AlloCiné : Vous avez épousé plusieurs carrières avant de réaliser "Les Contes de Terremer"... Pourquoi avoir décidé si tard de réaliser votre premier film ?
Goro Miyazaki : Ce n'est pas si facile que ça quand vous avez un père qui s'appelle Hayao Miyazaki et qui est connu dans le monde entier... C'est pour cette raison que j'ai longtemps souhaité rester en dehors du monde de l'animation. Par ailleurs, ma mère m'a toujours dit de ne pas suivre les pas de mon père... Ca a été très dur de la convaincre ! (rires)
Avant vous, Hayao Miyazaki avait déjà essayé d'adapter "Les Contes de Terremer".
Oui, il y a vingt ans le producteur Toshio Suzuki et mon père avaient déjà contacté Ursula K. Le Guin (nldr : l'auteur des Contes de Terremer) pour adapter ses livres. En revanche, à l'époque, ils étaient encore jeunes et avaient moins d'expérience qu'aujourd'hui. Ils étaient moins connus aussi et Ursula K. Le Guin avait alors refusé que l'on porte son oeuvre sur grand écran. Mais depuis elle a changé d'avis et nous a contacté directement pour nous en confier l'adaptation cette fois-ci.
Quels sont les points communs entre votre oeuvre et celle de votre père ?
Je ne sais pas s'il y a véritablement de points communs entre nous. De surcroît, mon père d'il y a 20 ans n'est pas le même que celui d'aujourd'hui. Il a évolué. Et de mon côté, je pense avoir fait un film différent de celui qu'il aurait réalisé. Si mon père avait créé ce film aujourd'hui, il aurait choisi comme personnage principal un sorcier plus âgé à la place du jeune Arren. Il aurait adopté le point de vue d'un vieux magicien qui a beaucoup d'expérience dans la vie et qui a, peut-être, des inquiétudes à l'approche de la mort... Son film aurait été complètement différent du mien.
Dans beaucoup de films d'Hayao Miyazaki, la guerre est omniprésente et menace constamment les personnages. Au contraire, dans " Les Contes de Terremer ", l'aventure reste assez intime tout le long du film.
Oui. Cela tient à la différence de génération. Celle d'Isao Takahata et de mon père a vécu la guerre. Ils en ont une vision plus réaliste du fait de leur expérience. Au contraire, ma génération est plus détachée vis à vis de la guerre et si elle essayait de la représenter, ce serait trop artificiel.
Les films du Studio Ghibli sont reconnaissables entre tous. Que pensez-vous pouvoir leur apporter ?
J'ai avant tout essayé d'utiliser le style habituel du Studio, que ce soit avec les dessins des personnages et des décors. D'un autre côté, je n'avais aucune expérience ni de méthodologie qui pouvait me permettre d'adopter un autre style. Donc c'est plutôt dans l'intrigue et la psychologie des personnages que j'ai essayé de me démarquer et d'introduire quelque chose de plus personnel.
Les chansons sont assez rares dans les films de Ghibli. Pourtant celle des " Contes de Terremer " tient une place centrale. Qu'est-ce qu'elle représent pour vous ?
La chanson permet à Arren de comprendre quel genre de vie Therru avait vécu. Plutôt que d'expliquer en plusieurs scènes son passé, comment elle a été battue par ses parents, etc. J'ai trouvé qu'une chanson l'exprimerait avec plus de force.
Dans une des premières scènes du film, le jeune héros, Arren, assassine son père sans véritablement de raison. Connaissant vos relations houleuses avec votre père, faut-il y voir une volonté de rupture, un sentiment inavoué ?
Je n'ai jamais eu l'idée de tuer mon père ! (rires) Mais cette scène évoque ce que je ressens tous les jours en vivant au Japon. Ma génération a le même genre de sentiments qu'Arren, elle vit dans une tension permanente et peut exploser à tout moment.
Qu'est-ce que votre père a pensé du film ?
Je n'ai jamais abordé le sujet avec lui personnellement... Comme tous les Japonais, il est très timide donc il ne m'en a pas parlé directement. En revanche, il en discuté avec des amis qui m'ont rapporté qu'il avait apprécié l'honnêteté avec laquelle j'avais réalisé le film.
Quel est votre film préféré d'Hayao Miyazaki ?
(Il hésite) J'adorais la série Heidi, la petite fille des Alpes. J'aime aussi Le Château de Cagliostro, Nausicaä de la vallée du vent... Je préfère ses oeuvres de jeunesse.
Avez-vous un autre film en préparation ?
Non, je n'ai aucun projet pour l'instant. Je dois justement choisir entre poursuivre dans cette voie ou prendre un autre chemin...
Propos receuillis par Eric Kervern le 28 février 2007