Comment expliquez-vous qu'Hollywood ait racheté les droits de "Hors de prix" ?
Pierre Salvadori : C'est pour être les premiers à avoir les droits pour un truc qui peut être éventuellement intéressant. Je pense qu'Hollywood ce n'est que de l'argent. A priori c'est : "on prend des options sur tout et surtout avant les autres". Sur Cible émouvante, qui est un premier film, c'est venu après. Ce n'est pas comme maintenant, des histoires de business où les gens sentent une comédie, un sujet qui peut se transformer en une histoire américaine, et donc ils le veulent tous, sans même l'avoir vu pour des raisons purement commerciales.
Avez-vous un droit de regard ?
Non, ce n'est pas moi qui ai les droits. Moi je suis un humble salarié ! En tout cas à l'époque, car maintenant j'en ai une petite partie. Après, avec mon producteur, on est consulté : "qu'est-ce que tu penses de untel ?". Il y a une réflexion pour que ce soit le mieux pour nous. De toutes façons, si le film est mieux que le mien, tout le monde dira que c'est très bien, et puis s'il est moins bien, les gens diront qu'il préfèrent l'autre. Pour Hors de prix, les producteurs américains nous ont écrit une lettre avec une proposition de scénario, où Jean doit faire des études en même temps que son travail, pour être un peu plus séduisant. Alors que le personnage de départ n'est absolument pas comme ça, c'est quelqu'un d'effacé, timide, illégitime, qui pense qu'il n'a pas droit au bonheur. Mais c'est un prince. C'est très étonnant de partir d'un principe où un personnage a un profond et fort sentiment d'illégitimité, de sentir qu'il n'a pas droit au monde, et d'en faire dès le départ un mec qui, au contraire, fait des études. C'est le contraire total du personnage.
Quel était votre sujet de départ ?
C'est parti d'un sentiment presque diffus de ce que l'on ressent maintenant, de ce qui peut y avoir d'un peu désolant ou plombant, de ce qui a à voir avec le luxe, l'argent, la consommation. L'idée du bonheur est de plus en plus reliée à ça. C'est vraiment parti de ça, d'une sensation et d'un sentiment. Sur l'idée que l'on est bombardé du matin au soir que l'idée du bonheur est intimement liée à l'idée de possession, de marques. Quand j'avais 15 ans, pour séduire une fille il fallait être malin, rigolo, décalé, marginal, rock n'roll ! Maintenant c'est la mode, et bizarrement, tout ce qui était obscène est devenu le dernier chic et ça s'infuse jusque dans nos vies. C'est-à-dire à partir du moment où on confond luxe et sérénité, où l'idée du bonheur commence vraiment à être légèrement déplacée de l'idéal au matériel. C'est quelque chose qui s'éloigne, l'idée de sérénité. C'est la première fois que je démarre un film sur des sensations et où je parle avec un scénariste et où je lui demande : "qu'est-ce qui t'inquiètes pour tes enfants ? qu'est-ce qui te fais peur pour eux ?". Parce que je considère, maintenant beaucoup plus qu'avant, que mon métier c'est de faire des films. Je suis pas un philosophe, et je ne suis pas quelqu'un, hélas, qui est bombardé d'idée, de buts sur comment devrait fonctionner la société. Moi, mon métier c'est de faire des films. Et de faire des comédies. Pour Hors de prix, je n'ai reçu que des scénarios vulgaires et que je trouve très souvent uniquement dévolu à une efficacité comique avec plus ou moins de bonheur. On réfléchi à ce que l'on ressent, il faut imprimer quelque chose de personnel à une histoire, s'il n'y a pas d'implication il n'y a pas de style, il n'y a rien. Et tout doucement on imagine des personnages, qui au départ sont des figures, c'est à dire qu'ils incarnent quelque chose. Et puis tout doucement il faut les nourrir de contradictions, d'amour. Les acteurs ont été choisi dès que j'ai eu le sujet. Tout ce qui est d'un ordre un peu plus idéal, transcendant, la beauté, la notion de gratuité, tout s'efface totalement. Et moi c'est de ça dont je veux parler.
C'est pour ça que vous avez placé l'action du film dans des lieux très superfiels et très luxueux, comme les palaces ?
Après les choses viennent tout doucement. Le décor, les personnages, moi je ne connais pas tout ça. Après on essaie de se demander quel est l'Eden pour des gens. Il existe un Eden pour beaucoup de gens, un paradis étrange situé dans le Sud où il fait toujours beau avec des murs très haut pour bien qu'on nous foute la paix. Mais tout ça c'est peut-être une histoire de peur de l'aventure. Parce qu'après ce que je propose à ces personnages là, c'est une histoire d'amour, et on dit souvent de quelqu'un qu'il a une aventure. C'est une aventure amoureuse, dans le sens où on peut se perdre. Mais après c'est le romanesque, la comédie. Le sujet de départ c'est évidemment ça, comment deux personnages soumis s'émancipent et se libèrent. Pour Irène, elle devait se libérer d'une idée du bonheur extrêmement difficile, c'est un soldat, prête à tout pour avoir sa part du gâteau, quelque chose qui s'ingère, se consomme, avec un bonheur immédiat. Pour moi, faire une comédie c'est déjà avoir un point de vue. A partir du moment où on choisi un sujet qui est plus ou moins âpre, ou qui pose un constat amer sur certaines choses, si on choisit la comédie on choisit l'ironie, une forme d'optimisme, une forme de vitalité. La comédie c'est quelque chose d'un peu subversif, qui s'insinue, qui fait dire des choses. A partir du moment ou je choisis de faire des comédies, j'ai cette envie de traiter le sujet d'une façon légère, décalée, avec des ellipses, des quiproquos, des malentendus, d'utiliser la comédie. On cherche des personnages un peu glamour, décalés, qui ont à voir avec le sujet, et il n'y a pas plus évident qu'une fille un peu vénale.
