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    "Tehilim" : rencontre avec le réalisateur

    Après le remarqué "Avanim", Raphaël Nadjari a tourné à Jérusalem "Tehilim". AlloCiné a rencontré le réalisateur à Cannes, où le film a eu les honneurs de la compétition...

    Tu es souvenu venu à Cannes : pour "The Shade" (à Un Certain Regard), puis pour Apartment 5C (à la Quinzaine des Réalisateurs). Cela change-t-il beaucoup les choses d'être en compétition ?

    Il y a quelque chose de très équivalent et de très différent. On vient dans les festivals pour présenter son travail, rencontrer le public. La différence, c'est la puissance de la projection. Tu n'as pas du tout la même impression à cause de la quantité de personnes, de la taille de l'écran. Mais tous font leur travail à leur niveau, j'ai toujours été très content. Tous ces lieux ont été "soutenants". Cette fois, j'ai eu l'impression d'une projection très douce. J'ai fait monter ces marches à des enfants, à des acteurs débutants. Je leur parlais, j'étais avec eux. Je pensais à eux, à l'équipe qui était avec moi et avec qui je travaille depuis des années. Dans la salle, j'ai vu des gens d'un certain âge pleurer, des gens très touchés, d'autres très en colère... J'ai senti une vraie démarche de la part des spectateurs vis-à-vis du film.

    Tu as souvent dit que le film s'était construit au fur et à mesure, tout au long des différentes étapes. Mais quel en a été le point de départ ?

    On cherchait à traiter de sujets comme le particularisme, le communautarisme, de façon un peu différente. On a voulu chercher la vraie position intime par rapport à ces questions. On a essayé de déconstruire le récit traditionnel, de "débaliser" le terrain, d'enlever les repères, de façon à ce que le temps puisse prendre sa place. Il fallait qu'il puisse y avoir des croisements, des renversements... C'est beaucoup de grammaire, et en même temps tout se fait par le sensible.

    Le choix de tourner à Jérusalem ?

    C'est un lieu intéressant. Comment faire pour parler de révélation, de la foi sans être dans quelque chose d'apocalyptique ? C'est très difficile de traiter de ces questions là-bas, car il y a un hors-champ énorme, terrifiant, et intéressant. Mais c'est un hors-champ. Je n'ai pas vraiment les moyens de le traiter, mais j'ai les moyens de questionner : quand il arrive une chose comme ça (une disparition), est-ce qu'il faut croire ou ne pas croire, prier ou ne pas prier, chercher ou ne pas chercher, accepter la chose telle qu'elle est ou se raconter des histoires ? Il y a un ensemble de positions. Donc c'était difficile, mais ça nous donnait une forme d'équilibre, car on essayait d'entendre chaque position. C'était une façon de se désenclaver des problèmes religieux, idéologiques, et en même temps de ne parler que de cela.

    On ne sait pas pourquoi le père a disparu (fuite, enlèvement...) Les comédiens ont-ils eu besoin d'explications ?

    Ca n'a jamais été un empechement majeur parce qu'en fait on réhabilitait cet homme à travers la famille. On comprenait très bien que c'était le père de ce garçon-là, que c'était le mari de cette femme-là. En même temps, il y a dans le film cette idée de confinement, y compris narratif : on a laissé de grands vides, parce qu'il y a une emprise du temps. Les personnages ne cessent d'explorer, mais à la fin le film ne propose pas de solution, parce qu'on va tous vivre cette expérience, on va tous perdre des gens. C'est évident. Et le rapport qu'on a à ça ne peut pas être radicalement intelligible.

    On a beaucoup parlé de Cassavetes à propos de tes films new-yorkais. Là encore, dans ta façon de travailler, en impliquant beaucoup les acteurs, on peut encore y penser. Est-une une référence importante ?

    C'est vrai que dans le principe de deconstruction-reconstruction, dans le travail organique, il y a sûrement beaucoup de choses qui viennent de Cassavetes. C'est quelqu'un qui a compté. Quand je l'ai découvert, je n'ai pas aimé, mais je crois que c'est parce qu'en fait je trouvais ça trop proche de moi, je comprenais les choses de manière trop proche. Et un jour à New York, j'ai vu Meurtre d'un bookmaker chinois, et là il s'est passé quelque chose. Mais c'est difficile à saisir. Morris Engel, par exemple, c'est aussi un cinéaste incroyable, Little Fugitive, son film

    a beaucoup de pertinence. Il date de 1953 et il a sûrement permis à Cassavetes de faire ce qu'il a fait. Mais ce sont des références parmi plein d'autres, y compris littéraires : mon film est hyper-littéraire, il vient de la lecture. Il vient aussi de la réflexion, des idées.

    Quel regard portes-tu sur le cinéma israélien, qui semble dynamique vu d'ici ?

    Je dialogue évidemment beaucoup avec les cinéastes là-bas, eux s'intéressent à ce je fais. Mais je trouve que ce qui est en train se passer c'est l'émergence de l'individu et non de la nation. C'est ça qui devient très intéressant, parce que ça fragmente les choses à l'infini. J'espère que face à un film français, on ne se demande pas : "Est-ce qu'il est français ?" De même, je ne sais pas ce qu'est un film d'américain, maintenant que le western a disparu... Ce serait quoi le cinéma américain : les films de guerre ? Même pas, parce que quand on les regarde, on a l'impression que c'est notre propre imaginaire.

    Propos recueillis à Cannes le 22 mai par Julien Dokhan

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