Martin Scorsese a toujours livré des oeuvres largement nourries et irriguées par ses profondes influences cinéphiles, en bonne encyclopédie vivante du 7e Art qu'il est. Il demande d'ailleurs régulièrement à son casting de regarder tel ou tel film en amont de ses tournages, pour nourrir la composition des personnages, donner des idées de jeux d'acteur, ou éclaircir ses intentions de mises en scène. Lorsqu'on a la chance comme Leonardo DiCaprio de travailler avec un immense réalisateur aussi cinéphile que Scorsese, ca aide.
Le site Letterboxd a mis en ligne un tout récent et passionnant échange entre les deux intéressés à ce sujet. Et d'évoquer naturellement Les Infiltrés, qui a valu à Marty l'unique Oscar à ce jour du Meilleur réalisateur, en attendant peut être une seconde statuette prochainement avec sa citation glanée pour Killers of The Flower Moon.
"Pour Les Infiltrés, je me souviens que tu m'avais demandé de regarder un film d'Andrzej Wajda, Cendres et diamant. Tu as été très insistant pour que je vois la performance de l'acteur principal; ce contexte de l'après Seconde Guerre mondiale en Pologne; le fait que le héros soit confronté à un dilemme moral, ce qui est bien de ce qui ne l'est pas. Cette anxiété et tension interne et constante chez lui. Je me souviens que ce film a eu une grande influence pour moi sur Les Infiltrés, et sur l'interprétation de mon personnage, Billy Costigan".
"Ce film a eu une telle influence sur moi !"
Scorsese lui répond : "je voulais d'abord que tu vois la performance de Zbigniew Cybulski [NDR : l'acteur principal]. lI aurait certainement été aussi connu que Marcello Mastroianni ou d'autres grands acteurs européens connus qui ont fait carrière à l'international. Il est malheureusement mort accidentellement durant le tournage d'un film quelques années après, heurté par un train. Ca été une grande perte, il était considéré comme le James Dean européen. [...]
Cendres et diamant a eu un tel impact sur moi lorsque je l'ai vu ! J'avais la vingtaine. A la manière de ton personnage dans Les Infiltrés, il est coincé. Ton personnage, lui, est coincé au milieu de cette guerre de gangs, et il ne sait même pas pourquoi il est là. Au bout du compte, Billy Costigan essaie de trouver ce qui est bon, au milieu d'un monde dépourvu de toute moralité".
Un tueur aux états d'âme
On n'en attendait pas moins de la part d'un réalisateur aussi cinéphile. Sorti en 1958, et considéré à juste titre comme un chef-d'oeuvre de son auteur Andrzej Wajda, Cendres et diamant se déroule en 1945 sur une journée. C'est le jour de l’Armistice dans une petite ville polonaise, au milieu des combats entre communistes et nationalistes.
Un de ces derniers, Maciek, jeune et aguerri par la lutte armée, reçoit l’ordre de tuer le nouveau secrétaire régional du Parti. Mais lui et son groupe se trompe de cible. Attendant une nouvelle occasion d’achever sa mission, il a une liaison fulgurante avec une serveuse…
"Ce film a la force d'une hallucination : en fermant les yeux, certaines images du film me reviendront en flashback avec la même force que lorsque j'ai découvert le film il y a plus de 50 ans" disait Scorsese à propos du film, il y a quelques années. "J'ai croisé plusieurs fois Andrzej Wajda au cours des années, et j'ai toujours été époustouflé par son énergie et sa vision sans compromis [...]".
Le film comporte d'ailleurs une des scènes préférés d'un certain Francis Ford Coppola !
Si vous voulez voir le (grand) modèle d'inspiration du personnage de Léo dans Les Infiltrés, Cendres et diamants est disponible en DVD. En attendant une hypothétique édition en Blu-ray dans nos contrées...