Ça parle de quoi ?
Une course effrénée à travers une Amérique fracturée qui, dans un futur proche, est plus que jamais sur le fil du rasoir.
4 bonnes raisons de voir Civil War
Pour certains, la simple mention du nom d'Alex Garland suffit à les conduire vers sa nouvelle oeuvre. Le Britannique s'est d'abord illustré comme romancier et scénariste (La Plage, 28 jours plus tard, Sunshine, Never Let Me Go...) avant de passer derrière la caméra (Ex Machina, Annihilation, Men) et de chapeauter une série télé fascinante (Devs).
Focalisé sur l'humain et préoccupé par les sujets qui bouillonnent dans notre société, il est pour beaucoup l'un des auteurs les plus intéressants du moment. Et si cela ne suffit pas, voici quelques raisons de découvrir son nouveau film.
1 - Le choc des photos
Centré sur une équipe de photojournalistes qui traversent une Amérique en guerre, Civil War se devait d'avoir des images marquantes. Et c'est le cas. Dès sa scène d'ouverture, répétition d'un discours du Président des États-Unis (Nick Offerman) qui reprend des vrais morceaux de la rhétorique de Donald Trump, alors que le montage met en parallèle de ses voix des images d'archives montrant la violence dans les rues.
Son efficacité, Civil War la doit en grande partie à un procédé simple : prendre des images qui font désormais partie de notre quotidien, et les rapprocher de nous (en l'occurrence des États-Unis, théâtre d'une nouvelle guerre civile), en se basant sur le fait que la distance aura un impact sur l'effet qu'un conflit aura sur nous.
Tout en posant la question : peut-on faire une belle image à partir d'un événement horrible, sanglant et violent ?
2 - Plus fiction que science-fiction
Bien que situé dans un avenir proche (sans pour autant donner de date), Civil War frappe par son réalisme. Ou plutôt sa plausibilité. Qui interroge sur la catégorie dans laquelle on peut le placer. "J'en ai parlé comme d'un film de science-fiction dans une interview. Mais je ne le rangerais pas dans ce genre", nous dit Alex Garland lorsque nous discutons du film avec lui à Londres.
"En revanche, la science-fiction peut être plausible. Et certaines des meilleures oeuvres se préoccupent de choses plausibles mais qui ne sont pas encore arrivées. Mais Civil War parle de choses qui ne sont pas impossibles, donc je vous répondrais 'oui et non' à la question 'est-ce de la science-fiction ?'"
L'attaque du Capitole n'a pas eu d'impact sur l'écriture de Civil War, mais sur beaucoup de gens qui on travaillé sur le film, dont moi
Le long métrage ne s'appuie pas non plus directement sur des événements qui se sont produits, même s'il est difficile de ne pas penser à l'assaut du Capitole, en janvier 2021, devant certaines scènes : "Civil War a été écrit avant, il y a environ quatre ans. Et on ne peut pas tourner un tel film en suivant un protocole Covid, donc il nous a fallu attendre. Cela n'a donc pas eu un impact sur l'écriture, mais sur beaucoup de gens qui ont travaillé sur le film, dont moi, oui."
"Quelque chose qui relève de l'urgence. Mais également la colère. L'une des conséquences de cette journée a été de mettre les gens en colère. Et cela a été traité comme une disgrâce, ce dont il s'agissait. Donc il serait impossible qu'un groupe de personnes ne soit pas affecté de la sorte." Si la situation est devenue plus plausible depuis l'écriture du scénario, espérons maintenant que celui-ci reste de l'ordre du "et si... ?"
3 - Un hommage aux journalistes
"On témoigne pour que les gens posent des questions" : c'est dans cette réplique que réside la clé de lecture de Civil War. Qui ne cherche pas à donner des leçons mais laisse aux spectateurs le soin de s'interroger eux-mêmes, et d'aller chercher les réponses à ces interrogations. Ce qui permet de les impliquer un peu plus dans le récit.
"C'est une approche qui vient d'une ancienne forme de journalisme", explique Alex Garland. "Il fût un temps où le journalisme avait une idéologie qui lui était propre, à savoir tenter d'être le plus objectif possible. Montrer les faits tels qu'on les observait. Les rapporter, d'où le terme de reporter."
"Cette idéologie permettait plus facilement aux gens de faire confiance aux journalistes. Et il nous faut leur faire confiance. Nous avons besoin d'une presse libre et d'un public qui comprends ses valeurs, la croit. De façon à ce que, quand un événement était rapporté dans un article, les gens croyaient qu'il s'était produit. Ce qui a cessé d'être vrai."
"De très bons journalistes travaillent autour du monde, dans toutes sortes d'endroits, mais leurs voix ont été énormément discréditées, ce qui m'inquiète. Car ils sont attaqués par des gens qui disent qu'il ne faut pas croire ce que la presse dit, dans un premier temps. Et à cause des réseaux sociaux, et même internet en général, qui dissémine toutes sortes de points de vues partout et en très peu de temps."
Il fût un temps où le journalisme avait une idéologie qui lui était propre, à savoir tenter d'être le plus objectif possible. Montrer les faits tels qu'on les observait
"Mais c'est aussi quelque chose que les médias se sont faite à eux-mêmes : si un organisme fonctionne de manière capitaliste, motivé par la publicité, et qu'il éprouve le besoin de parler spécifiquement à son public pour générer le plus de publicité possible, cela créé un biais dans la manière de rapporter des informations."
"Un tel organisme sera cru par une partie du public, et pas pas une autre, ce qui est problématique. Il y a trop de news biaisées, qui sont celles qui sont les plus bruyantes. Civil War tente donc de revenir à cette approche qui consiste à montrer quelque chose, sans mettre son opinion devant, pour s'appuyer sur l'intelligence et les capacités de discussion des spectateurs."
4 - Cailee Spaeny, déjà la confirmation
Parce que le hasard fait parfois bien les choses, Civil War réunit (sans doute involontairement) la première héroïne de Sofia Coppola, et la dernière en date. Soient Kirsten Dunst, que l'on ne présente plus la première (et qui croise son époux Jesse Plemons le temps d'une séquence terrifiante). Et Cailee Spaeny, qui va faire de 2024 son année.
Grâce à Priscilla, biopic sur l'épouse d'Elvis Presley sorti en janvier qui lui a valu un Prix d'Interprétation Féminine au Festival de Venise 2023. A Civil War aujourd'hui. Et, cet été, Alien : Romulus, dont elle sera l'héroïne. Si la réussite est davantage au rendez-vous que pour Noomi Rapace et Katherine Waterston, qui avaient tenté de succéder à Sigourney Weaver dans Prometheus et Covenant.
Si le succès est de mise, dans le film de Fede Alvarez attendu le 14 août, l'espoir deviendra vite incontournable. Et elle brille aujourd'hui dans son rôle de photographe novice, qui permet au spectateur de découvrir ce milieu avec elle, alors que ses certitudes et son idéalisme vacillent tandis qu'elle s'endurcit, au gré des horreurs auxquelles elle se confronte.
Son nom n'est peut-être pas le plus facile à écrire, certes. Mais il va falloir commencer à s'y entraîner sérieusement.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Londres le 26 mars 2024