AlloCiné : Ce projet a mis presque dix ans à être porté à l'écran. Comment avez-vous continuer à garder espoir tout au long de cette aventure ?
Edward Norton : Heureusement, ce n'est pas la seule chose que j'ai faite pendant tout ce temps ! Mais c'était très frustrant car nous avons failli réussir à faire ce film plusieurs fois, sans jamais y parvenir complètement. Je pense que nous étions les seuls à être passionné par ce projet. Ce qui m'a permis de continuer a été de trouver quelqu'un comme Naomi Watts, qui a adopté ce projet immédiatement. Je me suis dis que si quelqu'un comme elle aimait mon projet, je ne devais pas être aussi fou que ça ! Un autre acteur était aussi intéressé, et cela m'a redonné la force de continuer. Et puis le scénario m'a interpellé car on ne voit pas souvent ce genre d'histoire. Beaucoup de scripts se ressemblent, mais celui-là était exotique et inhabituel. A partir du moment où j'ai appris que l'on devait aller à l'autre bout du monde pour le tournage, j'ai su que ce film serait une expérience merveilleuse. Donc, tout était réuni pour que je reste motivé...
Vous avez pris certaines libertés par rapport au roman, comme par exemple la fin qui est très différente. Pourquoi avoir pris ces choix ?
Le scénariste Ron Nyswaner et moi avions une certaine compréhension du livre quand nous avons senti que l'auteur, Somerset Maugham, insistait surtout sur les illusions que les gens avaient sur la vie, sur les autres, et la façon dont ces illusions les empêchaient de voir le monde tel qu'il était vraiment. C'était une bonne façon de commencer. Si vous lisez le livre, vous pouvez constater qu'il ne laisse pas beaucoup évoluer ses personnages. Ce livre permet d'observer l'incapacité des gens à se voir vraiment les uns des autres. Ron et moi avons pensé que si on plaçait l'action en Chine, la portée physique et émotionnelle en serait augmentée. Dans le roman, le personnage n'a pas vraiment de lien avec la Chine, c'est plus axé sur l'intérieur des personnages. Nous avons donc fait un film qui s'inspire des questions soulevées dans le livre. Nous voulions imaginer ce qu'il se passerait si les personnages allaient plus loin dans leur observation sur eux-même et sur leur relation.
Et qui a eu l'idée de changer la fin ?
Ron et moi. De nombreuses possibilitées s'offraient à nous et nous en avons discuté longuement. Nous en débattions encore quand le réalisateur John Curran et Naomi sont arrivés sur ce projet. John nous a simplement demandé ce que l'on pensait devoir faire. Et nous voulions tous les deux éloigner l'élément tragique, pour appuyer le fait que le pardon permet aux gens de laisser le pire derrière eux...
Pourquoi vous avez choisi Naomi Watts pour ce personnage ?
Je l'ai vu pour la première fois dans Mulholland Drive, et j'ai trouvé que ce qu'elle montrait était très intéressant. C'était incroyable, elle passait d'une extrême à un autre, de la fille naîve à la femme fatale. C'était un film étrange et surréaliste, mais elle couvre tellement d'émotions dedans. Au début, certaines personnes n'étaient pas vraiment emballées par sa présence dans le film, mais sa carrière a décollé et tout à coup tout le monde était ravi. Je pense qu'elle était la meilleure actrice possible pour ce rôle.
Vous êtes très romantique dans ce film. Etait-ce conscient de votre part d'interpréter ce personnage de cette façon ?
Pas vraiment. Sans raison particulière, j'ai interprété deux fois de suite des personnages qui étaient, d'une certaine façon, romantiques. Dans L'Illusionniste, mon rôle est romantique, mais d'une façon plus fantastique. C'était difficile de faire ce film car le personnage était sombre et mystérieux, et je devais en même temps apprendre à faire des tours de magie... C'était très intéressant. Mais pour Le Voile des illusions, même si c'est romantique, mon défi était plutôt dans le fait que ce n'est pas une histoire d'amour classique sur la rencontre entre deux personnes. J'ai pris cette histoire comme une étude de moeurs sur la façon dont les gens dépendent les uns des autres et la façon dont les hommes peuvent punir quand ils se sentent blessés. C'était assez fondé et ces émotions était intéressantes à faire.
Comment s'est passé le tournage en Chine avec la co-production chinoise ?
C'était une expérience formidable, très enrichissante. Avec le recul, même les difficultées que nous avons rencontré ont fait partie de cette aventure. Nos collègues chinois étaient fabuleux. Leur niveau d'éthique et de responsabilité au travail nous a inspiré. Ils travaillent tellement dur. La façon dont les équipes sont structurées fait qu'ils sont totalement dévoués à leur patron, et si ce dernier se consacre à votre film, alors toute l'équipe l'est aussi ! Tout le monde était dévoué à John, notre réalisateur. Il communique tellement bien avec les gens. Son but était qu'ils comprennent que ce n'était pas seulement un film sur un couple d'Occidentaux qui voyage en Chine, mais surtout un film sur la Chine, et sur ce qu'il s'est passé là-bas à cette époque. Et c'était extraordinaire de tourner une partie dans cet endroit, là où personne n'avait jamais filmé avant. C'était une magnifique opportunité pour tout le monde de participer à ce film, et d'avoir la sensation de faire quelque chose d'unique.
Votre opinion sur la Chine a-t-elle changé depuis ce film ?
Je ne prendrais jamais un jugement sur la Chine avec désinvolture, c'est un pays tellement grand ! Les problèmes qu'il y a là-bas sont aussi compliqués que partout ailleurs. Quand vous êtes touriste, vous avez une expérience très différente que si vous habitez et travaillez là-bas. Quand vous devenez amis avec vos collègues, qui font le même travail que vous mais dans un autre pays, c'est une chose merveilleuse car vous apprenez à les connaître de manière ouverte et sincère. Certaines choses sont différentes mais à la fin vous vous rendez compte que beaucoup de choses sont identiques. L'entente entre les Chinois et nous était entière. C'était merveilleux de parler des choses que nous avions en commun, de partager des histoires...
Propos recueillis par Emmanuel Itier à Los Angeles le 14 décembre 2006