Allociné – «Honeymoons» est la première coproduction Albano-serbe. Qu’est ce qui vous a poussé à faire un film qui associe ces deux pays ?
Goran Paskaljevic - Il y a 3 ans j’ai été pour la première fois en Albanie. Pour les Serbes c’est presque une terre interdite parce qu’il y a beaucoup de problèmes entre les 2 pays. On est voisin, mais on ne se connaît pas. Il y a d’abord eu Enver Hoxha qui a tenu le pays sous sa dictature pendant 40 ans, les Albanais ne pouvaient pas sortir du pays et ne communiquaient pas avec l’extérieur. Et maintenant il y a le problème du Kosovo, donc c’est assez difficile.
Mais j’étais curieux, je suis donc allé en Albanie parce qu’ils ont organisé une petite rétrospective de mes 3 derniers films. C’était le premier festival qui se déroulait à Tirana. Et j’ai reçu un accueil très chaleureux de la part du public, tout le monde était gentil et j’ai compris que mes préjugés n’étaient pas fondés. J’ai rencontré des personnes qui pensaient de la même manière que moi et on a eu l’envie commune de faire quelque chose ensemble. Je suis donc rentré à Belgrade et j’ai travaillé sur ce film, je voulais en faire un tryptique. On a tout de suite décidé de l’appeler Honeymoons, Lunes de Miel en français.
Le film suit deux histoires de couples en parallèle. Un couple albanais et un couple serbe qui vivent quasiment la même chose. Ce film n’est-il pas le film de la réconciliation ? Un message de paix prouvant que les Albanais et les Serbes vivent finalement la même chose…
Goran Paskaljevic - Je pense effectivement que c’est le film de la réconciliation. J’ai voulu montrer qu’on se ressemble beaucoup. Il ne faut pas oublier que les Ottomans ont vécu 500 ans sur ces terres, que sont l’Albanie, la Serbie et la Bosnie et qu’ils y ont laissé des traces. On mange plus ou moins la même chose, on boit le même raki, les chansons sont quasiment les mêmes. De plus les deux pays veulent faire partie intégrante de l’Europe.
Mais dans ces conflits, ce sont les jeunes qui souffrent et qui payent pour les fautes de leurs parents. En Albanie, depuis longtemps, les gens n’ont pas le droit de sortir de leur pays. En Serbie, ce sont les jeunes de 20 ans qui n’ont jamais quitté leur pays. Pour le gouvernement il est, d’autant, plus facile de manipuler ces gens.
Ils n’ont qu’un rêve : sortir de leur pays et tenter d’avoir une vie plus belle en Europe, mais l’Europe ne les attends pas à bras ouverts…
Il y a un côté très métaphorique dans la relation entre les deux frères serbes non ?
Goran Paskaljevic - Oui, les deux frères de l’histoire serbe sont une métaphore de la Serbie d’aujourd’hui. Ils sont divisés par la politique et se détestent… C’est la Serbie d’aujourd’hui. Elle est toujours divisée, il y a des gens qui sont toujours pro Milosevic pour son ancien régime, qui sont europhobes. Et il y a une autre Serbie, qui veut être une part de l’Europe, et ça c’est plutôt la jeunesse.
La manière dont le passage des frontières est traité dans le film est très réaliste, sans édulcoration. Vous-même avez vous vécu cela ?
Goran Paskaljevic - Je suis arrivé en France il y a 15 ans, ma femme est française. On partage notre temps entre Belgrade et Paris. J’ai beaucoup voyagé.
Toutes les scènes du film qui se déroulent aux frontières je les ai vécues. Par exemple quand le couple albanais arrive à la frontière italienne... C'est une scène que j’ai vécu. J’ai passé plusieurs fois les frontières et cette scène j’en ai été témoin à Brindisi. Quand les gens descendent du bateau, ils sont arrêtés comme ça. Les gardes sont assez cruels avec eux. Beaucoup plus qu’avec nous… Quand on sort nos passeports français ou européens, ils nous laissent passer, mais les autres se font assez mal traiter pour être honnête…
Mais ce ne sont pas que les Italiens qui agissent comme ça, les Hongrois agissent de la même manière. Quand je passe la frontière entre la Serbie et la Hongrie avec mon passeport français c’est facile, mais quand je prends mon passeport serbe, à chaque fois j’ai des problèmes ! Ceci est dû au fait que les gens ont des préjugés, en conséquence, ils nous traitent comme des citoyens de second ordre.
