Jean Yanne, personnalité touche-à-tout et haute en couleurs du monde du spectacle et de l'audiovisuel français est décédé ce vendredi 23 Mai à l'âge de 69 ans. Il est mort lors de son transfert à l'hôpital à 13h00 après une crise cardiaque survenue dans sa maison de Morsains dans la Marne.
L'ascension sociale de Jean Gouyé
Issu d'un milieu ouvrier, Jean Gouyé, qui prendera plus tard le nom de scène de Jean Yanne, se dirige après le lycée vers des études de journalisme qu'il abandonne très vite, encouragé à écrire des sketches pour le cabaret. Après trois ans de service militaire, il reprend en 1957 le chemin du café-théâtre, se lance dans la chanson et devient au début des années 60 animateur de radio et de télévision, formant même un duo comique avec Jacques Martin. Commençant à s'ennuyer, il est attiré par le cinéma qui le fait débuter en 1964 dans La Vie à l'Envers d'Alain Jessua.
La consécration professionnelle
Jean Yanne tourne plusieurs films avant de vraiment se faire remarquer dans Week-End (1967) de Jean-Luc Godard où le réalisateur prolonge son image d'éternel râleur développé sur les ondes radiophoniques. Mais c'est Claude Chabrol qui va le révéler à travers les rôles respectifs d'un tyran domestique et d'un assassin dans deux films tournés coup sur coup en 1969 : Que la bête meure et Le Boucher. Le Saut de l'ange (1971) et Nous ne vieillirons pas ensemble (1971), pour lequel il obtient le Prix d'interprétation à Cannes, achèvent d'installer son image de salaud.
Sa lassitude du registre dramatique et son goût pour la comédie et l'humour grinçant le poussent en 1972 à réaliser son premier film Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, une satire sur le petit monde de la radio. Jean Yanne brocardera de même le milieu de la politique dans Moi y'en a vouloir des sous (1973), du spectacle dans Chobizenesse (1975) ou encore celui de la télévision dans Je te tiens, tu me tiens par la barbichette (1978). Sa parodie de péplum Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ sera l'un des grands succès de l'année 1982.
Une personnalité iconoclaste
Ayant de nombreuses activités annexes et vivant en Californie depuis 1979, Jean Yanne ne cherche pas à suivre de plan de carrière et choisit ses films parmi ceux qui lui sont proposés. L'âge venant ses films continuent malgré tout à le présenter égoïste et solitaire qu'il soit premier (Hygiène de l'assassin ou Je règle mon pas sur le pas de mon père en 1999) ou second rôle (Indochine en 1992, Enfants de salaud en 1996). Il apparaît en ce début de millénaire dans deux des productions françaises les plus attendues : Le Pacte des loups en 2001 (où son image de salaud vole en éclats) et la comédie policière Gomez & Tavares en 2003.
Jean Yanne joue volontiers dans les médias d'une image de grande gueule un peu misanthrope et presque poujadiste, conspuant pêle-mêle les Français, la démocratie et les impôts. Des thèmes qu'il reprend à l'envie dans ses livres comme Pensées, répliques, textes et anecdotes
et dans ses chroniques dans des émissions radios populaires telles que les Les Grosses Têtes. Mais cette personnalité exubérante au verbe cru cache une plus grande complexité avec des talents cachés comme la musique. Jean Yanne a sorti son premier disque en 1957 et a également écrit pour Philippe Clay, Line Renaud et Josephine Baker. Il a composé la bande originale de trois de ses films : Chobizenesse (1975), Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ (1982) et Liberté, égalité, choucroute (1985).
Réactions
Jacques Chirac : "Jean Yanne, dont le talent avait été reconnu par un prix d'interprétation au Festival de Cannes, avait acquis une grande popularité auprès de nos concitoyens. (...) Par son humour singulier et sa personnalité généreuse, il aura marqué de son empreinte le monde de la télévision et du cinéma français".
Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Cuulture et de la Communication : "c'était un personnage hors du commun qui, avec un humour noir et grinçant, portait un regard caustique sur la société d'aujourd'hui. (...) Son départ aux Etats-Unis, ses nombreux retours vers la France dans des rôles toujours nouveaux (Adolphe de Benoît Jacquot, Le Pacte des loups de Christophe Gans) montrent bien sa créativité sans frontières, sa fidélité aux origines et la profondeur d'une tendresse cachée, mais bien réelle".
