Sorti il y a 56 ans, c'est le plus grand film de cette légendaire actrice, mais il est hélas devenu invisible depuis près de 20 ans
Olivier Pallaruelo
Olivier Pallaruelo
-Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

Sorti en 1969, impitoyable portrait d'une Amérique plongée dans la Grande Dépression où les individus en sont réduits à faire des jeux du cirque pour un peu de pain, "On achève bien les chevaux" est LE chef d'oeuvre de Sydney Pollack.

Disparu en 2008 à l'âge de 73 ans, Sydney Pollack a laissé une empreinte indélébile dans l'Histoire du cinéma américain, livrant à la postérité des oeuvres marquantes : Les trois jours du Condor, Tootsie, le western Jeremiah Johnson, la fresque romanesque couverte d'Oscars Out of Africa, Nos plus belles années, La Firme... On peut pourtant affirmer sans trembler que son plus grand film n'est pas son oeuvre la plus connue; en tout cas par le grand public : On achève bien les chevaux.

L'histoire ? Elle se déroule en 1932. Les Etats-Unis sont plongés dans les abîmes de la Grande Dépression. Poussés par le chômage et la misère, hommes et femmes décident de participer aux marathons de danse dont les vainqueurs reçoivent des primes intéressantes.

Le jeune Robert pénètre à son tour dans un de ces immenses halls transformés en dancings et Rocky, le maître des cérémonies, accueille les concurrents. Parmi eux « Sailor », un ancien matelot; Alice, une blonde extravagante et désespérée. Et Gloria, qui va devenir la partenaire de Robert…

Du pain et des jeux pour une Amérique en pleine misère

Pour les Romains, il fallait au peuple du pain et du cirque, selon l'expression Panem et circenses. Pour les laisser pour compte de l'Amérique de la Grande Dépression, il n'est désormais plus question que de faire le cirque dans des marathons de danse sans fin, pour un peu de pain. Des marathons qui ont réellement existé.

La crise, qui jette dans la rue et la misère plus de 2 millions d'américains et 13 millions de chômeurs, touche tout le monde, et installe les citoyens dans un état de désillusion tel que c'est tout le système de valeurs à la fois morales et économiques qui est très durement remis en cause.

ABC Pictures

C'est ainsi qu'il faut voir de la part d'Horace McCoy, auteur du livre dont est tiré On achève bien les chevaux, le gigantesque bal comme la mise en abime cruelle d'une société où l'argent (facile) devient le seul prisme de référence d'une communauté qui n'en a plus que le nom.

C'est d'ailleurs cette métaphore implacable qui a motivé le choix du réalisateur, qui, avec le recul de trente ans écoulés depuis les événements lorsqu'il réalise le film, a pu mettre le doigt sur l'une des dérives dangereuse d'un modèle de société qui donne à ce point à l'être humain la condition d'esclave.

Un livre aux ventes faméliques aux Etats-Unis

MCoy commença à écrire son livre en 1931, et fut publié en 1935. S'il reçu des critiques plutôt positives, il n'a vendu que 3000 exemplaires aux Etats-Unis, principalement parce que de nombreux lecteurs n'avaient tout simplement pas les moyens de se l'offrir, préférant ainsi emprunter l'ouvrage à la bibliothèque.

Traduit en de nombreuses langues, il est notamment devenu un best-seller en France, et, dans les années 50, son livre est devenu culte. Albert Camus en parlait même comme du "premier roman existentiel à sortir des Etats-Unis". On dit d'ailleurs que le personnage principal du livre de McCoy, Robert, a servi d'inspiration à Camus pour son roman L'étranger.

Le roman de McCoy fut réédité aux Etats-Unis en 1946, 1955 (l'année de son décès) et 1966. Bien que les ventes furent faméliques là-bas à ses débuts, Hollywood avait rapidement perçu son potentiel dramatique pour être adapté à l'écran.

Les droits d'adaptations changèrent souvent de mains : Charles Chaplin et Norman Lloyd achetèrent les droits par exemple en 1949, pour 3000$, et tentèrent sans succès d'écrire un script. Il faudra attendre 1968 et le script de James Poe, pour que le projet d'adaptation sorte enfin de l'ornière.

ABC Pictures

Un pays qui s'enfonce dans l'abîme

Puissamment mis en scène par Pollack, le film est porté à bout de bras par une immense et bouleversante Jane Fonda, qui trouve ici un des plus grands rôles de sa carrière, aux côté de Michael Sarrazin, Susannah York, Red Buttons, et un extraordinaire Gig Young en ignoble maître de cérémonie, qui sera d'ailleurs récompensé à juste titre par l'Oscar du Meilleur acteur dans un second rôle, sur les neuf nominations reçues par le film.

Implacable et dévastateur portrait d'une Amérique qui se violente toute seule, s’enfoncant dans le précipice sans personne d'autre qu’elle-même pour l’y pousser, On achève bien les chevaux est sans aucun doute l'oeuvre la plus poignante et puissante de toute la filmographie du regretté Sydney Pollack. Et reste toujours, 56 ans après sa sortie, aussi perturbante et d'une actualité saisissante.

Cette merveille est sortie chez nous en DVD en 2007, dans une édition indigne et nue comme un ver. Et depuis ? Rien, aucun Blu-ray à l'horizon. Si un éditeur pouvait se pencher sur la question, on lui en serait mille fois reconnaissant.

FBwhatsapp facebook Tweet
Sur le même sujet
Commentaires