quelque chose que j’ai personnellement vécu, il n’y avait pas d’autres moyens que d’écrire ce scénario. C’était pour moi la seule façon. Vous ne pouvez rien faire dans un lieu si étroit, à peine tourner à gauche ou à droite.
Comment avez-vous travaillé sur la lumière, qui est presque étincelante par moments, mais fait beaucoup appel au clair-obscur ?
Je travaille généralement avec une ou deux, voir trois sources de lumière. Pas plus. Le rendu des couleurs était aussi un aspect important visuellement. Le verts, le jaune, le noir sont très présents comme couleurs, car j’essayais de rendre la couleur du sang provenant du tank, comme si ce dernier se décomposait en perdant tout son sang noir. Je travaille de mémoire et j’étais très soucieux du détail, afin de rendre compte au maximum des conditions précaires et de la claustrophobie liée à un tel endroit. Cela ressemblait à un processus mathématique à la fin.
Vous filmez aussi beaucoup les visages des protagonistes...
Quand vous êtes dans un tank, il n’est pas possible d’avoir un plan large. Pour moi, filmer leurs visages représentent un plan large. Rendre ces visages perdus était un travail immense aussi bien au niveau de la caméra, que de la lumières et du maquillage. Je voulais que leurs yeux éclairent par moment le tank.
Votre intérêt pour le cinéma date-t-il d’avant la guerre du Liban ?
J’avais 5-6 ans quand je me suis, pour la première fois, intéressé au cinéma. Mon oncle m’emmenait à cette époque 2 à 3 fois par semaine au cinéma. J’ai donc grandi en voyant tout type de film, de la comédie au western en passant par les films d’action. J’ai un jour vu un film où la caméra était située sur des rails et filmait de face un train arrivant à grande vitesse. A l’âge de 13 ans, j’ai donc demandé à mon père de m’offrir une caméra 8 mm. Juste après l'avoir reçue, je me suis précipité dans une gare et j’ai placé la caméra sur les rails comme dans le film que j’avais vu. Puis le train est arrivé et comme vous pouvez l’imaginer, la caméra a été détruite sur le coup. Il s’agissait de ma première leçon de cinéma : vous ne pouvez pas faire de film par vous-même. J’ai donc continué à faire plusieurs petits films jusqu’à l’âge de 18 ans, avant que j’intègre l’armée.
Après "Beaufort" et "Valse avec Bachir", le cinéma israélien continue d'évoquer la tragédie de la guerre au Liban. Pourquoi seulement maintenant ?
La guerre du liban est notre Vietnam. Il régnait une grande confusion durant cette guerre parmi les soldats et les civils qu’ils nous arrivait parfois de confondre. On ne savait plus très bien qui était avec qui par moment. C’est ce qui ressort de cette guerre: que beaucoup d’erreurs ont été commises. Je me souviens de la folie provenant des yeux de tous durant cette période, de la folie qui régnait dans l’air. L’autre raison est que les autres cinéastes appartiennent à la même génération. A la différence de nos parents qui ont vécu l’après-guerre, nous avons vécu la belle vie jusqu’à ce que l’on fasse cette guerre qui nous a tous traumatisée.
Propos recueillis par Edouard Brane à Paris le 15 décembre 2009