Une chronique sociale au plus près de la réalité…
Tandis qu’il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas, Souleymane répète son histoire. Dans deux jours, il doit passer son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane n’est pas prêt.
Le réalisateur Boris Lojkine, et la directrice de casting, Aline Dalbis sont allés à la rencontre de nombreux livreurs et ont écouté leurs récits, qui ont inspiré L’Histoire de Souleymane.
Démêlés avec leurs titulaires de compte, arnaques, difficultés pour se loger, rapport aux clients … Ces livreurs sillonnant les rues à une vitesse folle font face à une réalité parallèle à celle des spectateurs, alors représentés par le travailleur pressé commandant son burger ou encore le passant bousculé, pestant contre le vélo lui ayant coupé la route.
“Presque tous les acteurs du film sont des non-professionnels sans aucune expérience de jeu, précise le réalisateur. Avec Aline Dalbis, nous avons fait un long casting sauvage, arpenté les rues de Paris à la rencontre des livreurs.” C’est le cas de Souleymane, incarné de la plus juste des manières par Abou Sangare, dont l’histoire personnelle est proche de celle de son personnage.
Boris Lojkine, en gardant d’abord le mystère sur la vraie histoire de Souleymane, fait appel à l’humanité des spectateurs qui sont confrontés aux violences du quotidien subies par un demandeur d’asile. Il propose également de penser la condition de ce héros sans-papiers autrement : par exemple, Souleymane choisit de mentir lors de son entretien avec l’Ofpra (office français de protection des réfugiés et apatrides) dans l’espoir de mieux le réussir. Ce choix narratif est d’un point de vue fictionnel bien plus intéressant que de développer un personnage idéal qui aurait choisi de dire la vérité.
… mais aussi un thriller palpitant
Si L’Histoire de Souleymane s’affirme comme une chronique sociale sur la dure réalité des sans-papiers, le long-métrage de Boris Lojkine est aussi un thriller haletant qui, par son suspense, nous tient au plus près du personnage principal jusqu’à la fin.
Dans sa représentation d’une population laissée pour compte, L’Histoire de Souleymane peut rappeler aux spectateurs le film À plein temps, dans lequel le personnage principal, incarné par l’excellente Laure Calamy, doit jongler entre ses responsabilités de mère célibataire et son emploi de femme de ménage dans un palace, se démenant sans relâche pour joindre les deux bouts.
Fiction, documentaire et même thriller, L’Histoire de Souleymane est un long métrage qui mêle les genres. Le film tient en haleine les spectateurs jusqu’à la scène finale de l’entretien, point culminant du film.
Filmer dans la ville
Du point de vue technique, le long métrage est parfois filmé à vélo afin de plonger le spectateur dans le chaos des rues parisiennes. Sur le plateau de tournage, l’équipe était ultra-réduite et multitâche. Le réalisateur avait la volonté d’adapter le dispositif de cinéma au réel.
Le choix des lieux était aussi primordial afin d’avoir le moins possible recours à une intervention de la lumière. Ainsi, des sites aux couleurs saturées et aux teintes en rupture les unes avec les autres ont été privilégiés.
Enfin, le choix judicieux de ne pas mettre de musique permet de créer une vraie ambiance sonore citadine. Boris Lojkine précise qu’il souhaitait non pas enfermer le film dans une esthétique purement documentaire, mais avant tout jouer les partitions sonores de Paris. Pour les scènes dans lesquelles la cacophonie de la ville était trop forte comme celles tournées dans le RER, une attention particulière a été portée aux moyens de prise de son.
Autant de soin apporté par Boris Lojkine à son nouveau long-métrage, qui n’est pas passé inaperçu : présenté à la 77e édition du Festival de Cannes, le film a été couronné des Prix du Jury et du Prix d’interprétation masculine de la catégorie “Un certain regard”.
Chronique sociale à la frontière du documentaire criant de réalisme et du thriller haletant, L’Histoire de Souleymane est à découvrir au cinéma dès maintenant.