AlloCiné : Pourquoi ce titre, "Eldorado" ?>
Bouli Lanners : En fait, je croyais qu'on allait avoir une Cadillac Eldorado pour le film. Et puis, finalement, on a eu une Chevrolet Caprice. Caprice, ce n'est pas un bon titre de film. J'en ai parlé au producteur qui trouvait que Eldorado sonnait bien à l'oreille. Par rapport à l'image aussi, au côté doré que je voulais depuis le début. Eldorado, c'est le paradis perdu que cherchent les deux personnages. C'est aussi le monde dans lequel on est censé évoluer. A priori ce n'est pas vrai puisque les personnages sont très "borderline", des naufragés de la vie. Et puis, ça sonne un peu western.
Ce road-movie représente t-il un fantasme pour vous ? Parcourir les routes et faire des rencontres saugrenues...
Je le fais tout le temps. J'adore ça. Par exemple, je suis venu de Belgique avec la Chevrolet du film. On a fait les avant-premières et le Festival de Cabourg avec ! J'adore la route depuis tout petit. Et donc évidemment, l'idée de faire un road movie me plaisait... J'en avais déjà fait un, mais il s'agissait d'un court-métrage. Il fallait que les choses se mettent en place pour un long. Le road-movie, ce n'est pas un genre que l'on peut utiliser comme ça. Il faut que quelque chose s'y prête. Une fois que tout était en place, alors on a pu y aller à fond.
En quoi étiez-vous le mieux placé pour interpréter le rôle d'Yvan ?
Je ne m'en rendais pas compte. Tout le monde me disait que ce personnage, c'était moi. Et c'est vrai qu'il est très proche de moi. Tout le côté humaniste qu'il porte, j'aimerais l'avoir. J'ai mis chez Yvan des qualités que j'aimerais posséder et il a des défauts que j'ai et que j'ai accentués. Je voulais quelqu'un qui, physiquement, me ressemble : la quarantaine, bedonnant. Et finalement, je me rends compte que je suis très proche de lui. Toute cette culpabilité qu'il porte sur le fait de ne pas avoir assumé assez de choses pour sa famille, tout ça, je le porte en moi. Après, notre relation entre Fabrice Adde et moi s'est nourrie de petites choses, mais on était dans nos personnages.
Vous avez improvisé ?
Je suis très mal à l'aise dans l'improvisation mais on n'hésitait pas à utiliser l'écriture de dernière minute. Des éléments des décors, des anecdotes, me faisaient écrire des choses en plus. Mais pas d'improvisation. On ne pouvait pas se le permettre, on tournait en super 35. J'ai juste ajouté quelques petites vignettes, quelques petites saynètes. Comme la scène de la rivière, tournée un samedi soir. On l'a trouvée très belle, c'est une sorte d'exutoire pour les personnages. C'est très gai de pouvoir faire ça, de se garder le grand bonheur de pouvoir réinventer des choses sur le plateau. Ce sont des grands moments de bonheur de cinéma pour moi.
Comment avez-vous géré le fait d'être à la fois réalisateur et acteur ?
Déjà, faire un deuxième long-métrage, c'est horrible. J'avais très peur de perdre cette innocence qu'on a avec un premier film. Je n'ai pas fait d'école de cinéma, donc mon premier film s'est passé dans une candeur, une innocence de puceau en fait. Là, le deuxième film a perdu cette candeur. Donc j'avais très peur de le faire. Un film, c'est tellement fragile, il suffit de tellement peu de choses pour que tout bascule, pour que tout s'effondre, même si on le fait avec beaucoup de coeur. Et comme j'avais déjà très peur, autant avoir peur aussi de jouer dedans. Comme c'était très bien préparé avant, si ce n'est le fait que c'était très fatigant, ça a été facile. Et j'étais très bien entouré.
Une peur pas forcément justifiée au vu des résultats en Belgique. Vous avez réalisé un meilleur démarrage qu'"Indiana Jones"...
C'est incroyable. Je n'en reviens pas, je suis le premier surpris. J'ai fait un film très personnel donc clairement qualifié de cinéma d'auteur. Mais il y a un côté populaire dans mon film et le bouche-à-oreille circule bien. J'ai reçu des messages de plein de gens. Il est clair que la reconnaissance cannoise comme française est nécessaire pour le cinéma belge. On baigne dans cette culture, dans cette sous-culture française. On a toujours été dans le besoin de ce grand frère français. D'ailleurs, les comédiens belges, les auteurs belges qui fonctionnent en Belgique ont souvent habité en France, comme Brel ou Maeterlinck. Et Cannes m'a donné une crédibilité aux yeux de mes concitoyens que je n'aurai pas eu autrement.
Le cinéma belge est en pleine expansion. Que pensez vous de sa place dans le panorama cinématographique mondial ?
Le cinéma belge est très jeune. Il date de 1967. C'est une histoire qu'on ne connaît pas bien à l'étranger. Après la deuxième guerre mondiale, le plan Marshall s'est fait à deux conditions : l'interdiction absolue de fabriquer des voitures et de faire des films pendant 20 ans. En 1967, il y a eu échéance, et c'est à partir de là que de toutes petites structures - avec des films d'André Delvaux ou Harry Kumel - ont commencé à se reconstruire petit à petit. Donc, on a vraiment 67 ans de retard par rapport au cinéma français. Et c'est après C'est arrivé près de chez vous et Toto le héros que le cinéma belge a pris une dimension populaire. De cette dimension populaire sont nés de jeunes producteurs qui sont aujourd'hui nos producteurs à nous. Le cinéma belge est un cinéma qui n'est qu'en devenir et qui élargit son spectre de plus en plus car les cinéastes belges sont des auteurs très diversifiés : avec par exemple les frères Dardenne ou mon film.
Pouvez vous nous parler de vos futurs projets ?
J'ai deux films en début d'écriture, et comme les films évoluent beaucoup durant ce processus, peut être que lorsque je reviendrai avec ce sujet là, cela sera une comédie musicale ! (rires) Mais pour le moment, j'aimerais faire un film qui parle toujours des relations humaines, de l'ordre de la famille explosée, mais dans le cadre d'un polar. Avec une vraie intrigue, avec une vraie narration de polar sur laquelle je puisse me greffer. Cela se passerait dans une ville et sur des bateaux. J'ai déjà sept, huit personnages en place, de jeunes adolescents. Et après, je vais préparer un film pour enfants. Je ne suis pas papa, j'ai envie d'assumer cette paternité, un rôle de passeur à travers un film qui me permettrait d'avoir en toile de fond un vrai débat de société pour les enfants. Mais ça ne sera pas un film à débat. J'ai déjà été faire du repérage, il y aura une partie qui se tournera en Ecosse. Ce sont deux écritures parallèles que je commencerai à partir de novembre et je prendrais six mois pour mener à bien ces deux projets-là au niveau de l'écriture.
Propos recueillis le 16 juin 2008 par Valentin Morisseau