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    30 ans après, le scénariste de Philadelphia présente la série Fellow Travelers : "Pourquoi ne pouvons-nous pas être des Tony Soprano ou des Walter White ?"
    Thomas Desroches
    Thomas Desroches
    -Journaliste
    Les yeux rivés sur l’écran et la tête dans les magazines, Thomas Desroches se nourrit de films en tout genre dès son plus jeune âge. Il aime le cinéma engagé, extrême, horrifique, les documentaires et partage sa passion sur le podcast d'AlloCiné.

    En 1993, Ron Nyswaner écrivait le scénario de "Philadelphia" avec Tom Hanks. Aujourd'hui, il est l'auteur de "Fellow Travelers", une série qui revient sur 30 ans d'histoire de luttes pour les droits des personnes LGBTQ+. Rencontre.

    Si l'ère du maccarthysme et la chasse aux communistes ont de nombreuses fois fait l'objet de thrillers politiques au cinéma, la peur violette - la traque aux homosexuels - est un sujet beaucoup plus rare. Il est au cœur de Fellow Travelers, une série ambitieuse portée par Matt Bomer et Jonathan Bailey, mais surtout écrite par un auteur qui a beaucoup fait pour la représentation des personnes LGBTQ+ à Hollywood, Ron Nyswaner.

    Il y a trente ans, il écrivait le premier film américain produit par un gros studio à aborder le sida. Le film, Philadelphia de Jonathan Demme, a permis à Tom Hanks de décrocher son premier Oscar avant de s'ériger en classique. AlloCiné a rencontré Ron Nyswaner pour revenir sur cette série engagée qui vient, d'une certaine manière, boucler une boucle qui a commencé avec Philadelphia.

    Fellow Travelers
    Fellow Travelers
    Sortie : 2023-10-29 | 52 min
    Série : Fellow Travelers
    Avec Matt Bomer, Jonathan Bailey, Jelani Alladin
    Presse
    4,3
    Spectateurs
    4,3
    Streaming

    AlloCiné : Fellow Travelers est une série politique qui met en scène des personnages et des histoires que l’on voit encore peu à l’écran. A-t-il été difficile de faire exister cette série ?

    Ron Nyswaner : À partir du moment où nous l'avons vendue à Showtime, nous avons reçu une série de "oui". C'était un long processus, certes, mais la série a été soutenue et aimée par le studio, Fremantle, et par Showtime d'une manière qui m’a beaucoup touché. Mais évidemment, il y a eu des notes, des suggestions, des choses avec lesquelles j’étais d’accord, d’autres non. Mais c'était une belle collaboration. J'ai donc eu beaucoup de chance.

    Le sida, c'est une partie de l'histoire que les gens oublient, et nous l'avons surmontée.

    La série est riche en détails et en informations sur la période du maccarthysme. Combien de temps ont pris vos recherches pour rassembler cette matière ?

    J'ai travaillé avec deux assistants tout au long du processus. Et cela a duré quelques années. Il y a eu une phase de recherche avant que l’on vende la série et une fois que nous l'avons vendue, nous avons engagé Louis Gropman, qui est devenu notre spécialiste. De Joseph McCarthy à Roy Cohn, tout ce que les personnages historiques disent en public dans la série, ils l'ont réellement dit.

    Les scènes d’audition proviennent des transcriptions de l’époque, idem pour les discours de McCarthy. C’est également le cas pour la scène du détecteur de mensonges, ce sont des questions qui ont réellement été posées. C'est un travail méticuleux.

    L’intrigue traverse trente ans d’histoire. Comment avez-vous construit vos choix sur les moments décisifs que vous vouliez absolument inclure dans la série ?

    Ce qui me préoccupait, c'était l'histoire d'amour entre Hawk et Tim. Comment les réunir ? Quelle leçon historique est-ce que je veux enseigner ? Je me suis posé ces questions et je voulais également m’inspirer de mes propres expériences. Je suis sorti du placard en 1978. J'ai donc connu l'excitation de danser toute la nuit dans une discothèque, à quel point c'était amusant et à quel point nous célébrions notre sexualité à cette époque. C'était incroyable. Et puis le sida est arrivé peu après, quelques années plus tard. Et j'ai su que je voulais capturer ce moment-là.

