"C'est le Saint Graal des films perdus" : remonté dans le dos d'Orson Welles, ce chef-d'oeuvre s'est fait détruire par son studio
Olivier Pallaruelo
Olivier Pallaruelo
-Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

Sorti en 1942 amputé de 45 min de son montage initial, remonté par le studio RKO dans le dos d'Orson Welles dans une version qui fut en prime laminée par sa projection-test, "La Splendeur des Amberson" a connu un destin des plus chaotiques...

Les projections-tests, Screen Test en V.O, sont une pratique plutôt ancienne dans le paysage hollywoodien. Dès la fin des années 1930, les studios ont pris l'habitude de solliciter un petit panel de spectateurs à qui l'on montre l'oeuvre, et chargés à l'issue de cette projection de donner leurs impressions, bonnes et mauvaises. Et, le cas échéant, procéder aux modifications nécessaires avant son exploitation commerciale.

Moment de stress légitime pour le studio et l'équipe du film, réalisateur en tête, la projection-test peut aussi virer au cauchemar et à la catastrophe; les exemples en ce sens abondent. De là ont découlé de fameux moments de tensions entre le réalisateur, parfois dépossédé de son oeuvre, des coupes imposées ou faites dans son dos, une vision artistique complètement bridée donnant une oeuvre totalement dénaturée, avec parfois, in fine, une lourde sanction économique à la clé sous forme d'un gros échec commercial en salle.

Dans ce registre, l'exemple de La Splendeur des Amberson d'Orson Welles s'impose comme une triste évidence.

Orson Welles expédié en Amérique du Sud

Les Etats-Unis entrent en guerre au moment même où Orson Welles termine le montage préliminaire de son second film après Citizen Kane, La Splendeur des Amberson. Mais en 1942, Orson Welles est expédié par la RKO au Brésil, avec la bénédiction de Nelson Rockfeller.

Ce dernier, homme politique alors coordinateur du bureau des affaires inter-américaines sous la présidence Roosevelt, souhaitait développer une politique de promotion de la culture nord américaine en Amérique du Sud. La mission de Welles fixée par les producteurs : tourner un documentaire à la façon d'un carnet de voyage, en sillonnant les principales villes. Documentaire que Welles baptisera It's All True.

Avant de partir, Welles confie à Robert Wise le soin de monter son film, selon ses instructions, qu'il devait lui transmettre par téléphone et télégraphe, puis de lui apporter cette version à Rio pour qu'il peaufine le résultat final sur place. Pas vraiment enthousiaste à l'idée de filmer la population locale, il est de plus handicapé du fait des restrictions aériennes imposées en temps de guerre : impossible de faire venir les bobines de son film au Brésil.

RKO Radio Pictures Inc.

Un film charcuté dans le dos du cinéaste

Le 17 mai 1942, la RKO décide de pourtant montrer son film, dans son dos. La projection test est une catastrophe. Le studio va alors, toujours sans en informer Welles, couper 45 min du film, sur une durée totale de 2h12, tandis qu'elle change complètement la fin, imposant un Happy End.

Le film fit un fiasco. Cruelle ironie supplémentaire : le montage initialement prévu par Welles, dont certains disaient qu'il était même supérieur à celui de son chef-d'oeuvre Citizen Kane, fut perdu à jamais lors d'un incendie dans un entrepôt. Ajoutons à cela que la RKO n'avait même pas gardé de copie du film, malgré les conseils avisés du fameux producteur David O Selznick: "il y avait des gens qui reconnaissaient la valeur du film" leur avait-il dit.

En 2021, une équipe de chercheurs s'est donné la mission de retrouver une version intégrale du film, supposée dormir quelque part... Au Brésil. Une quête du Graal menée par un documentariste, Joshua Grossberg, qui a cherché pendant 25 ans cette bobine perdue du film. Un article daté de juin 2023 du Guardian fait mention de cette recherche, qui ne semble hélas pas avoir été couronnée de succès.

Mais il évoque aussi dans le même temps un incroyable travail de reconstruction du film mené depuis des années en parallèle par un homme, Brian Rose, à partir d'éléments disparates du film récupérés avec une patience infinie. Il a d'ailleurs baptisé son entreprise The Ambersons Project, qui n'est toujours pas achevé à ce jour."La Splendeur des Amberson, c'est le Saint Graal des films perdus" disait William Friedkin. Paroles d'expert.

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