Tout juste auréolé de son premier César pour Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran -cinquante et un ans après ses débuts au cinéma-, Omar Sharif était de passage à Paris pour présenter Hidalgo, où il côtoie le "roi" Viggo Mortensen. Charismatique et charmant, souriant et rieur, il a répondu dans un chaleureux tête à tête aux questions d'AlloCiné.
AlloCiné : Vous avez tourné certaines scènes de "Hidalgo" à Ouarzazate, au Maroc, dans la même région que celle du tournage de "Lawrence d'Arabie"... Quelles ont été vos impressions, quarante après ?
Omar Sharif : Ce n'était pas reconnaissable du tout. Lorsque nous avions tourné Lawrence d'Arabie à Ouarzazate, il n'y avait rien, il n'y avait pas une maison, pas un hôtel. Nous avons vécu sous nos tentes, en plein milieu du désert. Et quand j'y suis retourné pour filmer Hidalgo, c'était Hollywood. Il y avait un énorme studio, il y avait des hôtels avec des piscines magnifiques, des restaurants. C'était une ville exactement comme une ville de cinéma, comme Hollywood plus ou moins...
Pour l'anecdote, on s'était promis, Peter O'Toole et moi, de ne jamais remettre les pieds à Ouarzazate. Parce que nous avions tourné tellement longtemps Lawrence d'Arabie, que nous avions fini par en avoir marre. Et puis nous n'avions pas de compagnie féminine du tout, c'était comme être dans l'armée ! Et lors du dernier jour de tournage, on a déchiré nos costumes, on les a piétinés et on a dit "Jamais plus à Ouarzazate !" Quand je suis allé tourner Hidalgo à Ouarzazate, Peter O'Toole m'a envoyé un mot, très ironique, en disant : "Tu ne tiens pas ta parole !" (rires)
De "Lawrence d'Arabie" à "Hidalgo", c'est toujours la même histoire de voyage initiatique...
Je n'arrive pas vraiment à comparer les deux. Hidalgo pour moi, c'est un film d'aventure "à l'ancienne", dans des décors exotiques, avec de très belles images, de très belles scènes d'action, sans objets volants, sans robots... Comme j'aimais les voir quand j'étais jeune. J'ai vu le film pour la première fois avec mon petit-fils, et moi qui suis très critique vis à vis des films que je fais, j'ai trouvé ça très beau et passionnant, parce que l'aventure est belle. Et puis on passe un moment magnifique de rêves, de voyages...
Comment êtes-vous passé d'un petit film intimiste comme "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran", à un film de plusieurs millions de dollars comme "Hidalgo" ?
Vous savez que je les ai tournés en même temps ? C'est pour ça que j'avais la barbe dans les deux films. Pour Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, on ne pouvait tourner que pendant les vacances, parce que la loi en France fait qu'on ne peut pas tourner avec un gosse pendant les classes. Alors, ils se sont arrangés pour Hidalgo, comme ils me voulaient dans le film. Ils m'ont fait tourné la partie à Ouarzazate avant le tournage de Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, puis ils m'ont laissé faire le film, pendant qu'ils tournaient autre chose. Et puis, je suis allé à Hollywood compléter le film. J'ai donc tourné Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran au milieu de Hidalgo. C'était amusant à faire d'ailleurs...
Viggo Mortensen dit avoir accepté son rôle notamment parce qu'il pouvait jouer avec vous. Cette rencontre a-t-elle été enrichissante ?
Viggo Mortensen est une personne extraordinaire, et d'ailleurs je suspecte un grave défaut quelque part. Ce n'est pas possible, je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui n'ait aucun défaut. Il a tout : il est gentil, il est généreux, il est tendre, il est pacifiste, tolérant –je suis comme ça aussi, j'aime les gens tolérants– et il aide tout le monde. Il écrit des poèmes, il fait des photos... C'est extraordinaire, il est beau, il joue bien... Alors on se dit, ce n'est pas possible, ça n'existe pas des gens comme ça. Je ne suis pas arrivé à le déceler, mais il doit y avoir un défaut, on ne peut pas être comme ça, parfait ! (rires)
Vous auriez pu incarner le personnage de Viggo Mortensen, quarante ans plus tôt...
Cela aurait été difficile. J'ai toujours eu ce problème avec mon accent, mon physique... Je ne peux pas jouer tous les rôles. Alors quand j'étais jeune, quand j'étais une star, on me faisait jouer n'importe quoi. J'ai joué des allemands, un officier de la Wehrmacht dans La Nuit des généraux, j'ai incarné un juif new-yorkais dans Funny girl, j'ai joué des russes, j'ai joué le prince d'Autriche dans Mayerling... Quand on vend des fauteuils, on vous accepte dans tous les rôles, mais quand on devient vieux, on ne peut plus vous employer que pour votre emploi naturel... Alors les vieux arabes, c'est moi.
Avez-vous apprécié, en tant qu'Egyptien, le respect qu'une production américaine manifeste envers les cultures indiennes et arabes ?
Oui, c'est ce qui m'a attiré dans le scénario. Pour la première fois, je lisais un scénario de film américain où les personnages arabes n'étaient pas caricaturaux. C'est rare ! Parce qu'aujourd'hui –mais même de tous temps, ce n'est pas à cause de ce qui se passe aujourd'hui– les personnages arabes dans les films, ce sont des caricatures. Là c'est un personnage que j'ai compris, que j'ai même aimé. Je l'ai aimé parce que c'est un personnage très humain.
Inévitable question vis à vis de cette aventure hippique : le cheval, c'est toujours votre dada ?
(rires) J'adore les chevaux. Chaque fois que je fais un film et que je touche de l'argent, je m'achète un cheval. Je n'ai jamais acheté un appartement, je n'ai jamais investi dans la bourse. Chaque fois que j'ai un peu d'argent en plus, j'achète un cheval. Ce film, Hidalgo, m'a permis d'en acheter pas mal, parce que j'étais bien payé. Maintenant j'ai des parts dans à peu près 18 chevaux, des trotteurs. J'adore ça.
On vous voit plus sur les écrans actuellement, alors que vous aviez arrêté un temps de tourner. Est-ce un réel retour ou de beaux rôles qui se sont succédé ?
C'est tout à fait ça : de beaux rôles qui se sont succédé. Si je ne trouve pas d'autres beaux rôles, je ne vais pas faire de film. Je n'ai plus envie de tourner un truc rien que pour gagner de l'argent, et d'être de mauvaise humeur toute la journée. J'ai envie de sortir de chez moi avec de l'enthousiasme, avec le plaisir d'aller faire quelque chose que j'ai envie de faire.
La Mostra de Venise vous a remis en septembre dernier un Lion d'or pour l'ensemble de votre carrière. Vous avez reçu en février un César pour "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran". Etes-vous heureux de cette reconnaissance ?
Oui, naturellement. A mon âge, quand on reçoit trop d'hommages, on commence à penser que la mort approche... Cette année, j'en ai eu deux ou trois pour ma carrière : L'American Film Institute m'a honoré et m'a remis un prix très important là-bas. Et demain, je pars à Ténérife, parce qu'il y a un festival du film et on m'honore aussi. C'est l'âge, ça fait 51 ans que je fais ce métier, alors c'est normal... Ils ont lu ça dans les biographies, et se sont dit, on va l'honorer cette année.
Propos recueillis par Peggy Zejgman