On pense aux films de John Cassavetes en voyant Breathless. Quelles ont été vos influences ?
Ik-june Yang: J’aime beaucoup les films de John Cassavetes que j’ai vus il y a longtemps, bien avant de faire ce film, mais je ne pense pas avoir été directement influencé par son cinéma. Comme moi, Cassavetes était acteur avant de devenir cinéaste. J’ai remarqué que quand les acteurs passaient derrière la caméra, souvent ils appréciaient particulièrement les plans rapprochés et la caméra à l’épaule. Peut-être souhaitons-nous être au plus près des visages et expressions des acteurs… ?
Trois générations se font face dans "Breathless". La famille que vous montrez est-elle représentative de la famille coréenne moyenne ?
Au départ, je n’ai pas vraiment réfléchi à la distrinction entre les trois générations. Dans une scène par exemple, le père dit à son fils qu’il est désolé. Dans la vraie vie, les parents ne disent jamais cela. Ce n’est pas qu’ils ne savent pas le faire mais ils n’osent pas le dire car ils ont honte et ça les gêne. C'est un grand tabou dans la société coréenne. On peut y voir le même message concernant le père : son fils le tabasse, lui demande des cômptes sur son passé, etc. Je ne pourrais jamais faire ça avec mon père par exemple. Comme la plupart des gens, je ne suis pas capable d’en arriver à cette violence. Il y a pourtant une chose dont je suis sûr : j’aimerais bien entendre mon père dire au moins une fois dans sa vie "merci" ou "désolé". J’espère que cela pourra dissiper toute ma haine. J’ai exprimé dans ce film des choses que j’aimerais voir mais qui n’existent malheureusement pas dans la société coréenne.
Quelle a été la réaction de vos parents quand ils ont vu le film ?
Ils l’ont vu à l’occasion d’un festival consacré au films de famille. Ma mère a été sous le choc et m’a demandé comment j’avais osé transcrire tout cela à l’écran. Quant à mon père, il regardait le plafond comme s’il regardait le ciel. Quelque temps après, ma mère m’a félicité pour mon travail tandis que mon père a découpé tous les articles sur moi et les a affichés dans son magasin. Finalement, je crois que cela a pas mal bouleversé ma famille.
Quel est ce cri que vous poussez sur l’affiche du film ? Est-ce le vôtre ou celui de votre personnage ?
Les deux en fait. On peut y voir la colère du personnage, celle qu’il porte en lui, mais si on la regarde de plus près, on a surtout l’impression qu’il souffre. C’est vrai que ce cri pourrait aussi provenir de moi. Cela me gêne d’émettre cette opinion sur moi-même mais j’aime particulièrement cette expression. De plus, le cliché est si précis qu’on peut même voir les cicatrices de mon visage (rire). Pour l’anecdote, sachez que la même affiche a été utilisée en Corée.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile lors du tournage ?
Il y a une scène où un père tabasse violemment sa femme devant les yeux de ses enfants. Elle a été tournée dans l'immeuble de mes parents. Le matin du tournage, mon père est arrivé sur le plateau et soudain en le voyant, j’ai ressenti une grande confusion entre la réalité et la fiction. Ce sentiment m’a tellement glacé le sang que j’ai dû arrêté le tournage pour la journée.
Peut-on dire que votre film est proche de la catharsis ?
Il s’agit en effet d’une catharsis. Au début, je ne souhaitais pas inclure dans l’histoire l’aspect humoristique mais en écrivant le scénario, j’ai rapidement compris que le film était assez dur comme ça et qu'il fallait offrir au spectateur un peu de « fraicheur ». Je l’ai écrit à l’âge de 33 ans, tel que je le ressentais à l’époque. Peut-être que si je l’avais écrit à un autre moment de ma vie, le film aurait uniquement été violent…
Quelle est la morale du film ? Que l’on ne peut faire le Bien sans faire le Mal ?
Il est difficile pour moi d’exprimer les choses avec des mots, c’est d’abord un film qui est né de mes sentiments. Même si ce discours n’est pas très original, il est évident qu’il ne peut pas y avoir que le Bien dans la vie et c’est justement parce qu’il y a le Mal que l’on éprouve la nécessité de faire le Bien. En Corée, pour tout vous dire, les 2/3 de la population vivent avec de la colère et connaissent la violence évoquée dans le film. Le dernier tiers doit certainement vivre une vie plus sereine. J’aimerais bien que ces proportions s'inversent mais je ne crois pas à la disparition du Mal.
Propos recueillis à Paris le 3 novembre 2009 par Edouard Brane