Comment est venue l'idée de la collection "Maupassant" ?
Ce type de projet remonte à trente ans. Ça fait trente ans que je veux faire un certain nombre de choses que je mets en application aujourd'hui. Mais le projet a été initié il y a trois ans avec l'arrivée de Patrick de Carolis à la Présidence de France Télévisions. Je n'avais pas fait de télévision depuis cinq-six ans. Ce qui m'intéressait, c'était de faire revivre des textes du 19ème siècle. Et en premier lieu Maupassant ! Pourquoi Maupassant, vous me direz ! Sans doute parce que je pense que notre fierté et notre richesse à nous Français, c'est la littérature. Et l'âge d'or de la littérature pour moi se situe entre Balzac et Simoneau, que je considère comme de véritables des raconteurs d'histoires. Tous ces écrivains ont en commun plusieurs choses. La première, c'est que ce sont tous des journalistes. Ils écrivent sur l'instant, en décrivant leur société. Et je pense que Maupassant est le plus significatif de ces auteurs, parce que ce sont des récits extrêmement courts. Une fois encore, son origine journalistique lui permet d'écrire en très peu de lignes un contexte, une histoire. Devant une dizaine de pages voire moins, puisque certains des textes adaptés font une page et demie, on avait latitude à développer un scénario. Force est de constater qu'on n'invente pas grand-chose. Et que même en une page et demie, on couvre nos trente minutes de fiction sans inventer énormément. Ça veut dire que c'est extrêmement riche !
L'autre point commun à tous ces auteurs, c'est une forme d'anarchie libertaire, à savoir qu'ils regrettent tous le temps passé, et tous sont très suspicieux envers l'âge capitaliste qui est en train de se mettre en place. Alors ça peut être chez Maupassant le fait qu'il pense que la campagne est pure, et que c'est la ville qui pervertit. Ça peut être aussi chez Zola l'admiration béate pour l'industrialisation, l'amour des chemins de fer, des paysages industriels, et en même temps la certitude que le capitalisme allait asservir une partie de la population. Je pense que Germinal (ndlr : roman d'Emile Zola) est extrêmement significatif en ce sens ! A peu près tous sont anti-calotins. Et cette attitude cynique correspond tout à fait à la vision que je peux avoir de la société et de la vie. Donc je me sens à l'aise avec ces auteurs-là et j'ai pensé que c'était intéressant d'adapter ces romans. D'autre part, je développe une admiration sans borne pour la fiction anglaise. Et les Anglais réadaptent leurs classiques tous les dix ans ! Ils font Jane Austen, Charles Dickens... Il n'y a pas de volonté de modernisation chez les Anglais comme chez moi, au contraire c'est un respect absolu des textes de l'époque. Leur modernisation vient du filmage et du casting bien entendu, qui est un casting d'aujourd'hui.
Vous avez enchaîné avec une nouvelle collection, "Au siècle de Maupassant"...
Oui, j'ai voulu faire une parenthèse dans Maupassant. J'avais envie d'un nouveau challenge et d'adapter des gens nouveaux aussi. Dans ces seize films adaptés de contemporains de Maupassant, je me suis rendu compte que douze ou treize, j'en avais eu le projet depuis toujours. Alors quand on vous offre un train électrique, autant l'utiliser... puisque c'est un formidable train électrique !
Sur ces seize-là, quel est celui qui vous tenait le plus à coeur ?
Il y a "Le Petit Vieux des Batignolles" d'Emile Gaboriau, que France 2 diffuse ce vendredi. Emile Gaboriau est l'inventeur du roman policier paraît-il ; c'est en tout cas ce que cite Conan Doyle dans les Sherlock Holmes. J'y tenais à coeur depuis très longtemps, et curieusement Chabrol aussi. Nous en avions parlé il y a vingt ans avec Claude Chabrol. Dans ce qui est à venir et en tournage, j'ai toujours voulu faire "Le fauteuil hanté" de Gaston Leroux. "Le fauteuil hanté", le principe c'est que va être élu à l'Académie française un type qui ne sait pas lire. Ça me semble assez bien correspondre à la réalité (rires). Il y a des tas de choses comme ça qui sont irrévérencieuses, qui me plaisaient beaucoup. J'ai toujours voulu réaliser un roman à l'eau de rose, "Le mariage de Chiffon" de Gyp, qui a été le roman pour dames avant "Le grand Meaulnes" (Alain-Fournier). Il y en a une douzaine comme ça que j'avais envie de faire. Et celui que j'ai réalisé et qui passe la semaine prochaine, je ne voulais pas le faire. Je misais au départ sur un autre Zola, mais la date de tournage à l'époque de Noël n'a pas rendu cela possible. Il neigeait énormément, et "L'Attaque du Moulin" se passe en été et c'était trop difficile à adapter durant l'hiver. Je me suis donc rabattu sur "Pour une nuit d'amour" qui est à mon sens le plus Maupassant des Zola.