Josef, c’est votre premier rôle au cinéma. Pouvez-vous nous parler de cette expérience et de ce que ce film a apporté dans votre vie ?
Josef Shiroka- En effet, c’est mon premier film et travailler avec Goran Paskaljevic a été pour moi une expérience géniale. Parce qu’en plus d’être un grand réalisateur, c’est un grand homme. Avoir l’un des rôles principaux d’un des films de Goran est une des meilleurs choses qu’un acteur puisse espérer.
Et puis surtout, ce film m’a permis de sortir d’Albanie. Une chose que je n’avais jamais pu faire auparavant. Pour le tournage il fallait sortir d’Albanie, et, de ce fait, il me fallait un visa. Avoir ce visa a été une grande chance pour moi parce que j’ai pu voir ma sœur que je n’avais pas vue depuis 16 ans ! Elle vit en Italie depuis tout ce temps et comme je n’avais jamais pu sortir d’Albanie et qu’elle ne voulait pas revenir nous ne nous étions pas revus. Ce fut fantastique de pouvoir la retrouver !
Pouvez-vous nous parler de Nik, votre personnage ? Y-a-t-il des points communs que vous partagez avec lui ?
Josef Shiroka- Mon personnage à mon âge, et la chose la plus importante dans sa vie est de réussir à quitter l’Albanie pour avoir une autre vie. Le rêve italien en somme. Travailler sur ce sujet était assez facile pour moi étant donné que je connais très bien le sentiment que mon personnage vit, ayant moi-même, de nombreuses fois, souhaité quitter l’Albanie afin de tenter ma chance à l’étranger. Travailler sur ce sujet a été une expérience très enrichissante. C’est un garçon avec ses rêves et sa passion, et j’aime ça ! Il sait ce qu’il veut et va tout faire pour l’obtenir, jusqu’à la fin…
"Honeymoons" a été présenté au Festival du Cinéma Européen des Arcs où vous avez reçu le Prix du Jury. Pensez-vous que ce genre de festival peut permettre aux films européens de mieux passer les frontières de leurs pays ?
Goran Paskaljevic - Je crois beaucoup à ce genre de festival. Quand on présente nos films, des distributeurs viennent et ils voient si le film plaît au public, d’une certaine manière cela les rassure. Ils voient que ces films peuvent fonctionner en France, mais pour ça, il faut un peu qu’ils se bougent. Aujourd’hui il y a pas mal de distributeurs qui attendent simplement que le succès tombe du ciel. Il faut se battre pour la qualité et pour les films qui ont de la qualité.
La France a un grand marché pour les films français, ce que les autres pays n’ont pas forcément. En Serbie, par exemple, il n’y a qu’une centaine de cinémas, de plus on ne s’échange pas les films, on ne s’occupe pas assez de protéger le cinéma européen. Il y a des mécanismes, il y a Europa cinéma et d’autres aides au cinéma européen, mais le dicta des salles est cruel. Les exploitants prennent les films parce qu’ils ont des quotas à remplir, mais, bien souvent, les films ne restent qu’une semaine à l’affiche. Ils n’ont donc pas le temps de s’établir. A côté de cela vous avez les films américains qui ont déjà gagné de l’argent aux Etats-Unis, ils sont déjà amortis, il en résulte qu’ils coûtent moins chers et peuvent se payer beaucoup de publicité. Même en France, regardez les couvertures des magazines, ce ne sont que des Américains et des Français, jamais il n’y aura une couverture avec mon acteur Josef Shiroka, par exemple !
Propos recuillis le 10 décembre 2009 aux Arcs par Laëtitia Forhan