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    A voir au cinéma : cette histoire primée à Cannes est bouleversante et c'est un peu celle de son acteur
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Doublement récompensé au dernier Festival de Cannes, "L'Histoire de Souleymane" est un film qui risque bien de vous émouvoir. Surtout en sachant que son acteur est dans une situation similaire à celle de son personnage.

    Ça parle de quoi ?

    Tandis qu’il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas, Souleymane répète son histoire. Dans deux jours, il doit passer son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane n’est pas prêt.

    L’Histoire de Souleymane
    L’Histoire de Souleymane
    Sortie : 9 octobre 2024 | 1h 33min
    De Boris Lojkine
    Avec Abou Sangare, Alpha Oumar Sow, Nina Meurisse
    Presse
    3,9
    Spectateurs
    4,2
    Séances (420)

    A flux tendu

    En octobre 2019, Boris Lojkine nous présentait son film consacré au destin tragique de la photographe Camille Lepage, tuée dans une embuscade en Centrafrique. Cinq ans après, le réalisateur reste ancré dans le réel et le drame, pour nous raconter une histoire, non pas vraie, mais vraisemblable. Car elle pourrait être celle de nombreux travailleurs sans-papiers que l'on croise régulièrement dans les rues de Paris.

    "L'image de ces livreurs à vélo me travaillait", explique le cinéaste dans le dossier de presse. "Et je me suis demandé : et si je filmais Paris comme une ville étrangère dont on ne connaîtrait pas les codes, où chaque policier est une menace, où les habitants sont hostiles, pleins de morgue, difficiles d’accès ? L’autre dans le film, c’est nous : le travailleur pressé qui commande son burger, le passant bousculé qui peste contre les livreurs à vélo, la fonctionnaire qui se tient face à Souleymane."

    De ce quotidien presque banalisé, Boris Lojkine tire un drame qui lorgne vers le thriller. Où chaque croisement, chaque couloir de bus, chaque rencontre peut constituer un danger pour Souleymane. Le ralentir au point de lui faire rater un créneau de livraison (donc de l'argent) ou le dernier bus qui le ramène dans le centre d'accueil où il doit passer la nuit.

    "Et si je filmais Paris comme une ville étrangère dont on ne connaîtrait pas les codes"

    Sans oublier le compte à rebours qui sert de fil rouge à ce récit étalé sur 48 heures : la perspective de son entretien de demande d’asile, sésame pour obtenir des papiers en vue duquel il répète une histoire soi-disant infaillible à défaut d'être la sienne. Par bien des aspects, le long métrage rappelle l'excellent À plein temps, qui nous faisait stresser à l'idée que Laure Calamy rate son train de banlieue.

    Moins trépidant et dénué de musique, L'Histoire de Souleymane s'articule également autour de l'espoir d'un changement de vie et refuse la dramatisation à outrance. Les obstacles restent ainsi plausibles, au profit du réalisme du film et des émotions qu'il suscite. Notamment lors de sa séquence finale, celle de l'entretien, qu'il réussit à rendre tendue puis terriblement émouvante sans en faire trop.

    Il faut dire que le long métrage possède un atout majeur en la personne de son interprète principal, Abou Sangaré. Alors qu'il n'avait jamais joué devant une caméra auparavant, il se révèle d'une justesse de tous les instants, et pour cause : l'histoire de Souleymane (dont il partage le nom de famille), c'est un peu la sienne aussi.

    Coadic Guirec / Bestimage
    Abou Sangaré & Boris Lojkine

    Parti de Guinée à l'âge de 16 ans (il en a aujourd'hui 23), pour aider sa mère malade, l'acteur a traversé le Mali, l'Algérie, la Libye, la Méditerranée et l'Italie, avant de rejoindre la France et de s'installer à Amiens, où il suit un bac pro mécanicien. Comme Souleymane, à la différence que ce dernier est livreur à Paris.

    Mais le comédien et son double à peine fictif partagent aussi le fait de devoir jouer un rôle pour peut-être s'offrir un avenir meilleur : quelques semaines avant l'ouverture du 77ème Festival de Cannes, d'où L'Histoire de Souleymane est reparti avec deux trophées (Prix d'Interprétation Masculine pour Abou Sangaré et Prix Un Certain Regard), le néo-acteur s'est vu refuser sa demande de régularisation. Pour la troisième fois, alors qu'une promesse de CDI l'attend à Amiens.

    Le titre du film revêt ainsi un triple sens : l'histoire de Souleymane est aussi bien ce que l'on voit à l'écran que celle que le héros apprend à raconter pour son entretien, tout autant que celle d'Abou Sangaré. Et d'un très grand nombre de personnes. Alors que la fin du film reste ouverte et laisse au spectateur la possibilité d'entrevoir une issue positive, la réalité en coulisses est tout autre.

    "C'est seulement quand il aura obtenu ses papiers que j'aurai l'impression d'avoir fini mon film"

    Mais son exposition et son succès au Festival de Cannes vont peut-être faire pencher la balance en sa faveur, et des recours ont été déposés par l'équipe : "Le préfet m'a adressé un mail", racontait Abou Sangaré à France 3 en septembre. "Vu les éléments nouveaux ajoutés à mon recours, il me propose de réexaminer une nouvelle demande, ce qui est positif. Mais à l'heure où je vous parle, je suis sans-papiers."

    "À partir du moment où on prend Sangare avec nous pour jouer le rôle principal du film, c'est une forme de responsabilité", rappelle de son côté Boris Lojkine, qui s'est inspiré du destin de son acteur pour celui du personnage. "C'est évident pour moi que c'est seulement quand il aura obtenu ses papiers que j'aurai l'impression d'avoir fini mon film."

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