Ça parle de quoi ?
Un journaliste de musique new-yorkais mène l’enquête sur la disparition, à la veille du coup d'État en Argentine, de Francisco Tenório Jr., pianiste brésilien virtuose. Tout en célébrant le jazz et la Bossa Nova, le film capture une période éphémère de liberté créatrice, à un tournant de l’histoire de l'Amérique Latine dans les années 60 et 70, juste avant que le continent ne tombe sous le joug des régimes totalitaires.
3 bonnes raisons de se laisser tenter
Après plusieurs longs métrages en prises de vues réelles, réalisés depuis le début des années 80, Fernando Trueba est passé à l'animation en 2011 avec Chico & Rita, secondé par Javier Mariscal. Voici pourquoi il ne faut pas manquer leur seconde collaboration, également animée.
1 - D'après une histoire vraie méconnue...
Le journaliste musical Jeff Harris, qui raconte l'histoire, n'existe pas. Mais Francisco Tenório Jr. oui. né le 4 juillet 1941 à Rio de Janeiro, ce pianiste brésilien serait mort en mars 1976 à l'âge de 34 ans. Notez bien le conditionnel. Car si son sort ne fait hélas aucun doute, les circonstances de sa disparition n'ont jamais été vraiment élucidées. Et chaque interlocuteur du personnage principal a une théorie différente, jusqu'à un témoignage clé.
Mais toutes pointent vers la même conclusion : Francisco Tenório Jr. a payé le prix fort du vent de liberté qu'il a contribué à faire souffler à travers sa musique. Le film fait de lui un symbole de l'oppression caractéristique des dictatures, et la manière dont celles et ceux qui tentent de lui résister sont traités. Dans un récit au croisement de l'enquête, du thriller politique et du documentaire, qui se sert de l'animation et de couleurs vives pour faire revivre le pianiste.
"Au départ, je souhaitais réaliser un documentaire classique sur Tenório", précise le co-réalisateur Fernando Trueba. "Il n’y avait rien sur lui, donc j’ai réalisé plus de 150 interviews filmées avec ses copains musiciens, des ingénieurs du son, sa femme, Carmen, sa maîtresse, Malena, ses enfants. Je suis allé à Paris, New York, Boston, Los Angeles, Rio, São Paulo... Je me suis également rendu en Argentine pour voir les lieux où Tenório avait passé ses derniers jours. J’avais alors plus de renseignements sur lui que sa famille et la police !"
"Grâce à l’animation, nous pouvions redonner vie à Tenório et le voir jouer. Grâce aux dessins et aux couleurs de Javier [Mariscal, co-réalisateur], nous étions en mesure de 'rouvrir' les bars de Rio de Janeiro où la Bossa Nova est née dans les années 60. Nous avions aussi la possibilité de recréer les années noires de l’Argentine." De la forme, du fond et un film qui nous parle de l'Histoire de l'Art et de l'Amérique du Sud sur fond de destin méconnu, que demander de plus ?
2 - ... avec une voix bien connue
Si plusieurs des personnes interrogées par Jeff Harris existent vraiment (Gilberto Gil en tête), ce n'est pas le cas du journaliste, que l'on peut néanmoins considérer comme la voix de ses réalisateurs. À ceci près qu'il possède celle de... Jeff Goldblum. Que Fernando Trueba avait déjà dirigé dans Le Rêve du singe fou en 1990 (avec également Anémone au casting), bien avant qu'il ne s'essaye à l'animation avec Chico & Rita, en 2011, aux côtés de Javier Mariscal.
Et c'est peu dire que le timbre chantant du Ian Malcolm de Jurassic Park, lui-même pianiste de jazz quand il n'est pas devant une caméra, sied parfaitement à ce récit sur fond de musique, qu'il narre majoritairement en voix-off. À tel point que, au début, They Shot the Piano Player ressemble à un épisode animé de la série documentaire Le Monde selon Jeff Goldblum, disponible sur Disney+. Avant que le réalité ne reprenne le pas sur la fiction, et que l'acteur parvienne à se faire oublier... tout en continuant de nous captiver.
3 - Un hommage à la musique et au cinéma
Est-ce vraiment un hasard si le titre They Shot the Piano Player rappelle celui de Tirez sur le pianiste ? Bien sûr que non. Et pas seulement parce que Fernando Trueba avoue avoir écrit le scénario avec l'affiche du second long métrage de François Truffaut devant les yeux, au-dessus de son bureau.
Le film explique en effet que la Bossa Nova et la Nouvelle Vague française ont été lancées la même année, en 1959, révolutionnant leurs domaines respectifs en bouleversant les codes établis jusqu'ici. Les cinéphiles auront donc la joie de voir dans They Shot the Piano Player des extraits d'A bout de souffle, Les 400 coups et Jules et Jim en version animée. Avec le risque de vouloir revoir ces films, tout en écoutant la musique mise en avant dans ce long métrage animé.
À commencer par celle de Francisco Tenório Jr. qui, s'il n'a été l'auteur que d'un seul album solo, reste considéré comme un figure majeure de l'Histoire de la musique avec une influence qui a grandi au fil des années. Que They Shot the Piano Player le mette autant en avant n'est donc que justice.