David Kessler, directeur du Centre National de la Cinématographie (CNC) : "Ses apparitions dans des compositions difficiles et ingrates mais souvent inoubliables, avec des personnages auxquels il donnait une épaisseur humaine peu commune comme dans Le Boucher et Que la bête meure de Claude Chabrol, ou encore plus récemment dans Pétain de Jean Marboeuf, et Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard marquaient un talent rare et essentiel du cinéma français. Alors que se tient actuellement la 56e édition du Festival, nous saurons nous souvenir longtemps d'un homme audacieux et d'un artiste généreux".
Philippe Labro, membre du conseil de surveillance de RTL-Groupe : "J'adorais son côté libertaire et anarcho-cynique. Comme tous les humoristes, il avait un regard dépourvu d'illusion sur la bêtise humaine et sur la vanité des choses. (...) Quelque part il était dans la même filière que Jean Gabin et de Lino Ventura. Il exprimait avec sa gouaille une connaissance de la rue et des gens et en même temps, il avait une distance dans son humour et un recul sur la vie. C'était un interprète incroyable et il était à chaque fois crédible. Il avait la densité, la présence, le charisme. (...) Quand on le branchait sur quelque chose et qu'il se mettait à délirer, il inventait des mots. Il est dans une culture qui allait de Boris Vian à Alfred Jarry en passant par Pierre Dac avec un peu de Woody Allen. C'est vaste, le talent de Yanne. Il est un précurseur d'un humour qui aujourd'hui est partout. A la limite, c'est un peu le père naturel de Coluche et de Jamel Debbouze".
Gilles Jacob, président du Festival de Cannes : "C'est quelqu'un dont j'admirais l'étendue du talent en tant qu'homme de radio, acteur, cinéaste et chansonnier. Il y avait dans toutes ses activités une sorte d'unité, un ton nouveau, corrosif, de dérision et d'auto-dérision". Il a ajouté que le Festival ne pourrait pas officiellement rendre hommage à l'acteur : "Il ne serait pas correct et pas digne de précipiter les choses".
Philippe Bouvard : "J'ai de la peine à réaliser cette disparition parce que le seul rôle dans lequel on n'imaginait pas ce comédien surdoué qui détestait faire l'acteur était celui d'un gisant. (...) En 53 années de compagnonnage hilarant, je me suis aperçu que Jean Yanne était beaucoup plus qu'un acteur, beaucoup plus qu'un metteur en scène, le premier humoriste français. Quand un ami disparaissait, il bougonnait : 'il est mourru. On en va pas en faire un fromage', avec ce rire reconnaissable entre tous, mais dans lequel je n'ai jamais su discerner ce qu'il entrait de désespoir. Je suis catastrophé, parce que des rigolos il y en a beaucoup, des Yanne, il n'y en avait qu'un".
Mireille Darc, comédienne : "Je perds un ami. Sous le masque de la dérision, Jean était une boule de tendresse. C'était l'homme le plus tendre que j'ai rencontré. Avec le temps, il grandissait. Il était de plus en plus beau. Il n'était pas un comédien comme les autres : il y a avait chez lui une autre dimension. C'était un être extraordinaire. On ne se voyait pas souvent mais à chaque fois, c'était du bonheur. Il y a un mois, nous nous sommes retrouvés par hasard dans un restaurant. Nos tables étaient côte à côte. Nous avons passé la soirée à rire".
Agnès Varda, réalisatrice : "Jean Yanne avait cette qualité des acteurs qui n'ont pas le souci d'être épatants ou de faire des performances. Il interprétait le personnage qu'on lui demandait d'être à sa manière, avec une justesse inégalable. Sa disparition intervient avec d'autres récentes qui concernent toutes des gens qui n'étaient pas en âge de partir. Après Maurice Pialat et Daniel Toscan du Plantier, la mort de Jean Yanne laisse un grand vide dans le cinéma français".
Aurélia Arcusi et Amélie Charnay avec AFP