Le mystère "Ils"
Michaël Cohen : Ils, c'est l'histoire d'un couple expatrié en Roumanie. Elle est professeur de français, lui est écrivain. On leur a prêté une maison isolée, une belle maison, très grande, une maison qu'ils n'auraient jamais pu se payer à Paris. Ils sont heureux, ils s'aiment, c'est un couple comme il y en a beaucoup... Et puis un soir, ils entendent un bruit, pis deux, puis trois, et ça ne va plus s'arrêter. Ils sont envahis par des "Ils "... Voilà ce qu'on peut en dire. C'est un film qui réveille nos peurs primales, nos peurs d'enfant : on est chez soi et tout à coup, des gens débarquent et nous veulent du mal. Et ils ne partent pas : quoi qu'on fasse, ils ne partent pas. Comme souvent sur des films de genre, il y a plein de choses qu'on ne eut pas raconter. La base est assez classique, mais le traitement est original. Même si les deux réalisateurs ont vu beaucoup de films de ce genre là, je trouve qu'ils ont bien digéré leurs références et qu'ils ont réussi à en faire quelque chose de très personnel et d'original.
Le genre en France
Je n'ai pas tout vu bien sûr, mais jusque-là je trouve que ça n'a marché qu'une fois : Haute tension d'Alexandre Aja. Donc quand tu reçois le scénario d'un film de genre français, tu as une appréhension, une suspicion... Mais sur Ils, ça a été différent. Je commence à lire le scénario et là, petit à petit, je rentre dedans. Je ne suis pas peureux, je suis chez moi, et pourtant je commence à flipper, je ferme ma porte à clé... Donc dès le départ, je me suis rendu compte qu'il y avait "quelque chose" dans cette histoire. Après, j'ai rencontré les deux réalisateurs qui me raconte ce qu'ils ont envie de faire, qui me parlent de leurs références et je vois deux mecs qui ont passé leur vie à voir tous ces films, à les bouffer, les recracher, les analyser, les critiquer, les aimer... Ils les connaissent par coeur. Donc je me dis qu'avec un scénario aussi précis et des mecs qui ont une telle culture du genre, il peut se passer quelque chose.
Les essais
Ils ne me disent pas tout de suite que je suis pris. Je pense qu'ils le savent assez vite mais ils me font faire des essais avec différentes comédiennes pour trouver leur actrice et trouver un couple. J'ai fait une trentaine d'essais avec une trentaine de comédiennes différentes. C'était aussi une manière pour moi de voir leur façon de travailler. Ils nous faisaient faire des choses très dures aux essais, ils ne voulaient pas qu'on triche et souhaitaient qu'on y aille fond. Même si c'était parfois un peu maladroit ou imprécis parce que c'est leur premier long métrage, j'ai vu qu'ils savaient où ils allaient et ce qu'ils voulaient. Ensuite, ils choisissent Olivia Bonamy, une actrice que j'adore, et je me dis que tout est réuni pour que le film ne soit pas trop "ridicule", et quand on le tourne, on sent qu'il se passe quelque chose. On sent qu'il y a une vérité, une réalité, une sincérité, quelque chose qui n'est ni truqué ni fabriqué. On va tous dans le même sens : le film est tiré de faits réels, et on a tous eu envie de faire un film réel. Pour que quand on le voit, on puisse vraiment se projeter et vivre cette histoire à travers ces personnages pour ne pas avoir à la vivre dans la vraie vie. C'est l'essence même du cinéma je crois...
Un film ancré dans la réalité
C'est exactement comme ça que nous avons travaillé. C'est la première fois dans mon travail d'acteur que je n'ai pas essayé de composer un personnage. J'ai bossé selon la méthode de l'acteur studieux : j'ai travaillé studieusement chaque situation en me demandant "Moi, Michaël, comment réagirais-je ? Comment est-ce que je la vivrais ?". C'est un mélange d'Actors Studio et d'un truc plus français : on essaye de se demander instinctivement comment on réagirait ? J'ai donc essayé de le jouer étape par étape, comme si je le vivais et non le personnage.
La peur
C'est un film basé sur la peur. C'est d'ailleurs plus un film basé sur la tension psychologique et l'angoisse qu'un film d'horreur. Je craignais les "redites" de peur, de rejouer tout le temps la même peur. L'enjeu, c'était donc d'exprimer ces peurs tout au long du film sans avoir l'impression de vivre tout le temps la même peur. J'ai découvert qu'il y avait mille façons de jouer la peur : on peut crier, on peut être tétanisé, on peut pleurer... Il y a vraiment mille nuances différentes. Après il faut trouver quelle peur correspond au moment présent... Nous avons beaucoup travaillé en amont là-dessus avec Olivia et les deux réalisateurs pour définir la façon d'exprimer la peur sans lasser les spectateurs. On s'est rendu compte par exemple en répétant que dans ce genre de situations, on ne parlait pas beaucoup. Donc nous avons coupé pas mal de dialogues, nécessaires à la lecture du scénario pour comprendre ce qu'il se passait, mais qui dans la concrétisation au moment du tournage n'était plus indispensables. Dans ce genre de situation, on ne commande pas ce qu'on vit : on le vit et on parle très peu.