Le tournage de nouveaux "Maupassant" est prévu ?
Nous tournons actuellement les huit derniers Au siècle de Maupassant qui sont en tournage jusqu'à Noël. Et l'année prochaine, nous débuterons les tournages en mai avec Chez Maupassant. Comme gros titres de Maupassant, il y a "Une partie de campagne", "Yvette" et "Boule de Suif" bien sûr.
C'est vous qui veillez à l'unité de l'ensemble ?
Effectivement, mon rôle va du choix des textes au souci de donner une image commune à tous les films. Je m'entoure de professionnels aguerris : Jacques Santamaria pour les textes, Régis Nicolino pour les décors, et ainsi de suite. Et je choisis le casting - très important le casting - avec Stéphane Foenkinos.
D'ailleurs le casting des prochains volets paraît assez alléchant...
J'ai voulu réunir Claude Chabrol et Pierre Arditi, qui ne s'étaient retrouvés qu'une fois auparavant pour une pub il y a très très longtemps. Ils n'avaient donc jamais tourné ensemble, et ça me semblait assez intéressant de voir deux amis réunis. Sur celui que j'ai réalisé moi-même (ndlr : "Pour une nuit d'amour"), j'ai écrit un rôle pour Tsilla Chelton, puisque ce rôle n'existe pas dans Zola. Elle avait tourné "Le petit fût" de Chez Maupassant. Et au cours d'un dîner après le tournage, elle m'a demandé de lui écrire un rôle de vieille méchante. Je lui ai répondu : "Qu'à cela ne tienne, un truc misogyne c'est dans mes cordes, je vais le faire !" Ça s'est donc articulé autour de Tsilla Chelton qui était le premier maillon. Ensuite il y a eu Thierry Frémont que je considère comme l'un des deux plus grands acteurs français. Et enfin Mathilda May s'est imposée : il nous fallait une très jolie femme, quelqu'un qui réveille les instincts masculins de façon naturelle et immédiate. Dans "Boubouroche", il y a Bruno Putzulu, un habitué de mes productions, un ami, et Julie Depardieu, l'incarnation moderne d'Arletty. Pour le quatrième film, qui est une adaptation d'Alphonse Daudet, c'était plus compliqué car nous avions besoin de personnes avec un accent. Et depuis la fin du cinéma de Marcel Pagnol, nous n'avons plus beaucoup de comédiens à accent.
Comment retranscrire le plus fidèlement possible à l'écran de telles oeuvres ?
C'est à chaque fois un univers particulier dont il faut se familiariser en se constituant une documentation la plus détaillée possible, afin de respecter l'époque. Et il faut prendre garde au vocabulaire, à la forme du français qui peut être différente. On doit sans cesse vérifier, parce qu'il y a beaucoup de faux amis. Des expressions comme "aller aux fraises" qui jusqu'à des temps récents voulait dire "aller vous faire voir", signifiait au 19ème siècle "aller flirter" ! Il y a aussi des mots qu'on ne peut pas employer parce qu'ils n'ont pas encore été inventés. La plus grande difficulté à laquelle nous avons été confrontés est le patois cauchois pour les Maupassant qui nécessiterait des sous-titres. Il fallait donc arriver à un faux patois crédible. L'autre difficulté était de rester entièrement fidèle à l'esprit de l'auteur. Par exemple, dans "Les Trois messes basses" de Zola, il était indispensable d'introduire dans le film l'idée que l'auteur n'est pas croyant. Ainsi quand le curé à la fin ne croit plus en Dieu c'est un rajout que l'on peut se permettre car cela reste fidèle à Zola. J'essaie de glisser des intentions de l'auteur quand il est possible de le faire. Et au fond, je considère que c'est initier le spectateur à la connaissance d'un auteur par voie de fiction.
