AlloCiné : Avant même sa sortie, "Foon" fait beaucoup parler de lui, que cela soit par le biais de la presse où par celui des internautes, parfois en des termes peu élogieux. Sur notre site, par exemple, certains internautes sont particulièrements virulents. Qu'avez-vous à leur répondre ?
Benoît Pétré : Concernant les critiques de la presse, on a le droit d'aimer ou de ne pas aimer, mais je trouve que certaines critiques sont bêtement méchantes, et que c'est un jeu un peu sadique de dégommer certains films. Sérieusement, je pense que si on se fait attaquer, c'est en partie parce que, dans l'esprit des gens, on a fait de la télé avant le cinéma et que l'on a fait Foon vite fait en arrivant de Canal + afin d'être connu. Alors que ce n'est pas ça du tout, on a fait Canal + un an après le film.
Mayane Delem : Je pense que les cinéphiles qui aiment le cinéma, qui s'y intéressent ont de l'estime et apprécient le travail amateur, artisanal... Nous, on vient vraiment de là. Je trouve donc ça bizarre de casser du sucre sur notre dos : on vient des courts et de la DV, on a monté une boîte de production avec quasiment pas d'argent. Et on a fait Foon parce qu'on a été repérés grace à ce travail. On est une bande de potes qui avons réussi à faire un film sans aucune tête d'affiche au générique. Donc, c'est bizarre qu'on se fasse attaquer par des gens qui, certainement, ont la même sensibilité que nous. Quelque part, j'espère qu'on peut ouvrir la porte de ce cinéma-là grace à notre parcours. Après, en effet, il y a des gens qui n'aiment ou qui n'aiment pas le film. On le comprend tout à fait. C'est assez barré pour qu'il y ait des gens qui détestent ou des gens qui adorent. Mais les attaques sur la démarche, c'est bizarre, car je trouve, sans prétention, que notre démarche est plutôt humble et honorable.
Morgan Perez : En tout cas, quoi qu'en disent les gens, je suis heureux d'une chose : on a fait le film que l'on voulait. Avec nos propres moyens, notre propre expérience, c'est à dire pas grand-chose. (rires) On est fiers de Foon, on a mené ce projet jusqu'au au bout. Après, la critique, c'est normal, il y en a toujours, et parfois elle est méchante. C'est le jeu.
Parlons de "Foon", c'est un hommage à votre vie lycéenne ?
M. D. : Oui, et d'ailleurs, il y a un rapport avec votre première question. C'est amusant, car Foon est un film sur une guerre de bandes, qui se détestent et qui s'affrontent : les Foon et les Pas Foon. Je trouve ça génial que cela crée une polémique où les gens s'affrontent vraiment ! Il y a ceux qui détestent et ceux qui adorent. Le parallèle est amusant.
B. P. : Après, ceux qui n'aiment pas le film ne sont pas forcément Pas Foon, attention ! (rires)
M. P. : Bon, le film est particulier, et c'est vrai que tout le monde n'adhère pas.
M. D. : Et je dirais tant mieux, car ça veut dire qu'on a été au bout de notre truc, vraiment. C'est assumé jusqu'au bout, sinon ça ne rime à rien. On a fait ce qu'on voulait à 100 %, c'est génial. Quand tu n'es pas dans le compromis, c'est normal que tu ne plaise pas à tout le monde. Je suis assez fière de ça. Car les gens qui adhèrent à notre univers y adhèrent à fond.
Autre critique adressée au film, l'utilisation continue du "franglish", langue mêlant le français et l'anglais...
B. P. : Je trouve que c'est un élément humoristique fort. Si on avait abandonné l'idée du "franglish" au milieu, c'était nul. Juste une scène pour dire : "Regardez, on peut faire du franglais", c'était pas terrible à nos yeux. Sinon, j'ai aussi vu que les internautes s'interrogeaient sur le budget du film. Il y a marqué 1,4 millions d'euros. Mais même avec cette somme, c'est très dur de faire un film. Il faut savoir que le budget de fabrication était de 600 000 euros. 1,4 millions, c'est le coût total du film. Pour le moment tout le monde y est de sa poche et à perte. Les Bronzés 3, c'est 25 millions d'euros, il y a 25 films là-dedans ! (rires)
M. D. : On attend, maintenant. On a Harry Potter en face, bon... (rires) Tout le monde ira voir Harry Potter ! J'espère que le choix qui se posera au spectateur ne sera pas Harry Potter ou quelque chose d'autre, mais plutôt Harry Potter ET quelque chose d'autre. Espérons que ce quelque chose soit Foon.
"Foon" est le prolongement d"un de vos courts métrages ?
