L'après "Bloody Mallory"
Olivia Bonamy : Il n'y a pas de comparaison à faire, car ça n'a vraiment rien à voir. Mon agent, qui est celui de Michaël Cohen également, m'a conseillé de lire ce scénario, car c'était un truc vraiment particulier. Je l'ai lu le soir même, et très vite ça ma plongée dans l'ambiance du film. J'ai décidé d'arrêter la lecture car ça me mettait très mal l'aise. Et je n'ai pu reprendre que le matin. Dès l'écriture, il y avait vraiment quelque chose... J'ai ensuite rencontré Xavier Palud et David Moreau, j'ai beaucoup aimé la façon dont ils m'ont parlé du film également, et ils m'ont rappelée quelques jours après pour me proposer de passer des essais assez "particuliers". Il y avait des scènes écrites, des scènes du quotidien, et puis des scènes surprises, des scènes d'improvisation autour de la peur. J'avais pas mal d'appréhension, mais je me suis totalement prêtée au jeu, et apparemment ça a fonctionné. Autant j'ai pu préparer les deux scènes de quotidien, autant on ne peut pas se préparer à ces scènes de peur. J'étais "ouverte à", prête à jouer le jeu... J'étais ravie parce que non seulement le film est un vrai pari, mais en plus pour un acteur, jouer sur la peur sans tomber dans les clichés et une redondance, et vivre ça de l'intérieur, c'était quelque chose que je n'avais jamais fait et que j'avais envie de faire.
La préparation
Ce n'est pas toujours le cas au cinéma, mais une fois que nous avons été choisis avec Michaël Cohen, nous avons eu la chance de pouvoir travailler à la manière d'une pièce de théâtre : on a revu en détail le scénario, on essayait, on se trompait, on touchait des choses... On a exploré totalement cette histoire pour se construire de manière psychologique, se construire de l'intérieur et se mettre en état d'alerte. On savait qu'on n'aurait pas beaucoup de temps sur le tournage, donc il fallait qu'on puisse mettre ça en place rapidement une fois sur place. C'était assez étonnant car d'habitude, on a tendance à se préparer psychologiquement pour quelques scènes un peu difficiles : là, tout le film était comme ça, donc il nous fallait autre chose. Et cet autre chose, ce sont les deux réalisateurs qui nous l'ont apporté en nous plongeant dans cette ambiance, notamment à travers un tournage vraiment particulier : trois quart de nuit, maison isolée en Roumanie, aucun confort, histoire inspirée de faits réels. On avait été construits de l'intérieur : grâce à tout ça, on n'avait plus qu'à vivre les choses.
Le tournage
Physiquement c'était dur, psychologiquement aussi. On était tous en état d'alerte et de tension constant. Mais en même temps, c'est un film que nous avons construit ensemble : les deux réalisateurs avaient une vraie ouverture d'esprit par rapport à ça, chacun amenait sa pierre à l'édifice, et il y avait un vrai échange entre tous, acteurs, réalisateurs et chef-opérateur. C'était passionnant. Et dans la passion ça implique beaucoup de choses aussi, beaucoup de tension notamment. Ca n'a pas été un tournage lisse, loin de là... Mais malgré la tension, on était super soudés : pas seulement dans l'amitié, mais dans cette volonté d'avancer vers la même chose et de tutoyer un instant de vérité. C'est ce qu'il y a de plus dur, et c'est ça qui est beau dans le cinéma : c'est cette quête qui est intéressante.
A l'aveugle
C'était un tournage "meuble". Rien n'était fixé. Chaque minute entraîne une réaction différente, chaque minute est un moment à gérer pour les personnages, un moment qui les entraîne vers un instinct de survie. Donc il faut être sans arrêt en réaction. L'instinct de survie vous donne ça : chaque étape est une étape importante et une minute de plus dans leur vie. Donc le film ne pouvait pas être fixé à l'avance avec des plans bien précis : on aurait été moins bons je pense... Ce n'est pas un hasard si le film s'est fait comme ça : ça a été une recherche permanente. On a appris en amont à être ouverts à ce qu'il allait se passer. On a ouvert une porte, la porte des émotions, des tensions... Après on a joué et composé avec ça, ce qui nous a permis de jouer sans se préoccuper des angles de prises de vue. Grâce à ça et au fait de toner avec une petite caméra numérique, les deux réalisateurs pouvaient "improviser" eux aussi : il y avait toutes les possibilités pour eux au niveau de la mise en scène et pour nous au niveau du jeu. Ce n'est pas un film installé, ça ne pouvait pas être un film installé et nous ne pouvions pas être installés. La mise en scène et le jeu ont vraiment eu un vrai parallèle. On a bien construit pour déconstruire et refaire. Un peu comme au théâtre : on ne peut rien figer, on recréé constamment.
