Il y a des années, l’acteur Jack Merrill a parlé à un producteur hollywoodien de la nuit de 1978 où il a été enlevé par le tueur en série John Wayne Gacy. “C’est comme ça que tu veux qu’on se souvienne de toi ?” lui a demandé le producteur. Merrill a alors pensé : “Non, je suppose que non. Ce serait comme me lier à lui.”
Pendant des décennies, l’acteur surtout connu pour des apparitions dans des séries telles que Grey’s Anatomy, Revenge ou Hannah Montana, a donc essayé de mettre l’agression derrière lui, racontant seulement à ses amis les plus proches ce que Gacy lui avait fait subir une nuit dans son ranch à la périphérie de Chicago.
Miraculement, Jack Merrill a survécu. Plusieurs mois plus tard, le 21 décembre 1978, Gacy, un entrepreneur qui jouait également un rôle de clown nommé Pogo, a été arrêté et finalement accusé du meurtre de 33 jeunes hommes. Gacy a été exécuté par injection létale en 1994. Aujourd’hui, Merrill, 65 ans, est prêt à partager son récit de survie et a écrit un spectacle sur sa vie extraordinaire, The Save, qui est actuellement joué au théâtre Electric Lodge de Los Angeles, un spectacle “cathartique” pour l’acteur fier de son parcours.
Son histoire
Après avoir grandi dans l’Illinois avec quatre sœurs aînées dans un foyer qu’il décrit comme “malheureux”, Jack Merrill quitte son domicile familial à l’âge de 17 ans après s’être battu avec son père. Il emménage alors dans son propre studio dans le centre-ville de Chicago. À 19 ans, voulant être acteur mais ne sachant pas comment s’y prendre, il travaille dans des clubs. Et un soir, il fait une rencontre dont il se souviendra toute sa vie. Voici son histoire, telle qu’il l’a confiée à People.
“Un soir, après avoir nagé, je rentrais chez moi à pied. Un type s’est arrêté et m’a dit : ‘Tu veux aller faire un tour ?’ J’ai pensé que j’allais faire quelques tours de pâté de maisons, mais il a commencé à conduire vite et a débouché dans un quartier vraiment dangereux. Il m’a dit : ‘Ferme ta porte à clé. C’est dangereux.’ Je lui ai dit qu’ils ne parlaient pas de ça dans les journaux parce que c’était mauvais pour les affaires dans la rue Rush qui n’était pas loin, et il a dit : ‘Comment le sais-tu, hein ? Tu es intelligent. Tu n’es pas comme ces autres enfants.’
Je n’étais jamais monté dans la voiture de quelqu’un auparavant, mais j’avais le sentiment que s’il pensait que j’étais différent des autres personnes qu’il avait embarquées, alors je devais continuer. Il s’est arrêté près de la rampe de l’autoroute Kennedy et m’a demandé si j’avais déjà pris des ‘poppers’ – du nitrite d’amyle. Il a sorti une bouteille marron, a aspergé un chiffon de liquide et l’a enfoncé dans mon visage. Je me suis évanoui et quand je me suis réveillé, j’étais menotté. J’ai vu la sortie pour Cumberland sur l’autoroute, près de l’aéroport, et la prochaine chose que j’ai comprise, c’est que nous étions devant sa maison.
Il m’a dit de me taire. Une lumière venant de l’arrière de la maison l’a frappée dans les yeux et j’ai soudain réalisé à quel point il était dangereux. J’étais un petit jeune homme chétif de 19 ans. Je savais que je ne pouvais pas le mettre en colère. Je devais juste calmer la situation et faire comme si tout allait bien. C’est comme ça que j’avais survécu quand j’étais enfant : nous avions appris à nous faire discrets pendant les colères de mes parents.
La maison était sombre. J’ai senti que c’était un piège. Il m’a demandé si je lui faisais confiance, et j’ai répondu que oui, alors il m’a enlevé les menottes. Il y avait un bar au milieu de la maison. Nous avons bu de la bière, et il avait de l’herbe forte, puis il a remis les menottes et m’a traîné dans le couloir. Il m’a passé un engin artisanal autour du cou. Il avait des cordes et des poulies, et il les passait autour de mon dos et dans mes mains menottées de telle manière que si je me débattais, je m’étouffais. C’est ce qui s’est passé à un moment donné et j’ai commencé à perdre de l’air. Il m’a mis un pistolet dans la bouche. Puis il m’a violé dans la chambre. Je savais que si je me battais contre lui, je n’avais pas beaucoup de chances. Je n’ai jamais paniqué ni crié. D’une certaine manière, je me sentais également désolé pour lui, comme s’il ne voulait pas nécessairement faire ce qu’il faisait, mais il ne pouvait pas s’arrêter. Nous étions là depuis des heures. Finalement, j’ai pu voir qu’il était fatigué. Tout d’un coup, il a dit : ‘Je te ramène à la maison.’
Il m’a déposé non loin de l’endroit où il m’avait récupéré. Il était environ 5 heures du matin. Il m’a donné son numéro de téléphone et m’a dit : ‘Peut-être qu’on se reverra un jour.’ Quand je suis rentré à la maison, j’ai jeté le numéro dans les toilettes, puis j’ai pris une douche. Je n’ai pas appelé la police – je ne savais pas qu’il était un tueur à l’époque. Je suis allé au Snowflake Diner et j’ai mangé des œufs brouillés et un milk-shake au chocolat. J’ai fait un pacte avec moi-même : j’allais surmonter cette épreuve. Je n’allais pas laisser mon bonheur dans cette maison.
