Pour son intrigue, aussi palpitante qu’émouvante
Corse, 1995. Lesia (Ghjuvanna Benedetti) vit son premier été d’adolescente. Un jour, un homme fait irruption et la conduit à moto dans une villa isolée où elle retrouve son père (Saveriu Santucci), en planque, entouré de ses hommes. Une guerre éclate dans le milieu et l’étau se resserre autour du clan. La mort frappe. Commence alors une cavale au cours de laquelle père et fille vont apprendre à se regarder, à se comprendre et à s’aimer.
Présenté en mai dernier au Festival de Cannes dans la catégorie Un Certain Regard, Le Royaume est le premier long-métrage du réalisateur corse Julien Colonna. Au générique, les cinéphiles remarqueront également l’implication de Jeanne Herry, réalisatrice des sublimes Pupille et Je verrai toujours vos visages, qui a apporté au présent projet sa précieuse expertise scénaristique.
Car c’est précisément pour la richesse de son intrigue que Le Royaume séduit en premier lieu. D’apparence épurée, celle-ci frappe d’abord par la tension sourde qui la traverse de bout en bout tel un fil rouge invisible, par le danger qui semble toujours couvrir ses personnages de son ombre telle une inéluctable épée de Damoclès.
Mais cette cavale, aussi palpitante soit-elle, n’est pas suffisante pour faire oublier au spectateur captivé l’émotion qui demeure sous le drame. Car Le Royaume est avant tout une histoire d’amour, celle qui unit ce père et son enfant.
Après Pupille et Je verrai toujours vos visages, Jeanne Herry signe avec le scénario du Royaume un nouveau tour de force scénaristique en figurant avec finesse l’émotion pure. Mais Julien Colonna, pour ce premier long-métrage, parvient quant à lui à capter l’essence même de cet amour filial. “La première étincelle est née il y a six ans, quand ma femme m’a annoncé qu’elle était enceinte, raconte le cinéaste. Cette nouvelle m’a pas mal secoué pendant quelques semaines. Inconsciemment, je me suis interrogé sur l’enfant que j’allais avoir, le père que j’allais tenter d’être, et inévitablement l’enfant que j’avais été, les parents que j’avais eu…” Cette expérience, autant que son lien d’origine avec l’Île de Beauté, lui permettent de signer un premier film personnel et intime, aussi palpitant que déchirant.
Pour son interprétation absolument authentique
Au printemps dernier, Borgo, un thriller haletant, entraînait déjà les cinéphiles en Corse en prenant le parti d’offrir le point de vue d’une personne étrangère à l’île et à ses coutumes, incarnée par la brillante Hafsia Herzi. Refusant de confier sa distribution aux grands noms du cinéma, Le Royaume fait quant à lui le pari de l’authenticité en offrant ses personnages à des non-professionnels.
Un processus inhabituel, que Julien Colonna assume et justifie : “Une grande majorité d’entre eux sont des non-comédiens issus de la société corse, choisis parmi plusieurs centaines de personnes [...] pour leur sensibilité, leur capacité de travail et leur nature profonde. Une fois choisis, Ghjuvanna et Saveriu ont travaillé sans relâche pendant plusieurs mois au cours de nombreux ateliers entre la Corse et Paris.
Les voir évoluer et prendre conscience de leur potentiel au cours de cette préparation était très émouvant. Travailler avec eux, le clan et tout le reste du casting fut une aventure humaine et spirituelle des plus extraordinaires. Ils se sont laissés guider sans savoir où ils allaient, juste à la confiance qu’ils m’ont portée, et je leur en suis éternellement reconnaissant.”
Pari réussi pour le cinéaste, qui permet à son attachante distribution d’atteindre un degré d’authenticité rarement égalé. Dans les rôles principaux, Ghjuvanna Benedetti et Saveriu Santucci font office de véritables révélations, qu’il tardera au spectateur de découvrir, on l’espère très bientôt, dans d’autres rôles.
Pour les paysages corses, bien plus qu’une toile de fond
Si l’Île de Beauté demeure l’une des régions de France les plus touristiques, c’est à la fois pour la typicité de sa culture et de ses traditions et pour la beauté de sa nature grandiose. Autant d’attributs auxquels Le Royaume rend honneur, puisque le long-métrage arrache la Corse à son statut de simple cadre spatial pour la hisser au rang de personnage à part entière.
Bien plus qu’une toile de fond, l’île devient à la fois la source de l’intrigue et de ses péripéties, raison de ses dilemmes et de ses luttes intestines, mais aussi moyen le plus sûr et le plus beau pour le père et sa fille de s’évader. Lieu hors du temps et de l’espace semblant échapper aux règles et aux lois de la métropole, ce monde isolé devient leur royaume lorsque, oubliant le conflit qui gronde au loin, Lesia et son père partagent un moment de paix en bord de mer.
Sublime et déchirant, Le Royaume, premier long-métrage de Julien Colonna co-scénarisé par Jeanne Herry, est à découvrir dès maintenant au cinéma.