Mon compte
    "Made in Jamaïca" : rencontre avec Jérôme Laperrousaz et Lady Saw

    Un quart de siècle après avoir tourné "Third World" en Jamaïque, Jérôme Laperrousaz y revient pour "Made in Jamaïca", documentaire sur la musique Reggae, soutenu par de nombreux artistes. AlloCiné a rencontré le réalisateur et l'une des artistes du film, Lady Saw.

    A quelle occasion avez-vous rencontré Jérôme Laperoussaz ?

    Lady Saw : Je l'ai rencontré lors d'un séjour qu'il effectuait en Jamaïque, il y a quelques années, pour son film Stand up for Reggae. J'ai chanté quelques chansons pour lui, et il a été très impressioné par mon talent et ma personnalité (rires) ! Il m'a expliqué que le Reggae avait du succès en France, et lorsqu'il est revenu pour réaliser Made in Jamaica, il m'a proposé d'en faire partie. J'étais vraiment excitée à l'idée de participer à ce projet parce que je trouve ça formidable de pouvoir partager notre culture.

    Que pensez-vous du film ?

    Je pense qu'il est très informatif. En Jamaïque chaque artiste a sa propre histoire, mais lorsqu'il s'agit de musique nous sommes connectés. Vous pouvez venir de la haute société et moi sortir du ghetto, la musique a ce pouvoir qui nous unit. Après, chacun apporte son opinion sur les choses, chacun parle de ce dont il a envie de parler : vous pouvez voir, dans le film, Cat Coore expliquer à son fils Shiah à quel point il est fier de lui et de sa musique, vous pouvez me voir évoquer le pouvoir du sexe féminin, et vous pouvez écouter les musiciens de Third World raconter l'esclavage qui avait cours dans la maison même où ils chantent. C'est en cela que Made in Jamaica est très bon, très informatif.

    En quelque sorte, on peut parler d'un film historique.

    Exactement. C'est une part de notre histoire. Un jour mes enfants pourront le voir et se dire "ouah, maman faisait partie de cette histoire." C'est aussi un film qui évoque la place de la femme en Jamaïque – je suis une porte-parole de la femme dans mon pays. Aujourd'hui, en Jamaïque, le Premier ministre est une femme ; mais il y a encore quelques années les femmes ne pouvaient pas dire ouvertement ce qu'elles ressentaient, et je veux faire en sorte que ça change ; je veux pouvoir dire explicitement ce que j'ai envie de dire, même si parfois je dois me battre pour cela. Dans Made in Jamaica, je suis en quelque sorte la voix des femmes qui ne peuvent s'exprimer comme elles le voudraient. C'est formidable pour moi d'avoir pu jouer un rôle dans ce film, de pouvoir m'exprimer.

    Vous n'avez jamais eu l'idée de faire de la politique ?

    Beaucoup de gens m'en parlent, mais la politique n'est pas mon affaire. En Jamaïque, la politique est une cause de violence et de ségrégation, ce sont des partis qui s'affrontent à coups d'armes à feu. Je ne suis pas intéressée par cela. Voter librement est un droit, mais en Jamaïque, quand vous votez pour un certain parti, les membres du parti adverse viennent vous voir et s'en prennent à vous.

    En Jamaïque, musique et violence sont-elles liées ?

    Les gens ont l'habitude de dire que le Dancehall peut provoquer la violence, dans la mesure où de nombreux chanteurs évoquent les armes à feu, mais ils parlent seulement de ce qu'ils observent tous les jours. Si je chantais que j'ai rencontré Jésus hier, ce serait mentir ; alors je chante à propos de ce que je sais, Bounty Killer chante à propos de ce qu'il sait. Quelque chose d'intéressant est en train de se passer avec le Dancehall : les artistes forcent les jeunes dans la rue à laisser tomber les armes et à danser, ce qui permet d'endiguer la violence dans les rues. Le Reggae et le Dancehall vont dans la bonne direction. Mais la violence est toujours là. De nombreux jeunes obtiennent leur diplôme à l'école et peinent à trouver du travail, alors ils se laissent tenter par le crime et finissent par voler et tuer.

    Le Reggae est une manière de se sortir du ghetto...

    Oui, c'est le seul moyen que nous connaissions. Je n'ai aucun diplôme, donc je n'aurais jamais pu prétendre à un travail d'ingénieur informatique, de docteur, d'avocat ; je n'ai pas non plus l'éducation pour cela. Alors j'ai choisi la musique, c'est cela mon talent. C'est la musique qui a sorti beaucoup d'entre nous du ghetto et de la pauvreté, qui nous a permis de prendre soin de nos familles, de les rendre heureuses, d'aider les autres Jamaïquains ; pour ma part, cela m'a aidé à sortir du ghetto mes neveux et nièces, avant que celles-ci ne se fassent violer, car le ghetto est un endroit terrible pour y grandir, surtout pour une femme. J'ai moi-même vécu dans le ghetto. C'est un endroit dangeureux, les armes circulent, et il y a les "Don", ces parrains qui veillent sur les familles et en profitent pour abuser des enfants. Alors merci à la musique, c'est elle qui nous sauve.

    Propos recueillis par Eric Nuevo le 5 juin 2007, à Paris

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Commentaires
    Back to Top