Avec La Cité de Dieu, Fernando Meirelles raconte la montée du crime organisé dans la banlieue Cidade de Deus de Rio de Janeiro, de la fin des années soixante au début des années quatre-vingt. Adapté d'un roman de Paul Lins, le film suit le quotidien d'un groupe d'adolescents sur plus de deux décennies, à travers trois périodes distinctes. La Cité de Dieu a rencontré un énorme succès au Brésil, et suscité de nombreuses polémiques pour son approche très stylisée de la violence. Rencontre avec le cinéaste...
AlloCiné : Comment avez-vous découvert le livre de Paul Lins et qu'est-ce qui vous a décidé à l'adapter ?
Fernando Meirelles : Un ami cinéaste m'a prêté le livre, car il ne se sentait pas capable de l'adapter lui-même : le livre est très long et complexe, il comporte deux cent cinquante personnages différents et les anecdotes s'enchaînent sans véritable structure. Avant de l'avoir lu, j'avais quelques réticences à l'idée de tourner une histoire de dealers et de policiers. Je n'aime pas les films de mafia ou d'action. Seulement, dès les premières pages, je me suis laissé prendre. Paul Lins y montre un aspect du Brésil que les classes moyennes et supérieures ne connaissent pas : notre vision des favelas se limite généralement aux nombreux faits divers que l'on voit dans les journaux. Paul Lins a grandi dans la Cité de Dieu : il a travaillé sur ce livre pendant huit ans, et la favela y est rééllement décrite de l'intérieur.
Quels sont les thèmes du roman qui vous ont particulièrement intéressés ?
Ce qui m'a intéressé dans le livre, c'est l'idée d'un Etat dans l'Etat : La Cité de Dieu semble totalement indépendante, c'est comme si elle ne faisait pas partie de la société brésilienne. Il y a une autre culture et d'autres règles. Je voulais comprendre le fonctionnement des favelas. C'était pour moi beaucoup plus important que la violence et l'action.
Pour jouer dans le film, vous avez fait appel à des jeunes des favelas. Comment ont-ils réagi à cette vision très sombre de leur quotidien ?
Ils ont été très enthousiastes. Pour eux, ce qu'on montre dans le film n'a rien d'extraordinaire. En allant à l'école, ils rencontrent quotidiennement des dealers. Tous ont un frère, un cousin ou un ami qui travaille dans ce milieu là. Etre dealer dans une favela, c'est une activité comme une autre : certains conduisent des bus, d'autres vendent de la drogue. Leur enthousiasme à faire le film était vraiment touchant. Toute l'équipe a été contaminée par cette énergie.
En voyant le film, on sent que vous avez cherché un équilibre entre le désastre de la siuation sociale sur place, et la joie des habitants au quotidien...
J'ai été beaucoup critiqué sur ce point justement. Pourquoi mettre autant de musique pour traiter un sujet aussi sombre ? Quand on va sur place, on se rend compte que c'est un endroit plein de vie. Il y a de la joie, de la musique tout le temps et partout. Le film devait recréer la sensation qu'on peut avoir en se promenant dans une favela. Les gens y sont violents et en même temps très heureux.
Vous avez choisi une approche visuelle très stylisée avec des montages différents suivant les époques, des cadrages très travaillés. Est-ce qu'il n'y a pas un risque à prendre du plaisir devant un sujet est aussi grave ?
Au moment de sa sortie au Brésil, beaucoup ont reproché à La Cité de Dieu d'être un simple divertissement. Le succès public en a néanmoins fait un grand événement politique : grâce au film, cette favela est devenue depuis quelques mois un symbole de tout ce qui doit être changé au Brésil. La Cité de Dieu a fait réfléchir, parler et a même amené des changements réels. Je n'aurais jamais pu imaginer de telles retombées.
Propos recueillis par Boris Bastide
Retrouvez quatre extraits vidéos de "La Cité de Dieu" : - - -