M. D. : Oui. Le court métrage était une parodie de bande-annonce d'un film américain, où on te raconte tout le film en 1 minute 30. On a fait ça en "franglish", mais c'était plutôt du yaourt.
M. P. : D'ailleurs, au départ, pour Foon, on voulait parler en yaourt avec des sous-titres. Mais le souci, c'est que les chaînes de télévision n'achètent pas les films français sous-titrés. Alors on a un peu changé notre idée de départ pour aboutir au "franglish." Déjà que le CNC ne considère pas que notre film est vraiment français... (rires) Sans rire, le quota était bon pour nous, mais la question a été posée par le CNC !
B. P. : On a été obligés de mettre moins d'anglais par moments, sinon Foon n'existerait pas ! Notre producteur, Louis Becker, a été génial, il nous a bien informé sur tout ça ! Mais on a pas eu à trop se brider, vous verrez ! (rires)
Louis Becker qui est venu défendre "Foon" sur les forums d'AlloCiné !
B. P. : Ca, c'était nul ! (rires) C'est papa, fallait pas, papa ! (rires) En même temps, il réagit...
M. P. : J'ai trouvé ça tellement touchant de sa part qu'il nous protège comme ça. Ce n'est quand même pas un petit producteur, ce n'est pas son premier film, et tout d'un coup, il s'emporte pour un petit film, il a de la peine...
M. D. : Louis est presque venu nous attraper dans la rue, il nous a donné l'occasion de faire Foon en nous donnant carte blanche, il était passionné. On est un peu ses enfants, alors quand on nous attaque, il nous protège, il a peur pour nous. Sans Louis, on aurait continué à faire des courts. Quand il est venu nous voir, on venait de gagner un prix dans un festival, et on s'est dit qu'on allait avoir de l'argent pour un autre court métrage. Mais l'argent, c'était pour un long. Surréaliste ! Et ça nous a amusé de repartir sur l'histoire du court qui nous avait à la fois apporté un prix et la rencontre avec Louis.
Avec "Foon", vus rendez un drôle d'hommage à vos années-lycée !
M. P. : Foon, c'est un peu tous nos rêves d'école. Ca nous permet de reparler du lycée, de qui nous étions au lycée, comment on l'a vécu. Ce sont des moments forts à cette période, les sentiments naissent, tout est exacerbé, c'est un un endroit et une période de découvertes. Moi, Teddy like a puceau, je découvre notamment le sexe au lycée ! (rires)
M. D. : Nous, comme on aime le théâtre, on aime les choses fortes, puissantes, exacerbées, avec des personnages hauts en couleurs. On ne voulait pas un truc réaliste, mais quelque chose entre le cartoon et la tragédie. Les années 60, l'Amérique, l'adolescence, constituaient un merveilleux terrain de jeu pour ça.
B. P. : Le film est un hommage aux séries télé et aux films qu'on a bouffés durant notre adolescence. On allait pas aux bals de promo, on avait pas de casiers, mais des cartables de dix kilos, alors on s'est vengés en réalisant Foon ! (rires) Moi, avec ce film, j'avais envie de me venger des "grands". J'étais Pas Foon, quand j'étais gamin, alors je suis Foon dans Foon !
M. D. : On a vraiment condamné tous les personnages. Ce sont vraiments des sales cons. Il fallait prendre le monstre de chacun, choper le pire petit défaut et en faire un truc énorme ! Et pour que ça garde ce côté cartoon, décalé... Notre pari était de nous approcher du cinéma qu'on adore, les Austin Powers, les Wayne's World... Foon est plus un fim de références que de tranches d'âge. Ca peut même plaire à tes parents si toi t'aimes pas ! (rires)
On sent vraiment chez vous une envie de faire vivre un cinéma décalé...
B. P. : C'est ça qui manque en France. Il n'y a pas de films barrés, débiles. Il y a Les Nuls, Kad et Olivier, qu'on adore, mais sinon... On a envie que ce ne soit pas toujours les mêmes qui dirigent les comédies en France, qu'il y ait du mouvement. Si on peut aider à ça avec Foon, ce serait génial ! Des films comme ceux avec Ben Stiller et Owen Wilson, il n'y a pas ça en France. Nous, de manière modeste, on essaie faire ce genre de cinéma absurde et décalé. Et on a envie de continuer !
M. P. : On est dans un processus où les petits film survivent tant bien que mal. C'est difficile, il faut qu'il y ait une, deux, trois, quatre têtes d'affiches, il y a une escalade délirante dans les budgets, un certain formatage. Je trouve ça bien que l'on essaie, à travers nous ou d'autres, de lancer d'autres pistes, qu'il y ait une circulation différente de l'économie.
Propos recueillis par Clément Cuyer le 28 novembre 2005