En salles le 12 mars, Les Rois de la piste nous présente Rachel, campée par une truculente Fanny Ardant. Sorte de Ma Dalton, elle a élevé ses fils Sam et Jérémie, et son petit-fils, Nathan, dans le culte de l’arnaque. De plans foireux en petits larcins, cette sympathique famille de bras cassés court toujours après le gros coup.
Chance ou fatalité, lors d’un cambriolage, ils volent sans en connaitre sa valeur, une toile de Tamara de Lempicka. Céleste, une détective rusée et charmeuse, et Gauthier, son fidèle acolyte, se lancent à leur poursuite...
Une histoire débridée !
Après des longs-métrages aux thématiques plus dramatiques, le réalisateur Thierry Klifa nous propose un voyage avec des personnages hauts en couleurs dans une registre plus léger. "Je voulais faire un film heureux qui rende les gens heureux ! Cela faisait longtemps que mes producteurs (Romain Rousseau et Maxime Delaunay) me poussaient vers ce registre," confie le cinéaste à notre micro.
"Je sortais d’un polar sombre (Tout nous sépare) et d’un documentaire dont le tournage avait été intense, et l’idée de passer du temps à l’écriture, au tournage, au montage, avec les Zimmermann, cette famille de bras cassés qui a l’arnaque dans le sang, avait quelque chose de réjouissant. Se réveiller avec eux, se coucher avec eux, rêver d’eux était très motivant", ajoute Thierry Klifa.
Le metteur en scène souhaitait nous offrir une histoire "débridée, joyeuse, drôle, inattendue, romanesque, un peu comme les films de Jean-Paul Rappeneau ou de Philippe de Broca. Une comédie policière dans la lignée de Family Business de Sidney Lumet avec quelque chose du Pigeon de Mario Monicelli aussi. Dès le départ, j’avais en tête ce personnage de Ma Dalton qui a élevé ses fils et son petit-fils de façon peu conventionnelle et qui fuit à tout prix la normalité, les conventions, les politesses de façade", explique l'artiste.
Une famille foldingue
Fanny Ardant, Mathieu Kassovitz, Ben Attal et Nicolas Duvauchelle campent les membres de cette famille complètement déjantée. Thierry Klifa a adoré construire ces personnages en couleurs, ces "perdants magnifiques que je préfèrerais toujours à ceux qui gagnent à tous les coups, ces princes sans royaume. Cela m’a permis aussi à travers ce clan, de parler encore de la famille, de la transmission, des liens du sang", souligne le réalisateur.
"C’est quoi une famille ? Si ce n’est une micro-société où l’on tient un rôle lors du déjeuner dominical, des fêtes, des anniversaires. Il y a la place qu’on vous attribue et la place qu’on prend, parfois de force, parfois en trahissant. On part du même endroit mais nous n’avons pas les mêmes rêves, les mêmes aspirations, les mêmes ambitions."
"On réussit, on se plante, on a de grands bonheurs et d’immenses chagrins, pas forcément au même moment. La famille est aussi un reflet aussi de son époque. Je n’en parle pas aujourd’hui comme j’en parlais il y a vingt ans. Donc je n’ai vraiment l’impression de me répéter."
Des rôles cocasses
Ce quatuor de comédiens s'amuse comme des petits fous dans Les Rois de la piste. Thierry Klifa confie avoir eu beaucoup de chance qu’ils s’aventurent vers des personnages qu’ils n’avaient jamais joués auparavant et qu’ils s’entendent aussi bien. "Il y avait une émulation entre eux. Cette famille leur ressemble, chacun y a naturellement trouvé sa place. C’est leur complicité qui transparait à l’écran."
"Je les laissais assez libres tout en étant à la fois concentré et vigilant pour que leur enthousiasme ne déborde jamais l’histoire. Entre les prises, ça riait, ça s’engueulait, ça se taquinait… Les fils, Mathieu et Nicolas, tutoyaient la mère, Fanny, qui les vouvoyait. Ils étaient heureux d’être là et ça c’est formidable pour un metteur en scène. C’est tellement inspirant. Lire chaque jour ce plaisir-là sur leur visage."
"Le matin, ils arrivaient avec le texte à la main, pas totalement su, comme s’ils avaient besoin d’être ensemble pour l’apprendre vraiment, pour dégainer au bon moment et balancer leurs répliques… Comme si le film s’écrivait devant moi. De toute façon, si je savais à l’avance comment mes acteurs vont jouer la scène ça m’ennuierait profondément."
Mathieu Kassovitz à contre-emploi
Dans Les Rois de la piste, Mathieu Kassovitz incarne Sam, un personnage dépressif et maladroit, mal à l'aise dans ses baskets. Un rôle totalement à contre-emploi pour le comédien. "Quand je lui ai donné le scénario, j’ai vu tout de suite qu’il était intéressé. Il l’a lu dans la journée et c’était parti. Nous avions la même vision du film et du personnage", indique le metteur en scène.
