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    "J'adore Huckabees" : rencontre avec David O. Russell

    Six ans après "Les Rois du désert", David O. Russell revient avec "J'adore Huckabees", un film décalé emprunt d'existentialisme. Nous l'avons rencontré.

    AlloCiné : Vous avez réalisé "Les Rois du désert" en 1999 : pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de refaire un film ?

    David O. Russell : La vraie raison est que faire un film, c'est comme faire l'amour. Vous faites l'amour quand vous êtes prêts à faire l'amour. Vous voyez ce que je veux dire ? (rires). Si vous le faites trop tôt, ça ne va pas. J'ai écrit un autre scénario entretemps, que j'ai finalement décidé de ne pas réaliser : donc ça n'aurait fait que deux ans entre les deux films...

    Peut-être plus tard ?

    Oui peut-être. Ce serait également avec Jason et Mark. C'est une sorte de cousin de J'adore Huckabees. Mais j'ai pensé qu'il n'était pas encore prêt. Alors j'ai écrit J'adore Huckabees. J'ai même rêvé que je ferais ce film.

    Dans votre film, il y a une tonalité bleue dominante, comme dans un rêve, pourquoi ?

    J'aime bien ça. Avec le chef décorateur K.K. Barrett -qui travaille actuellement sur Marie-Antoinette de Sofia à Paris, nous avons décidé ça ensemble. Je voulais que le film ait un côté formel européen, parce que c'est un film chaotique qui parle d'idées, mais qui est également très sérieux pour moi. C'est drôle aussi. Mais j'aimais l'idée de Paris, de la France, où l'on sent que les idées sont prises au sérieux, que certains sont prêts à mourir pour les défendre. Dans le film, il s'agit de personnes qui peuvent vivre ou mourir à cause de leur quête existentielle. C'est pourquoi je voulais cette atmosphère. De plus, j'adore l'univers visuel des films de Luis Buñuel : il choisissait une palette de couleurs uniques. Donc même si ses films étaient en couleur, on avait l'impression qu'ils étaient presque en noir et blanc. C'était vraiment magnifique. Nous, nous voulions que le film soit très bleu et gris. Exactement comme dans un rêve comme vous le disiez. De même, le rouge n'apparaît qu'à deux moments importants : le ballon (ndlr : avec lequel les personnages se cognent la tête pour atteindre un autre niveau spirituel), c'est un moment important. Et aussi, dans le bureau des enquêteurs existentiels (Dustin Hoffman et Lily Tomlin), il y a un tableau rouge, dans la scène où Jason affronte Jude. La robe d'Isabelle est entre le bordeau et le marron aussi.

    Revenons justement à Isabelle Huppert...

    Vous saviez qu'elle a tenu Jason dans ses bras ? Dans la vraie vie, quand il était bébé. Il y a vingt-quatre ans, elle a rendu visite à Talia Shire, la mère de Jason -qui joue aussi dans le film-, et a pris le petit Jason dans ses bras. Et plus de vingt ans plus tard, ils font l'amour entre les rochers dans le film, ce qui, selon moi, est très intéressant. (sourire)

    Pourquoi avez vous choisi une actrice française et pourquoi Isabelle Huppert ?

    Quand je crée un personnage, je pense toujours à son passé. Et je me disais que ces détectives seraient rôdés aux débats philosophiques. Je voulais qu'ils soient inspirés par Louis Althusser, qu'ils aient un passé à Paris. Ca me semblait exotique et sérieux.

    Sexy aussi ?

    Très sexy bien sûr. J'avais vu Isabelle dans La Pianiste, et j'avais beaucoup aimé sa performance. C'est pour cela que je l'ai choisie. Et elle était dans le rêve que j'avais fait avant d'écrire le film. J'avais une scène en tête en particulier, avec le héros suivi par les détectives, eux-même suivis par Isabelle, non pas pour des raisons criminelles mais dans un but spirituel ou métaphysique... J'ignorais ce que cela signifiait, mais je trouvais ça très drôle et absurde.

    Vous êtes vous posé toutes les questions philosophiques que vous soulevez dans le film après le tournage des "Rois du désert" ?

