Buster Keaton était le roi du cinéma muet et plus particulièrement du genre slapstick, un style d'humour reposant sur le physique et une forme de violence comique subie par le protagoniste principal. Son talent a franchi les générations et inspire encore aujourd'hui un acteur comme Pierre Niney.
Mais malgré son formidable succès dans la comédie, Keaton va prendre une décision qui va mettre un frein quasi total à sa carrière telle qu'il la connaissait.
"La plus grosse erreur de ma vie"
Dans son autobiographie My Wonderful World of Slasptick, Keaton raconte avec transparence ce qu'il qualifie de "plus grosse erreur de [s]a vie". L'acteur-réalisateur-producteur est au meilleur de sa forme, il vient de sortir certains de ses chefs-d'œuvre comme Le Mécano de la 'Général' ou Cadet d'eau douce et travaille en toute indépendance au sein de sa propre société, Buster Keaton Productions. Mais en 1928, il est convaincu par son co-producteur Joseph M. Schenck de rejoindre le studio le plus puissant à l'époque, la Metro-Goldwyn-Mayer.
Il demande l'avis de ses amis dont Charlie Chaplin et Harold Lloyd, qui lui déconseillent de rejoindre un studio qui a déjà ses acteurs comiques et de se créer une concurrence dont il n'a pas besoin. Pourtant, Keaton est convaincu car le frère de son ami Joe Schenck travaille à la MGM et "prendra soin de lui", d'après Joe.
Le premier film qu'il signe pour le studio est remarquable. Le Caméraman, tourné avec son équipe d'origine et dans les conditions dont il avait l'habitude - pas de scénario au-delà d'une trame, tournage qui s'improvise une fois sur les lieux, notamment - est une réussite totale.
Privé d'indépendance

Pourtant, malgré cela, le studio va peu à peu priver Keaton de son indépendance. Des membres de son équipe lui sont retirés et envoyés sur d'autres tournages, son directeur technique est nommé chef du département technique de la MGM, et le studio change sa méthode de travail en exigeant un scénario construit à l'avance avec un agenda de tournage précis.
Puis le temps passant, et l'arrivée du parlant arrivant, on envoie à Keaton des pièces de théâtre comiques qui n'ont plus rien à voir avec son humour, le slapstick, il n'est plus le réalisateur de ses films et son divorce d'avec sa femme le voit plonger dans l'alcoolisme, "je buvais une bouteille de whisky par jour", confie-t-il. Finalement, après avoir refusé de participer à un événement public auquel le président du studio, Louis B. Mayer souhaitait absolument sa présence, Keaton est licencié de la MGM en 1933.
Pour retrouver son indépendance ? Loin s'en faut !
Buster Keaton est ruiné, et pour survivre durant les années de dépression des années 1930, tourne des courts métrages comiques pour Educational Films Corporation of America (et sortis par la Fox) et ponctuellement quelques longs métrages, dont un tourné à Paris, Le Roi des Champs-Elysées.
De 3000 à 100 dollars par semaine

En 1938, il demande à la MGM de le reprendre comme "gag man" et "constructeur de comédies" pour 100 dollars par semaine. Il en gagnait 3000 par semaine du temps du Caméraman. S'ouvre alors une toute nouvelle carrière pour l'acteur, qui travaille dans l'ombre à améliorer les comédies des autres (dont Un jour au cirque des Marx Brothers).
Même s'il se dit reconnaissant au studio de l'avoir engagé pour ce travail dans son livre, dans les faits, Keaton n'est plus ni réalisateur ni producteur, et n'apparaît plus au cinéma que dans des petits rôles comme un conducteur de bus, un majordome et quelques troisièmes rôles.
Sur la fin de sa vie, Keaton a tourné deux derniers films. La navrante comédie Deux bidasses et le général 1965), dont les acteurs italiens Franco Franchi et Ciccio Ingrassia, rois de la parodie, sont les héros. Keaton y incarne un général nazi en 1943 dans un rôle... quasi muet ! Le film termine heureusement avec Keaton revêtant son costume iconique de ses films. Un beau moment.
Buster Keaton s'éteindra le 1er février 1966 à 70 ans. Son dernier film sera Le Forum en folie de Richard Lester, sorti en octobre 1966, une parodie de péplum musicale adaptée de Broadway dans laquelle il interprète un petit rôle, en étant tout de même placé assez haut sur l'affiche. Comme un dernier salut à un acteur hors normes.