La série documentaire Raël : Le prophète des extraterrestres retrace, avec images d'archives et témoignages à l'appui, la naissance et l'évolution du mouvement raëlien, secte qui affirme que l'être humain a été créé par une race extraterrestre, les Elohims. L'auteur Alexandre Ifi et le réalisateur Antoine Baldassari se sont plongés dans une enquête passionnante qui a duré deux ans. Rencontre.
AlloCiné : Raël a beaucoup marqué le paysage médiatique français dans les années quatre-vingt. Comment est né ce projet de série documentaire ?
Alexandre Ifi, auteur de la série : Je travaille pour KM Productions [dont Antoine Baldassari est le directeur général, ndlr] et lorsque j’ai vu le documentaire Wild Wild Country sur Netflix,, j’ai pensé à Raël. J’en ai parlé à Antoine et on s’est entendus.
Antoine Baldassari, réalisateur de la série : Alexandre me dit : “Ça te parle Raël ?” et moi ça me parlait énormément. Je me souviens de lui quand j’étais gamin, c’est devenu un personnage médiatique très rapidement. D’ailleurs, son premier passage télévisé chez Jacques Chancel, j’avais 10 ans, et j’étais devant le poste.
On a tous les deux des connexions différentes avec ce mouvement. Alexandre, c’était l’histoire du bébé cloné et son passage polémique dans l’émission de Christophe Dechavanne, donc plutôt les années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix. Moi j'avais ce souvenir de lui jeune. Les prémices de son mouvement. À la fin des années soixante-dix, on se met à croire et à tout et à n'importe quoi.
Raël, c'est cinquante ans d’histoire. Un caméléon qui s’est adapté à toutes les époques. Il y a le personnage, le mouvement, les disciples et tout de suite, j’ai dit à Alexandre : “Si on y va, on y va à fond.”
Quand et comment votre travail a commencé ?
Alexandre Ifi : Nous avons eu le feu vert de Netflix en juillet 2020 et nous avons commencé à travailler dès septembre 2020. Une équipe de trois journalistes a été montée. Parmi eux, une rédactrice en chef et une documentaliste. Nous avons par la suite recherché des témoignages. Il y a ceux qui sont en tête du mouvement, mais aussi ceux qui en sont sortis et d’autres qui y sont encore. Nous n'imaginions pas qu’ils étaient dans le monde entier. Ils avaient quelque chose de très ordinaire et en même temps extraordinaire.
D’entrée, je leur ai dit que je ne croyais à rien.
Comment êtes-vous entrés en contact avec le mouvement raëlien ?
Antoine Baldassari : J’ai dû repasser mon bac quatre ou cinq fois devant eux. Au départ, tu reçois une convocation par mail et tu es invité sur un Zoom. Tu ne sais pas à qui tu parles. Il y avait quatre personnes, puis cinq, puis trois. Cela a pris un mois et demi, et tout à coup, toujours sur Zoom, je me retrouve face à Brigitte Boisselier, qui est, pour faire simple, la numéro deux du mouvement.
Elle, je la visualise, je l'identifie, mais les autres, je ne savais pas qui ils étaient. Brigitte Boisselier a transmis notre demande à Raël et là, Alexandre, puis les équipes, sont entrés dans la danse. On a commencé à nouer des contacts. Nous sommes restés dans une relation assez étroite, eux et nous. Il fallait qu'on établisse un lien de confiance.
D’entrée, je leur ai dit que je ne croyais à rien. Aussi simple que ça. Mais ce que je trouvais intéressant, c’était de raconter leur histoire, qui est dingue et qui traverse un demi-siècle. À partir de là, il fallait faire tomber les craintes. Mais dès le début, ils savaient que nous allions contacter des opposants car ils sont un mouvement polémique. Pendant cinquante ans, ils ont pris le contrepied des institutions, il fallait l’assumer. Et ils ont accepté.
Alexandre Ifi : Au total, nous avons parlé à plus de 30 personnes dans le mouvement. Nous avons choisi les histoires qui nous semblaient assez fortes pour construire un récit. Il n'y a eu aucun contrôle de leur part, il n'y en a jamais eu.
