Le cinéma africain perd l'un des ses grands réalisateurs. Celui qui affirmait en 2005 avoir "un coeur de 20 ans" est décédé ce 9 juin dans son domicile de Dakar, à l'âge de 84 ans. Véritable pionnier du cinéma africain, réalisateur du premier long métrage produit en Afrique Noire, Ousmane Sembene a succombé, "dignement" selon son assistant Clarence Delgado, à une longue maladie. Il laisse derrière lui une dizaine de films, plusieurs romans (Le Docker noir, Ô pays, mon beau peuple, Les Bouts de bois de Dieu, Voltaïque, L'Harmattan, Le Mandat, Xala, Le Dernier de l'Empire, Niiwam, Taaw), ainsi que le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, dont il est l'un des membres-fondateurs.
Un ancien tirailleur devenu écrivain
Originaire d'un village de Casamance, Ousmane Sembene fait partie des tirailleurs sénégalais mobilisés par l'armée coloniale française pendant la Seconde Guerre mondiale. Arrivé clandestinement à Marseille en 1946, il y travaille comme maçon, puis docker. C'est à cette époque que le jeune homme engagé -il milite à la CGT- découvre le cinéma et la littérature. Devenu écrivain, il relate son expérience d'immigré dans Le Docker noir, son premier roman, publié en 1956.
Réalisateur du premier long métrage africain
Désireux de se faire entendre par le plus grand nombre, Ousmane Sembene, bientôt quadragénaire, choisit de s'exprimer à travers le cinéma. Après avoir consulté André Bazin et Georges Sadoul, il part étudier le 7e art à Moscou. En 1963, il signe son premier court métrage, Borom Sarret, qui décrit le quotidien d'un charretier à Dakar. Il passe au long trois ans plus tard avec La Noire de..., l'histoire d'une domestique noire maltraitée par ses patrons blancs. Couronné par le Prix Jean-Vigo, ce film est le tout premier long métrage produit et réalisé en Afrique noire.
Les pages sombres de l'histoire africaine
S'il dépeint avec humour et sans concessions les rapports sociaux dans l'Afrique contemporaine (Le Mandat, 1968), Ousmane Sembene s'attache aussi à évoquer les pages les plus sombres de l'histoire de son continent : les conflits religieux au XVIIe siècle (Ceddo, 1977), ou les affrontements avec l'armée coloniale durant la guerre : Dieu du tonnerre en 1971, puis Le Camp de Thiaroye, Grand Prix du Jury à Venise en 1988, une oeuvre qui revient sur le massacre des tirailleurs sénégalais par des gradés français en 1945.
La condition des femmes en Afrique
Après Guelwaar (1991), Sembene, homme de combats, entame une trilogie baptisée "L'Héroïsme au quotidien", portant notamment sur la condition des femmes en Afrique : il fait le portrait d'une mère célibataire dans Faat Kiné, le premier volet (2001), tandis que Moolaadé -l'un des films les plus remarqués au Festival de Cannes 2004 (Prix Un certain Regard et Mention Spécial du Jury Oecuménique)- est une dénonciation de l'excision. En 2005, le réalisateur s'était vu décerner, toujours dans le cadre du Festival de Cannes, le Carrosse d'Or saluant sa carrière.
La Rédaction d'AlloCiné avec AFP