L'expérience "Ils"
C'est mon premier rôle principal, mais au-delà de ça, c'est un rôle assez rare dans le paysage cinématographique français je crois. Ce n'est pas un rôle basé sur des scènes de comédie, de jeu ou de dialogue. Tout est basé sur le corps, des états émotionnels, du ressenti... C'est quelque chose d'assez théâtral dans l'approche. Souvent au cinéma, c'est le visage, le regard, le dialogue, l'expression minimaliste qui compte : ici, tu es obligé d'être habité des orteils jusqu'aux cheveux. C'est un travail qui n'est proposé que très rarement aux acteurs de mon âge. C'est quelque chose d'assez unique dans le genre...
Construire un couple vrai
Sans langue de bois, toutes les comédiennes à qui j'ai donné la réplique étaient vraiment excellentes. Chacune amenait quelque chose de différente et d'original. Olivia Bonamy était l'une des dernières avec qui j'ai fait ces essais : on se connaissait depuis longtemps, nous avions tous les deux fait partie des jeunes comédiens parrainés par Canal Plus, nous avions tourné un court métrage ensemble, une pièce de théâtre, on est amis dans la vie... J'ai passé les essais avec la même intensité que pour les autres actrices, mais on ses tous dit, une fois qu'elle était partie, qu'il s'était passé quelque chose. Peut-être un peu plus qu'avec les autres, une crédibilité entre nous deux, une véracité de couple... D'ailleurs, quand nous avons répété en amont du tournage avec les réalisateurs, on a beaucoup improvisé tous les deux : on se répond très bien l'un à l'autre, et ils ont réécrit beaucoup de choses en fonction de notre complicité. Je pense que ça a rassuré les deux réalisateurs, car nous avions très peu de temps pour faire ce film, très peu de temps pour le préparer, et que nous n'avions pas besoin de travailler cette complicité.
Une vraie réalité
Il n'y a pas de héros ou d'héroïne, et je pense que dans la vie ça se passerait vraiment comme dans le film. Un mec ferait tout pour défendre sa nana, mais ce serait le premier à être attaqué et affaibli pour créer le déséquilibre, et la fille prendrait le relais. Nous avons tous des instincts de survie, femme comme homme, et des instincts de survie de couple aussi, car il s'agit ici de deux personnes qui veulent survivre ensemble. Ce sont deux personnages qui ont un instinct de survie à deux, plus qu'un instinct de survie personnel : ils vont donc se défendre et se protéger l'un et l'autre à tour de rôle.
Un tournage sous tension
C'était très étrange ce tournage. On a vécu sous tension permanente durant les cinq semaines de tournage. On a vécu le film comme les personnages. Par exemple, dans la scène où je descends voir d'où vient le bruit, depuis la chambre jusqu'au rez-de-chaussée armé d'un tisonnier, je sais que la caméra me suis mais au bout d'un moment je l'oublie vraiment et j'oublie l'équipe. Je suis seul en Roumanie, j'entends un bruit, j'ai vraiment l'impression qu'il y a quelqu'un dans cette maison, je tremble, j'ai la chair de poule... C'aurait pu durer encore des heures et j'aurais pu faire toute la maison avec ce tisonnier, et m'attendre à tomber sur des "Ils". Je dois beaucoup ça aux réalisateurs qui ont réussi à nous mettre dans cette tension là, parce que nous avons presque tourné le film en temps réel, quasiment sans ellipse. On n'avait pas besoin qu'ils nous fassent "Bouh ! pour avoir peur : on y croyait, et on a jamais fait semblant. Comme nos personnages, on était expatriés, on était isolés dans cette maison, on tournait de nuit, sous la pluie, dans des souterrains... Nous étions dans les mêmes conditions que nos personnages. Donc ça aide énormément. Ce tournage, c'était pas des vacances : on a souvent l'habitude d'entendre des acteurs dire ça à propos d'un tournage mais pour nous, ce n'était vraiment pas le cas. On avait peur, quoi ! (Rires)
Un "Blair Witch" à la française ?
Le Projet Blair witch avait quelque chose de très réel aussi, de par l'aspect documentaire du film et ces cassettes soit disant retrouvées... Je crois donc que la comparaison tient au côté très réel, presque documentaire des deux films, et à la tension permanente. Sauf que Ils diffère dans la forme, car c'est bien filmé, avec de beaux cadrages, ce n'est pas de la DV qui tremble, il y a une lumière magnifique, une bande-son... C'est du cinéma, quoi, ce n'est pas le dogme... (Rires) Donc on peut effectivement trouver un parallèle, mais moi je ne suis pas pour qu'on compare les films, même si je peux comprendre que les gens aient besoin de savoir où se situe Ils par rapport à tous les films qui sortent.
La peur au cinéma
Massacre à la tronçonneuse m'a traumatisé, Shining, comme beaucoup, m'a marqué à vie : c'est le film parfait, la perfection au niveau de la mise en scène, du jeu, du scénario... J'aime beaucoup les films de M. Night Shyamalan aussi : Sixième Sens et puis Signes surtout. J'aime sa manière de suggérer les choses dans ce film, comme dans Ils d'ailleurs. J'aime beaucoup au cinéma quand on ne nous impose pas les émotions : j'aime qu'on nous suggère les situations, après, à nous de les vivre comme on a envie de les vivre. Et puis il y a des films qui m'ont vraiment effrayé, pas des films d'horreur mais parce qu'ils étaient vraiment nuls ! Mais on ne donnera pas de titres... (Rires)
Propos recueuillis par Yoann Sardet le 3 juillet 2006 à Paris