Quelques mois plus tard, j’ai vu un titre dans le Chicago Sun-Times : ‘Des corps retrouvés dans une banlieue’. L’article comportait une carte et la sortie Cumberland de l’autoroute Kennedy était indiquée. J’ai appelé le journal et j’ai dit : ‘Ce type m’a violé.’ L’homme qui a répondu m’a demandé : ‘Comment avez-vous dit que vous vous appeliez ?’ Je n’ai pas donné mon nom. J’étais sensible par rapport à mon nom parce que les gens connaissaient mon père. C’était son journal. J’ai raccroché le téléphone. Je me suis dit que si la police avait besoin de mon aide, je me serais manifesté. Ils ont trouvé tous ces corps sous cette maison, et des années plus tard, il a été condamné. Mais comme je l’ai dit, s’ils avaient eu besoin de moi, je me serais manifesté.
J’ai lu qu’il était allé en prison. J’ai vu sa photo, et il était répugnant. La pensée qui me taraudait était : ‘Est-ce qu’il m’a souillé ? Est-ce que j’étais en quelque sorte souillé ?’ J’avais besoin de changement. Quand le film Fame est sorti, je suis allé le voir, et je me suis dit : ‘Je m’en vais. Je vais porter des vêtements de friperie et pleurer en cours de théâtre.’ J’ai déménagé à New York le jour de mon 21e anniversaire. J’ai été admis au département d’art dramatique de l’université de New York. En 1986, un groupe d’amis et moi avons formé Naked Angels, une troupe Off-Broadway pour acteurs et dramaturges. Jouer était thérapeutique pour moi. Vous êtes obligé de vous exprimer, et il y a une certaine honnêteté qui va avec. Reconnaissance et acceptation.
J’ai suivi une thérapie de groupe, mais ce n’était pas le sujet. J’avais un petit ami qui avait le sida et j’ai rejoint un groupe de soutien. J’ai lu qu’Oprah faisait une émission sur le pardon. Il y avait une femme qui avait été violée, battue et laissée pour morte. Elle disait que si elle ne pardonnait pas à son agresseur, elle ne pourrait pas continuer sa vie. Je savais que je devais le faire – pardonner d’une manière ou d’une autre à Gacy.”
Une culture obsédée par Gacy
Finalement, comme le précise Jack Merrill, c’est son enfance mouvementée et les leçons apprises du comportement de ses parents, qu’il a pardonné et avec qui il s’est depuis rabiboché, qui lui ont sauvé la vie.
“Ce n’est que plus tard, lorsque j’écrivais sur mon enfance pour ce spectacle, que j’ai réalisé que j’avais été sauvé par les leçons que j’avais apprises à la maison. Ils m’ont sauvé la vie cette nuit-là. Ces leçons – avoir ce radar – m’ont accompagné toute ma vie. Ne vous méprenez pas – j’y fais toujours face. Notre culture est obsédée par John Wayne Gacy. Il y a des années, j’étais au Haunted Hayride à Griffith Park à Los Angeles. Nous tournons un coin de rue et il y a une bannière qui dit ‘Macy’s Day Parade’. Mais le ‘M’ a été barré et remplacé par un ‘G’ rouge, et il y a des clowns qui courent partout avec des haches et des couteaux. C’est ce facteur de peur. Les gens adorent ça, mais je ne trouve pas la violence amusante. Je n’irai pas voir ces films. L’idée de voir quelqu’un se faire attacher… Je ne peux pas. Quand j’ai peur, je ne pleure jamais – mes émotions sont bloquées. Mais quand de bonnes choses se produisent dans les films, quand quelqu’un obtient ce qu’il veut, les larmes commencent.”
Jack Merrill conclut : “J’ai appris que personne n’est plus traumatisé que quelqu’un d’autre. Beaucoup de gens ont vécu des choses terribles. Beaucoup de personnes qui ont été violées n’en parlent pas. Je comprends cela. Jusqu’à présent, je n’en ai parlé qu’à des amis proches. Mais dans mon nouveau spectacle, je traverse cette période tous les soirs. Je suis fier de ce parcours. J’ai pu apprendre du mal et l’utiliser pour le bien. Vous savez, j’ai de la chance. J’ai toujours eu de la chance.”
Jack Merrill a officiellement débuté en tant qu’acteur en 1998 avant d’enchaîner les petits rôles à la télévision dans des séries telles que New York, police judiciaire, Sex & the City, Newport Beach, Grey’s Anatomy, Numb3rs, Hannah Montana, Revenge, Games People Play. Côté ciné, on a pu l’apercevoir dans le film Dans la vallée d’Elah en 2007 qui mettait en scène Tommy Lee Jones, Charlize Theron, Jonathan Tucker, Susan Sarandon, James Franco ou encore Josh Brolin, ainsi que dans le film indépendant Limerence (2017), primé au Festival du Film de Venise.
Il présente son spectacle, The Save, racontant cette nuit éprouvante, au Electric Lodge à Los Angeles, depuis le 11 octobre dernier.