    Oui et ça m'a libéré de parler de toutes ces questions très personnelles, de les révéler dans ce film. Et même de jouer avec. C'est très amusant pour moi : j'ai plein de choses en moi que je dois exprimer. Et en les traduisant à l'écran, je me sens plus libre, comme déchargé d'un poids.

    C'est aussi très dangereux de s'exposer de la sorte : comment vous sentirez-vous si certains rejettent votre film ?

    Oui je sais, mais bizarrement, ça marche dans l'autre sens aussi. Vous avez juste à dire (il hausse les épaules en souriant) : "C'est moi, c'est ce que j'aime, vous n'aimez pas ça, tant pis. Ca ne change pas le fait que c'est ce que je j'aime, ce que je ressens". Ce film divise les gens, certains le détestent, certains l'adorent, d'autres ne le comprennent pas. Ok ! Je savais que ça allait arriver et je m'en fichais, ça reste libérateur. Toutefois je suis aussi très responsable : ce film n'a pas coûté beaucoup d'argent. Tous les acteurs ont accepté le salaire minimum syndical, ils étaient tous là pour la passion du cinéma.

    A propos de la scène de sexe entre Isabelle Huppert et Jason Schwartzman dans la boue, vouliez-vous provoquer le public ?

    Je pense que la sexualité correspond à la philosophie du personnage, Catherine Vauban. C'est comme une arme de son arsenal personnel. Elle dit au héros, Albert :"Tu penses que les détectives ont raison, que tout est connecté et beau. Mais je pense que tu ne peux avoir qu'une petite partie de ça. Car tout finit par revenir aux conflits, à la cruauté et aux drames humains". Et ils disent qu'elle a tort. Donc elle décide leur prouver sa théorie. Alors fondamentalement, elle le baise (rires) et crée un drame entre Albert et son ami Tommy (Mark Wahlberg), et cela détruit leur amitié. Elle démontre qu'elle a raison. Et j'aime ça, car cela vous fait descendre des idées abstraites à la réalité, à la boue ! Je pense qu'elle a un argument censé : vous ne pouvez pas évitez "la boue de l'existence", quelque soit la beauté du monde et des connections entre ses éléments, c'est aussi une expérience d'avidité et de "saletés".

    Comment avez-vous convaincu Dustin Hoffman de se joindre au film ? IL apporte toute son sens de la dérision, mais aussi une certaine sagesse..

    Absolument. Il est probablement l'une des raisons qui m'ont poussé à devenir réalisateur. Ses films, dont Le Lauréat, ont eu un énorme impact sur moi. Il voulait jouer dans Les Rois du désert et bien sûr j'en étais ravi. Mais les studios exigeaient un acteur plus jeune (George Clooney). Alors quand j'ai appris la nouvelle, je suis allé lui dire combien j'étais désolé, et l'assurer que je gardais toute mon admiration pour lui. Je voulais absolument travailler avec lui. Alors il m'a dit :"Et ? C'est tout ?"(rires). J'ai répondu que oui, c'était tout. Il m'a dit de revenir le voir quand j'aurais écrit un nouveau film. Et quatre ans plus tard, je l'ai contacté, il se rappelait bien de notre accord et m'a invité chez lui. Il voulait que je lise à haute voix mon script, car il voulait ressentir ce que je ressentais. Entendre les mots de la même façon que moi. Il était ravi de jouer ce rôle : après des films commerciaux comme Mon beau-père, mes parents et moi, il avait envie de se lancer dans une aventure artistique comme celle de J'adore Huckabees.

    Vous changez de registre pratiquement à chaque film, quel est votre prochain projet ?

    Je vais faire une comédie avec <_personnecpersonne3d_22_1892322_ target="" nom="Vaughn" prenom="Vince"> et <_personnecpersonne3d_22_5243022_ target="" nom="Sedaris" prenom="Amy">. C'est l'histoire d'un animateur de radio très populaire qui traverse une crise personnelle... Bien plus simple que celle de J'adore Huckabees.

    Peut-être que les gens comprendront le film cette fois ?

    Oui ! (rires) Peut-être. Mais vous savez, la réaction que je préfère chez les gens, c'est d'abord le rire, ensuite la réflexion. J'aime voir les gens sortir du cinéma et se mettre à se poser plein de questions...

    Propos recueillis par Louisa Amara

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