Ces derniers temps, Natacha Régnier multiplie les apparitions dans les registres les plus divers. Elle s'aventure ainsi dans un genre qu'elle n'avait pas encore abordé avec Trouble, thriller d'Harry Cleven primé au Festival du film fantastique de Gérardmer et attendu ce 9 mars sur les écrans. Et ce n'est, au vu des projets de la jeune actrice belge, qu'un début...
Allociné : Comment avez-vous rejoint le film ?
Natacha Régnier: Harry Cleven a fait un casting. J'ai adoré sa manière de diriger –d'ailleurs j'aimerais bien retravailler avec lui. Puis il m'a choisie, m'a donné le scénario, qui m'a beaucoup plu. Je trouvais que le suspense était vraiment tenu du début à la fin. Il était inquiétant, les personnages avaient une belle épaisseur. J'aimais ses aspects troublants, le thème de la gemellité, les découvertes, et le traitement de la perversité. Tout le côté effets spéciaux, mise en scène très précise, était très exaltant.
Même si "Trouble" a été primé au festival du film fantastique de Gérardmer, il n'appartient pas à proprement parler au genre fantastique...
Pour moi c'est un thriller psychologique, avec quelque chose de fantastique. Il me fait un peu penser à JF partagerait appartement. C'est la première fois que je vois en France un film qui a une ambition pareille, dans le domaine du film de genre, et qui est totalement réussi.
Comment avez vous travaillé votre personnage ?
Ce personnage-là, je l'ai fait comme son prénom l'indique, clair. Le début du film, avec ce couple et son enfant, est comme une pub pour compagnie d'assurances. Tout va super bien, Claire a confiance. Puis des choses troublantes arrivent, et ça bascule. Je l'ai travaillé comme un personnage entier, qui a vraiment les pieds sur terre, qui aime profondément son mari, mais qui, comme elle est enceinte, a une sensiblité à fleur de peau. Il s'agissait de montrer comment elle fait face à l'arrivée de ce jumeau très charmant, comment elle réagit au fait que son mari perd les pédales. Pour moi elle est d'une droiture sans failles, elle reste fidèle à son mari. C'est une victime.
Quelles contraintes imposait pendant le tournage l'utilisation d'effets spéciaux ?
Il y avait des positions très précises. Nous avons fait plusieurs tentatives pour jouer les jumeaux : trouver quelqu'un qui ressemble énormément à Benoît Magimel, mettre un masque, utiliser Hector (ndlr : nom donné au pied de micro orné de deux balles de ping-pong auquel les acteurs durent parfois donner la réplique)... C'est plus agréable de jouer avec un acteur en chair et en os. Heureusement, nous n'avons pas eu recours à Hector trop souvent. La plupart du temps, nous jouions avec Morgan Perez (ndlr : la doublure), qui a une très belle présence. Le travail de composition de Benoît sur ses deux personnages était extraordinaire, et Morgan l'a assimilé. J'étais face à deux présences très fortes -par contre, ils ne se ressemblent pas du tout.
Même si les acteurs n'aiment généralement pas qu'on les catalogue, vous êtes plutôt perçue comme une actrice de film d'auteur. Est-ce dû au hasard, ou à une volonté de vous écarter de ce qu'on pourrait désigner comme un cinéma plus commercial ?
Ce n'est pas une volonté politique, en tout cas. Cela tient plus à une volonté de trouver des scénarii de qualité, et à un concours de circonstances. Je suis arrivée dans ce métier avec La Vie rêvée des anges, qui appartient à un certain style de cinéma, ce qui fait qu'on m'a proposé ce genre de scénarii. Je ne suis pas contre une grosse comédie, un film de genre -la preuve-, une comédie musicale -j'adorerais faire ça. Dans l'avenir, va sortir un film kirghiz, le premier long-métrage de Nurbek Egen, une comédie sentimentale burlesque (Le Coffre des ancêtres). Là aussi c'est quelque chose de totalement différent. Le tournage, qui a duré deux mois, a été une magnifique aventure.
Justement, au sujet de ce film, comment avez-vous été amenée à y participer ?
Le réalisateur voulait travailler avec moi. Comme il ne connaissait pas mon agent, il a essayé de trouver un moyen de me contacter. Lors d'une fête à Paris, on lui a parlé de mon agent. Il a réussi à établir le contact, et je l'ai rencontré dans un café. Il est venu avec un interprète, m'a donné le scénario, et un court-métrage qu'il a fait, qui a voyagé dans le monde entier. J'ai trouvé le court-métrage formidable et très finement réalisé. Quand j'ai lu le scénario, je l'ai trouvé superbe. Cela m'a paru évident qu'il avait énormément de talent, l'histoire m'avait beaucoup touchée. L'essentiel des fonds vient de là-bas, mais une partie provient de MACT Productions. Antoine De Clermont-Tonnerre a eu le même coup de coeur que moi en lisant le scénario, en 24 heures il a pris le projet. Il est également venu au Kirghizstan.
Avez-vous d'autres projets ?
J'aime bien qu'on me surprenne. J'ai vraiment envie qu'on me propose des choses auxquelles je ne m'attends pas. Plus c'est inattendu, plus cela me fait plaisir. Côté projets, je vais travailler avec Jean-Pierre Limosin (Tokyo Eyes, Novo). Le film s'appelle Carmen, c'est l'histoire d'un singe bonobo. Il y a également un film d'Emmanuel Bourdieu, Les Amitiés maléfiques, dans lequel je joue une bibliothécaire. Et puis le film de Lucas Belvaux, La Raison du plus faible, qui se tourne en juin-juillet à Liège. J'y incarne la femme d'un type de Liège qui, avec ses copains, décide de faire un casse, parce qu'ils ne s'en sortent pas.
Benoît Poelvoorde, Olivier Gourmet, Jérémie Rénier côté acteurs, Emilie Dequenne, Cécile de France, Yolande Moreau et vous-même côté actrices, Harry Cleven, Lucas Belvaux, les frères Dardenne à la réalisation... Le cinéma belge se porte et s'exporte bien. Comment expliquez-vous sa vitalité actuelle?
Je ne peux pas vraiment l'expliquer. C'est un peu la nouvelle vague de cette génération. Toutes ces personnes que vous avez citées sont d'une grande qualité, d'une très grande diversité. Il y a vraiment des tempéraments, des univers audacieux. Harry Cleven dit que c'est comme si les Belges n'avaient pas peur de tenter des choses. Il y a quelque chose en Belgique. C'est vrai que dans la mentalité, nous sommes très proches des Français. Quand je suis arrivée à Paris, après avoir grandi à Bruxelles, je me suis dit qu'en parlant la même langue, dans une capitale, j'allais me sentir à la maison. Mais en fait je me suis sentie très loin au départ, j'ai été très surprise des différences. Aujourd'hui j'adore Paris, c'est ma ville, j'y suis très heureuse. Cependant quelque chose de l'âme en Belgique peut peut-être expliquer cet esprit surréaliste (le surréalisme belge a été un mouvement très fort), fantastique. On se sent plus saxon que latin. Il y a une créativité qui peut partir dans tous les sens du fait de ce surréalisme. Il existe une sorte de mythologie à Bruxelles, celle de Brüsel, comme une ville cachée sous la ville. Et puis la Belgique est un pays assez jeune, créé comme un état tampon entre différents pays. Du coup, nous sommes très ouverts sur le monde, surtout avec la Communauté européenne.
Propos recueillis par Alexis Geng le 16 février