On dirait que vous vous êtes résigné à faire des comédies, faute de faire mieux...
Ah non, pour moi il n'y a pas mieux ! Pour moi, la comédie c'est profondément cinématographique. Mais c'est dur et c'est ingrat. Parce qu'à priori, rien ne doit se voir dans la comédie, ni dans la mise en scène, ni dans les faits, sinon on est vraiment dans le troisième degré, dans le pastiche. Il faut être dans le premier degré, dans le récit, que rien ne se voit. C'est un fardeau dans le sens où réussir une comédie, c'est beaucoup de travail.
Quelles sont les comédies que vous avez apprécié récemment ?
En allant voir Little Miss Sunshine, j'ai trouvé qu'il y avait quelque chose d'intéressant. Ça m'a interrogé. Je me suis dit que j'avais peut-être envie de revenir au style des Apprentis, à quelque chose de l'ordre de la chronique, moins de la métaphore. Les Apprentis, c'était très autobiographique. Je me suis vraiment interrogé sur le fait de raconter l'histoire de Hors de prix d'une façon beaucoup terre à terre, moins elliptique, avec plus de dialogues. J'ai une idée de la comédie qui est tellement haute, je cours après le graal inatteignable ! Je ne sais pas pourquoi je m'impose ça. J'ai presque l'impression que c'est plus pur, que c'est plus abouti, que c'est un pur objet de cinéma, alors que la chronique c'est plus à cheval sur le documentaire. Je n'aime pas l'autofiction. Quand on finit un film, on a tellement souffert physiquement, on est fatigué, surtout qu'on a mis trois ans à le faire... Comme le dit Truffaut, on fait toujours un film contre un autre.
Vous êtes heureux d'avoir fait ce film ?
Je suis super heureux. Après je me dis : "Peut-être 10 minutes de moins..." parce que je ne suis pas en extase devant mon film. Mais j'ai réussi à faire ce que voulais. c'est à dire que je pense que je n'ai jamais autant réussi dans l'ellipse, dans la mise en scène, dans la direction d'acteur. Mais après, c'est très technique. Le spectateur ou le journaliste regarde un truc, vous courez après un autre. Je cours après la comédie parfaite, la finition parfaite. Quand je trouve une ellipse, ça me met dans un état ! Quand je trouve le retournement de situation de Gad, quand par amour il devient comme elle, il l'épouse comme on épouse une forme. Ça enlève l'idée qu'à aucun moment il puisse lui faire la morale. C'est un geste d'amour merveilleux. Le processus est douloureux.
Comment avez-vous choisi les acteurs?
Après avoir trouvé le sujet. Après les quinze pages qui racontent l'histoire à peu près, j'ai pensé à eux tout de suite. C'est ceux que l'on a voulu en premier que l'on a eu. Pour Audrey Tautou, j'avais prévenu son agent de peur qu'elle soit très demandée. Mais elle n'a pas voulu savoir qui écrivait pour elle. Tandis que Gad l'a su tout de suite. Un an avant, ils savaient que j'écrivais pour eux. Sauf que ça a pris du temps, donc Gad se demandait ce qui se passait. On les a prévenu en 2003.
Que pensez-vous des autres comédies sentimentales ?
Paradoxalement, je n'aime pas trop les comédies sentimentales. Je préfère les comédies. Parce que dans la comédie sentimentale, on propose toujours le bonheur comme solution à tous les problèmes. Deux personnages ne s'entendent pas, ils ont pleins de problèmes et ils finissent par trouver l'amour. Dans Hors de prix, ils s'aiment depuis le début, c'est comment elle va dépasser un truc en elle d'un peu obsédant, comment elle va s'en libérer. Il faut vraiment qu'elle s'aperçoive qu'elle ne pourra pas s'en passer. Ce qui l'a libère, c'est la jalousie.
Pourquoi avoir choisi Biarritz comme point de départ ?
Il fallait bien commencer quelque part ! Comme après ils partent, on cherchait un endroit un peu élégant mais désuet, où Gad serait dans un hôtel un peu vide, pas dans le mouvement de la Riviera, de la Côte d'Azur, qui était pour la deuxième partie. On a cherché en Normandie car on voulait un côté plus vieille France. Et pour la seconde partie, elle l'emmène dans son monde, plus tape à l'oeil. C'est pour ça, il fallait qu'il l'a cherche, il fallait deux étapes. Dans le Sud, on ne sait pas où c'est. Un coup c'est à Monaco, à Nice ou à St Tropez. C'est pour garder le côté un peu abstrait, métaphorique du récit. On ne voulait pas que le personnage d'Irène ait des origines, qu'on sache d'où elle venait, même si on y a pensé un moment. On ne voulait pas donner une dimension psychologique au personnage. Si on commençait à la décrire, elle perdait ce côté mystérieux.
Comment s'est passé le tournage?
Le tournage s'est super bien passé ! Tout d'abord, l'écriture et le montage sont tellement dur que je veux que le tournage soit toujours heureux. Donc je m'y efforce. On est tous ensemble, on retrouve, on rigole, on boit des coups. Ce qui était formidable c'est le jeu, de voir que ça marche entre deux acteurs, qu'Audrey a le sens du rythme d'une façon incroyable, de l'ironie, de la fantaisie, et que je peux utiliser le corps burlesque de Gad comme je veux. Là, les choses s'éclairent. On est rassuré. Le tournage est fatigant mais on ne le sent pas. Il y a l'énergie des autres, et ça j'adore. C'est la cerise sur le gâteau !
Propos recueillis par Aurélie Garreau à Paris le 06 décembre 2006