"Il a trouvé ses costumes, s’est aplati les cheveux, a tenu à la perfection sa partition de type dépressif sous médocs, phagocyté par sa mère, rongé par le remord et la culpabilité vis-à-vis de son fils… Mathieu est bon tout de suite. Il n’a pas peur du ridicule. D’en faire trop. Du coup, à chaque prise, on essayait autre chose. Il a été un partenaire formidable. Il est très intelligent, rapide."
"Il connait par cœur le cinéma mais je n’ai jamais eu peur qu’il s’immisce dans la mise en scène, qu’on entre en conflit. Il a du caractère, il n’y met pas toujours les formes, mais ça me va très bien, on n’est pas là pour se passer de la pommade. Je lui ai demandé à venir à la fin du montage pour jeter un œil. Il a beaucoup apporté. En voyant des choses, parfois des détails à côté desquels je passais. J’ai beaucoup d’admiration pour l’acteur et le metteur en scène. L’ordre et la morale est un film important pour moi."
Fanny Ardant matriarche excentrique
"Je ne suis pas beaucoup dans la psychologie des personnages avec les acteurs. Et ça tombe bien avec Fanny Ardant !", s'exclame Thierry Klifa. "Je voulais vraiment qu’elle soit au centre de l’histoire. J’ai pensé à Anne Bancroft dans À la recherche de Garbo de Sidney Lumet. Rachel n’est pas une bourgeoise. Et contrairement à ce qu’on pense souvent Fanny non plus. C’est une rebelle. Elle a le goût de l’aventure, le sens du romanesque, des positions très tranchées. Elle n’est pas politique."
"Donc, finalement, il a juste fallu que je puise en elle des choses que je connais de son caractère pour imaginer avec Benoit Graffin, mon scénariste, cette matriarche. Rachel Zimmermann lui ressemble beaucoup plus que nombre de personnages qu’elle a pu jouer. Je lui ai 'emprunté' certaines de ses expressions, notamment quand elle trinque, et nous trinquons souvent ensemble : 'À la vie qui passe et ne revient pas.'"
"Fanny avait dit un jour en interview quand on lui demandait ce qu’elle avait transmis à ses filles : 'Je leur ai appris à ne pas courir sous la pluie.' Rachel aurait pu dire ça à ses garçons. Ce qui intéresse Rachel depuis toute ces années c’est l’adrénaline, la préparation du coup, l’excitation à être avec ses fils et à comploter. Elle ne veut pas gagner à la loterie, elle en serait même désolée parce que ça marquerait la fin de l’histoire. Pas le genre à se retirer, un mojito à la main, sur une plage déserte."
"Après, de façon plus personnelle, Fanny a été l’une des premières quand j’avais 25 ans et que j’étais journaliste à Studio Magazine à déceler que je voulais devenir cinéaste. Cela a été très important qu’elle le devine, alors que je n’osais pas le dire, qu’elle m’encourage… dans les moments de doute, dans ces passages que j’ai traversé la peur au ventre de ne jamais y arriver, je revoyais la bienveillance de son sourire."
"Quand je l’ai revu des années plus tard, après la sortie d’Une vie à t’attendre, je l’ai remercié. Elle m’a répondu : 'On ne pousse que ceux qui sont au bord de la falaise !' Depuis, nous ne nous sommes plus quittés. Fanny, mais aussi Catherine Deneuve ou Nathalie Baye, ont changé ma vie de spectateur quand j’étais enfant, de cinéphile, de metteur en scène, d’homme. Je leur en saurais à jamais reconnaissant."
Des références à foison
Thierry Klifa aime parsemer ses oeuvres de références cinématographiques, en ancien journaliste et cinéphile aguerri. "Le cinéma m’accompagne depuis si longtemps. C’est même la grande histoire de ma vie. Les cinéastes sont comme des amis qui m’influencent sans forcément que j’en sois conscient. Parfois c’est volontaire. Parfois non. Mais Les Rois de la piste n’est pas un film uniquement pour les cinéphiles."
"On peut l’aimer, rire et être ému par lui sans avoir forcément vu Rappeneau, de Broca, les grandes comédies américaines de Lubitsch ou Billy Wilder. C’est vrai que pour le film j’ai revu beaucoup de Blake Edwards, Veuve mais pas trop et Dangereuse sous tous rapports de Jonathan Demme où il met des personnages féminins au centre de son dispositif narratif."
"C'est aussi le cas dans Éclair de lune de Norman Jewison ou Tendres passions de James L. Brooks, modèle du genre, chef d’œuvre absolu. Cela m’a fait plaisir quand Fanny Ardant m’a d’ailleurs dit qu’elle l’avait vu à l’époque avec François Truffaut et qu’ils avaient adoré."
Thierry Klifa conclut notre entretien en rendant hommage aux comédiennes. "Je ne pourrais d’ailleurs pas faire de cinéma si les actrices n’existaient pas. Elles me sont indispensables. C’est dur le cinéma. Le financement. Le système qui a toujours un peu de mal à se positionner avec les 'films du milieu'."
"Jusqu’au premier jour de tournage, tout peut s’écrouler. Et là, c’est si dévastateur, tant pour l’équipe que pour moi. Je peux juste dire qu’il y aura encore au centre deux magnifiques personnages de femme dans mon prochain projet."
Les Rois de la piste sort en salles le 13 mars 2024.