On sent que la musique revêt une grande importance dans vos films...
Les musiques utilisées sont des contemporains de Guy de Maupassant. Mon principe est toujours le même : je choisis sur disque les musiques. On voit si ça colle ou non, et ensuite c'est réenregistré avec un orchestre. Il n'y a pas du tout d'électronique, ce sont de vrais musiciens avec de vrais instruments. J'essaie de rester contemporain de l'auteur, en me permettant de temps en temps d'aller dans le passé, comme avec Mozart. Mais Mozart c'est comme le whisky ça va avec tout. C'est le Michael Jackson de son temps !
Au fil des films, on se rend compte que les thèmes abordés sont modernes...
Oui bien sûr, c'est moderne ! A compter de l'arrivée de Napoléon au pouvoir, on retrouve les grands problèmes sociétaux français d'aujourd'hui : l'enseignement, l'aménagement du territoire, les espaces verts... mais surtout on retrouve les conflits de classe issus du capitalisme naissant de l'époque. Nous sommes à peu près dans la même société qu'aujourd'hui à une nuance que l'importance de la campagne n'est pas la même. La seule différence est que la classe paysanne n'existe plus de nos jours.
Dans l'idéal, quels comédiens aimeriez-vous diriger ?
J'ai très envie de travailler avec Catherine Frot, Sylvie Testud, Mathilde Seigner, Karin Viard, Roger Hanin, Line Renaud, et j'en oublie forcément. J'aimerais aussi avoir Clovis Cornillac, Lambert Wilson, enfin rien de bien surprenant. J'ai envie d'avoir les meilleurs et je suis en train de vous citer les meilleurs !
Quelles sont vos séries préférées ?
Je ne regarde pas des séries populaires comme Cold Case ou Les Experts, parce qu'au fond je trouve que les épisodes sont assez répétitifs et à peu près sur le même schéma. Je n'ai pas réussi à rentrer dedans. Je pense que la meilleure série américaine actuelle est Sur écoute, sur laquelle a été fait un boulot formidable. Chez les Anglais, il y en a plein, j'ai envie de citer Morse et Frost qui sont vraiment exemplaires sur tous les points. J'aime beaucoup aussi Rebus, qu'on n'a pas en France, qui est une adaptation d'Ian Rankin. Et aussi une série passée sur Canal+, Meurtres à l'anglaise ! Dans l'ensemble, je dois avouer que je préfère le format des téléfilms, j'aime moins la notion de série qui je trouve se répète énormément. Et il faut dire que le cinéma me prend trop de temps. Je regarde tellement de films que ça me laisse peu de temps pour la télévision.
Et en terme de création française ?
Je suis estomaqué par les documentaires qu'on arrive à faire en France aujourd'hui. Le boulot réalisé sur Apocalypse - La 2ème Guerre Mondiale est saisissant, c'est extraordinaire. Sinon, j'avais apprécié Hard et Vénus et Apollon.
Selon vous, que manque-t-il à la télévision française aujourd'hui ?
Parallèlement à ces fictions traditionnelles françaises inspirées de notre littérature, que nous avons abandonnées à tort pendant tout un moment, il serait bien de miser sur des créations pures avec pourquoi pas l'apparition de genres trop absents à la télévision. Nous n'avons pratiquement pas de fantastique ! David Nolande, vue sur France 2 il y a deux ans, était vraiment bien. Ce serait une direction à prendre. Et dans le genre policier, il faudrait peut-être miser sur des productions comme Suite noire. Et permettre à de nouveaux réalisateurs et de nouveaux auteurs de faire de la télé parce que partout au monde c'est là que se fait l'apprentissage de la mise en scène et de l'écriture... sauf en France. Il est plus facile chez nous de faire un premier film au cinéma que faire un premier téléfilm. Alors que deux générations de grands auteurs américains viennent de la télé, et qu'à peu près tous les grands auteurs anglais de cinéma actuellement viennent de la télévision. Danny Boyle a débuté avec l'Inspecteur Morse. Je pense que l'apprentissage par la télévision est à développer. Or toute création passe par l'argent ! Il n'est pas possible de faire de la création de qualité sans argent. Ce que je souhaite à la création française c'est qu'il y ait beaucoup d'argent pour en faire, que ce soit pour le service public ou le privé.
Propos reccueillis par Pascal Muscarnera