Vous avez retrouvé Raël. Vous n’étiez pourtant pas certains de l’avoir…
Alexandre Ifi : Nous avons commencé à travailler sans l’idée préconçue de l’avoir. La confiance qui s’est installée entre le mouvement et nous a payé. Ils ont vu les tournages se faire, nous avons été transparents sur nos intentions. Et en septembre 2021, soit un an après le commencement du projet, nous l’avons eu.
Comment s’est déroulée votre rencontre ?
Antoine Baldassari : À cause du Covid, la rencontre s’est faite par Zoom. Lui était sur son île d’Okinawa, au Japon, mais le pays était inaccessible. Il nous a accordé quatre heures. Les entretiens se sont faits en deux temps. C’est une équipe sur place qui a tourné l’interview.
Néanmoins, j’ai réalisé les séquences sur la plage à distance. Il avait un téléphone sur haut parleur dans la poche par WhatsApp et j’avais les écrans sur mon ordinateur.
Et qu’avez-vous pensé de lui ?
Alexandre Ifi : Raël est différent des autres. Je pense qu'il est beaucoup plus sous contrôle que les autres. Il contrôle sa parole, son image, sa vie et donne ce qu'il veut donne. Il n’est pas comparable aux disciples. Eux leur vie a changé. Lui, il donne moins.
Antoine Baldassari : C’est celui qui pense qu’il n’a pas à donner. Les autres veulent raconter leur histoire, mais lui dit : “Je suis Dieu, c’est moi le frère de Jésus, donc je ne vais pas vous raconter mon histoire, vous la connaissez.” Brigitte Boisselier, elle, qui est aussi dans le contrôle, beaucoup. c'est la moi pour moi on en a parlé avec Alex, c'est la pour moi, c'est les deux qui sont vraiment dans le contrôle. Mais les autres, les autres ils sont complètement premier degré.
Brigitte Boisselier est dévouée corps et âme à Raël.
Vous parliez de Brigitte Boisselier. Tout un épisode, le troisième, lui est consacré. Que pouvez-vous nous dire sur elle ?
Antoine Baldassari : Nous sommes allés à sa rencontre au Mexique, d’abord sans caméra pour passer une journée avec elle. Puis une fois le tournage commencé, deux jours d’interview n’ont pas suffi. Nous sommes revenus un troisième jours pour deux ou trois heures supplémentaires. C’'est un personnage mystérieux. Elle semble très calme, très zen, elle est dans le contrôle absolu.
On savait qu'elle avait un rôle très important au sein du mouvement. C'est elle qui fait le lien, qui a l'oreille de Raël et on découvre qu’elle est corps et âme dévouée à lui. Elle est son bras armé.
Alexandre Ifi : Je pense que la série montre toute sa complexité. Les gens doivent se faire leur propre avis. Chacun se fera son idée.
Le documentaire parle d’une forme de soumission chez les femmes, Avez-vous eu vent d’agressions sexuelles au sein du mouvement ?
Antoine Baldassari : Il faut être bien clair là-dessus. Raël n’a jamais été attaqué, ni condamné. Pour Raël, il prône la religion du plaisir et à un moment donné dans le plaisir, on arrive sur le sexe. Ce que disent les raëliens, c’est que ça les libère complètement. Est-ce que Raël en a fait un objet pour son intérêt propre ? Le public se fera une idée. Vous ne pouvez pas dire à Nadine Gary qu’elle s’est donnée au prophète contre son gré. D’ailleurs, on ne sait pas trop si elle l’a fait.
Alexandre Ifi : En tout cas, chacun donne son point de vue. Brigitte McCann, la journaliste québécoise, a enquêté et elle a un point de vue. Georges Fenech, aussi. Rien n'est éludé. Toutes les controverses autour du mouvement raëlien, que ce soit la pédophilie, que ce soit les agressions sexuelles, c'est évoqué parce que c’est le récit de leur vie.
Pour McCann, l’enquête a changé sa vie. Le journaliste Georges Fenech, c'est 50 ans de lutte pour lui. Après l’interview, il nous a dit : “Vous me faites revisiter pourquoi j'ai lutté.” C'est intéressant que tout le monde, tous les points de vue se confrontent autour d'une idée large qui est celle de la croyance.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 30 janvier 2024.
Raël : Le prophète des extraterrestres est disponible sur Netflix.