Quarante-cinq ans après sa deuxième Palme d'or pour Apocalypse Now, Francis Ford Coppola est de retour en Compétition officielle au Festival de Cannes. Pour la 77ème édition, le réalisateur américain revient avec un projet gigantesque et de longue date qu'il a du lui-même financé.
C'est l'un des films de science-fiction les plus attendus de l'année : Megalopolis a semble-t-il tout pour être le nouveau tour de force d'un des cinéastes les plus emblématiques du Nouvel Hollywood.
De quoi parle "Megalopolis" ?
Dans Megalopolis, la ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero.
Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.
Les premières images impressionnantes du long-métrage du cinéaste de 85 ans nous promettaient une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire, alors cette folie des grandeurs et des genres est-elle à la hauteur ?
Notre podcast débrief sur "Megalopolis"
Alors, ça vaut quoi "Megalopolis" ?
Ce projet attendu depuis des années et presque classé au rang de légende urbaine cinématographique a enfin été présenté. Force est de constater après les 2h18 de film qu'il est bien difficile de ranger Megalopolis dans une catégorie particulière et que la proposition de Francis Ford Coppola va forcément diviser.
Avec un budget entre 120 et 130 millions de dollars, un casting de rêve (Adam Driver, Aubrey Plaza, Laurence Fishburne, Nathalie Emmanuel, Dustin Hoffman, Jon Voight ou encore Giancarlo Esposito) et la vision d'une utopie futuriste d'un génie du cinéma, Megalopolis aurait dû s'inscrire dans la lignée des blockbusters SF de ces quinze dernières années qui ont cartonné au cinéma, comme Avatar, Interstellar ou Dune.
C'est ce que laissaient penser les premières images sombres et travaillées. Sachez qu'il ne faut pas s'y fier parce que le film n'a rien à voir avec les teasers. Presque comme un pied de nez au cinéma futuriste actuel, Francis Ford Coppola s'est lancé dans une entreprise expérimentale complètement psychédélique, quitte à ce que la cohérence, la beauté et l'image soient broyées et dénaturées.
Les effets visuels et les effets spéciaux sont aléatoires, difformes et brouillons mais ne manquent pas d'idées. Comme si l'architecte campé par Adam Driver était un prolongement du cinéaste, qui n'a pourtant plus rien à prouver quand on regarde sa carrière, avec la peur d'être obsolète, d'être oublié et de ne plus rien inventer.
Avec un réalisateur aussi réfléchi et méthodique, on a envie de croire que Megalopolis est une entreprise travaillée qui n'est pas à prendre au sérieux, ou en tout cas qui est à prendre au 1000ème degré. Le film quasi parodique à tendance nanardesque s'apparente à une adaptation théâtrale sous acide d'une tragédie grecque avec des costumes et des décors faits maison et des acteurs qui en font des tonnes.
Que ce soit Adam Driver, Nathalie Emmanuel, Shia LaBeouf ou Giancarlo Esposito, tous surjouent et se complaisent dans une posture en roue libre. L'absurdité et le décalage de leurs personnages en font des figures soapesques démentes. Mais on adore particulièrement Aubrey Plaza en antagoniste bitchy, qui aurait parfaitement eu sa place dans l'univers d'Hunger Games.
Mention spéciale à l'intervention d'un homme sur l'estrade de la salle Debussy du Palais des Festivals de Cannes pour incarner face à l'écran un journaliste posant une question le temps de quelques secondes au personnage d'Adam Driver. Une manière délirante de casser le quatrième mur et de créer l'happening marquant de cette 77ème édition.
En reprenant les codes de la Rome et de la Grèce Antique dans une Amérique moderne post-apo et bouleversé par un évènement non décrit (on comprend pourquoi le projet a été mis en stand-by après les attentats du 11 septembre 2001), Francis Ford Coppola livre une critique acerbe, punk et hilarante des Etats-Unis de l'ère Trump.
Les personnages, bien nommés César, Cicero et Crasus, représentent trois grandes forces qui s'affrontent dans la vision du futur : la politique (le maire) avec un programme conservateur, populiste et démagogique, l'argent démesuré et décadent convoité par des héritiers de sang ou extérieurs (le grand banquier) et l'art dans ce qu'elle a de plus paradoxale, à savoir détruire pour mieux reconstruire (l'architecte).
Alors que va devenir New Rome (ex New York) ? Le projet utopique "Megalopolis" de César, stéréotype du savant fou, est-il le meilleur ? Le film n'essaie pas vraiment de répondre à ces questions car ce qui importe dans Megalopolis n'est pas la finalité mais bien tous les méchanismes de pouvoir de ces zinzins de l'espace antique qui entrent en jeu.
Et cela passe par des complots, des trahisons, des longues tirades politiques et philosophiques trop intellectualisées (avec des passages en latin !!!!), des personnages caricaturaux, des dérives de l'entertainment, de la société spectacle et du culte de la personnalité.
Finalement, rien de nouveau sous le soleil sur le fond, puisque ce genre de thématiques a encore été vu récemment au cinéma, notamment dans Civil War d'Alex Garland, mais c'est la forme qui nous surprend totalement.
Qu'est-ce qu'a finalement voulu nous raconter Francis Ford Coppola ? Est-ce qu'il nous trolle ? Est-ce qu'il s'amuse ? Est-ce qu'il a signé sa fable crépusculaire ? Ou est-ce qu'il s'agit d'un terrible raté sur le rêve illusoire de changer le monde ?
On n'a pas envie d'opter pour la dernière option car même si Megalopolis n'est pas le chef-d'oeuvre annoncé, il ne laisse absolument pas indifférent. Et certains plans bourrés d'idées restent déjà en tête, même si on sent le bazar incohérent qu'a du être le tournage.
Mais on comprend pourquoi le film a eu du mal à être réalisé et pourquoi il n'a pas de distributeur aux Etats-Unis. Comment expliquer ou vendre un tel film ? Pour nous, le résultat n'est pas totalement réussi mais suffisamment barré, unique et psychédélique, qu'on a déjà envie d'être dans le futur pour savoir si le film aura droit à une seconde jeunesse.
Le film "Megalopolis" de Francis Ford Coppola n'a pas encore de date de sortie en France.