La peur
Je savais que ça allait être un tournage difficile, car il allait aussi me mettre face à mes propres peurs, des peurs d'enfants notamment. Il y a une scène dans le film où je me retrouve seule perdue dans les bois, qui peut renvoyer à la scène que j'avais vue petite dans Blanche-Neige et les sept nains. Pour ce genre d'émotions, je ne suis pas pudique : si on me demande, je peux donner. Un acteur peut, en soi, donner tout : en face, il savoir demander et amener ça. Avec Michaël, je crois qu'on s'est totalement abandonnés. Personnellement, je crois que vraiment j'ai flirté sur ce film avec mes limites physiques et psychiques. J'ai été capable d'aller aussi loin grâce aux deux réalisateurs car ils ont su créer ce contexte là.
L'expérience "Ils"
En tant qu'actrice, j'ai découvert le dépassement de soi. Et puis ce film m'a fait faire un grand pas, il m'a apportée beaucoup dans mon travail de comédienne : je suis plus ouverte aujourd'hui au moment présent pour mon personnage dans un film. Je crois que c'était important de bouleverser ma façon d'appréhender le jeu : je n'avais jamais travaillé de cette manière là, et je n'avais jamais autant donné émotionnellement dans un film. C'était de l'ordre du ressenti, plus du jeu. On essayait sans arrêt d'être au plus juste, il y avait une vraie recherche de sincérité et de crédibilité. On a fini par vivre plus ou moins ces situations, ce qui était loin d'être facile... Accepter de se mettre dans des états pareils, c'est très particulier... C'est un drôle de métier quand même ! C'est ce qu'on n'arrêtait pas de se dire avec Michaël. Même physiquement, j'avais les stigmates du tournage : chaque jour, j'avais un nouveau bleu ou une nouvelle trace qui marquait une étape de plus dans l'avancée du film, et au final, j'étais couverte de bleus. Et quand on se croise dans le miroir en sortant de la douche, on se dit "Qu'est-ce que je suis en train de faire ?". C'est étrange, et en même temps c'est bon. On est complètement maso en fait... (Rires)
Un tournage qui laisse des traces
Pour la première fois, oui, ça m'a laissé des traces. Sur tous les autres films que j'ai faits, ça s'arrête une fois le tournage terminé : on fait la fête, on rigole et on est prêt à passer à autre chose. Ils, par contre, m'a mise mal à l'aise : le soir je dormais mal, et même après le tournage, la nuit, j'étais tout le temps en état d'alerte. D'ailleurs, j'en avais tellement marre que je suis allée consulter un spécialiste, qui m'a appris que j'avais ce qu'on appelle le "syndrome du veilleur"... Quand j'ai vu le film pour la première fois, j'ai eu du mal car ça m'a replongée là-dedans et je revivais les scènes. Emotionnellement, c'était très dur... Même le making-of m'a fait ça : il y a un moment, qui m'a été complètement volé d'ailleurs, où je craque complètement dans le noir et je me souviens de ce moment-là, un moment horrible. C'était un film fort... et donc épuisant. Ce n'était pas difficile de maintenir cet état de peur et de tension, mais c'était éprouvant. Nous étions dans un état de nerf constant : c'est comme si on avait pressé un bouton au premier jour et éteint après... avec quelques résidus pour certains ! (Rires). Et même en promo, ça me le fait : de reparler de certaines choses, ça me les remet en mémoire. Je ne vais peut-être pas bien dormir ce soir d'ailleurs... C'est un peu comme les actrices de Shining ou de Massacre à la tronçonneuse, qui ont été traumatisées : ce ne sont pas des films anodins dans une vie.
Un "Blair Witch" à la française ?
Je n'ai pas vu Le Projet Blair witch. Mais c'est peut-être la manière radicale de faire Ils, et le fait qu'il ait été tourné e DV, qui fait dire ça... En même temps, c'est marrant parce que c'est complètement l'inverse : sur Le Projet Blair witch, ils ont fait croire que c'était un fait réel et ils ont fait un buzz par rapport à ça, alors que Ils est inspiré d'un véritable fait réel et les deux réalisateurs ont composé autour du fait réel... Il faudrait peut-être que je le vois un jour, Le Projet Blair witch. Mais bon, de jour et entourée ! (Rires)
Peur à l'écran
Ma première, ça remonte vraiment aux Walt Disney : Blanche-Neige et les sept nains, Bambi... Traumatisant. Et plus tard, Amityville, la maison du diable qui passait à la télé quand j'étais petite et pour lequel j'avais une sorte d'attirance / répulsion. Et puis tous ces chefs d'oeuvre : Shining de Stanley Kubrick, les David Lynch et Lost Highway notamment... Et puis il faut que je vois Les Autres. Quand je sais que ça fait peur j'ai du mal à y aller, mais finalement, c'est quand même bon... Je crois qu'on est tous fait de ça, ça fait partie de notre construction. C'est important de faire lire des contes un peu effrayants aux enfants je crois. Et nécessaire. C'est comme Ils : est-ce que ce genre de films n'est pas nécessaire pour expulser nos peurs et les "poser" quelque part plutôt que de les laisser exister de façon abstraite ? Donc... euh... je ne sais pas, moi... Allez voir Ils ! (Rires)
Propos recueuillis par Yoann Sardet le 3 juillet 2006 à Paris