    Cette période noire a joué un rôle très formateur dans ma vie. C'est une partie de l'histoire que les gens oublient, et nous l'avons surmontée. Aujourd'hui, j'entends des gens dire : "Notre époque est pire qu’elle ne l’a jamais été". Non, ce n'est pas le cas. Ce n'est pas la période la plus sombre de l'histoire du mouvement LGBT+. Vous pouvez adopter des enfants. Vous pouvez vous marier. Vous pouvez poursuivre votre employeur si vous êtes licencié parce que vous êtes gay. Rien de tout cela n'est arrivé avant ces dernières années.

    Nous nous appuyons sur les épaules des personnes qui ont vécu l'époque de McCarthy, sur les épaules des personnes qui ont traversé la crise du sida. Nous leur devons la vie. C'est pourquoi une partie de moi voulait que cette histoire soit connue mais seulement si elle était bien racontée.

    Jonathan Bailey et Matt Bomer dans Showtime/CANAL+
    Jonathan Bailey et Matt Bomer dans "Fellow Travelers".

    Matt Bomer et Jonathan Bailey sont extraordinaires dans la série. Qu’apportent-ils de plus aux personnages que vous avez écrits ?

    Matt Bomer comprend parfaitement la douleur de son personnage. Il comprend qu'il n'est pas un homme dénué de sentiments. Hawkins Fuller a des sentiments profonds en lui. Il veut juste que personne ne le voie jamais parce que cela l'empêche d'avoir la vie libre qu'il veut avoir. Et je pense que Matt l'a très bien montré à Hawk.

    Ce que Matt peut faire, et je pense que c'est la quintessence d'un grand acteur de cinéma, c'est qu'en bougeant à peine un muscle de son visage, on sait toujours exactement ce que Hawk pense et ressent. Il ne l'exprime jamais. Il ne dit jamais "je pense". C'est toujours un secret. Jonathan a apporté une énergie beaucoup plus nerveuse et un peu plus d'assurance à Tim.

    Les gens sont très ancrés dans leur identité et je pense que c’est important de transcender ça.

    Hawkins et Tim ne sont pas des héros parfaits. Ils ont au contraire beaucoup de défauts. Aujourd’hui, on a tendance à penser qu’une représentation queer à l’écran doit forcément être “positive”, qu’en pensez-vous ?

    Cela fait des années que je me bats avec ça. Et je dis depuis des années, pourquoi ne pouvons-nous pas être comme Don Draper de Mad Men, comme Tony Soprano ou Walter White ? Pourquoi devons-nous toujours être de nobles victimes de l'oppression ? C'est ennuyeux. Ici, il n'y a pas de victimes. Les gens sont très ancrés dans leur identité et je pense que c’est important de transcender ça. Nous avons tous ce groupe de lettres après notre nom.

    Je suis dans LGBTQI bla, bla, bla.” Et si de jeunes acteurs ou de jeunes scénaristes venaient à parler de cela, je leur dirais : "Oui, c'est vrai. Mais sortez cela de votre esprit, cela n'existe pas." Les expériences humaines que nous vivons sont toutes les mêmes, que l’on soit queer ou non. J'ai consacré toute ma vie à la cause des homosexuels et à l'activisme gay, mais je pense qu'en réalité, le meilleur art transcende les identités limitées.

    Fellow Travelers traverse plusieurs décennies. En tant que scénariste, laquelle de ces décennies est votre préférée ou quel épisode avez-vous pris le plus de plaisir à écrire ?

    Le septième épisode, qui se déroule en 1979, parce que c'est l'époque où j'ai fait mon coming out. Et aussi la musique. Donna Summer a été très importante pour moi. Elle est en quelque sorte le thème musical de ma période de coming out. J'ai pris beaucoup de plaisir à écrire cet épisode, et aussi parce que la profondeur du chagrin qu'éprouve Hawk dans cet épisode, je l'ai certainement éprouvé moi-même. C'est l'épisode le plus personnel de la série.

    Ensuite, j'ai vraiment adoré les années 50, parce qu'en tant qu'écrivain, je trouve que la meilleure façon d'écrire est de ne pas divulguer d'informations et de sentiments. C'était une période où, peu importe qui vous étiez, vous ne parliez pas de vos sentiments, Dieu merci. On gardait pour soi une grande partie de ce que l'on était. Et j’ai trouvé ça formidable d’écrire sur ce qui ne pouvait être exprimé.

    Tom Hanks et Denzel Washington dans TriStar Pictures
    Tom Hanks et Denzel Washington dans "Philadelphia" de Jonathan Demme et écrit par Ron Nyswaner.

    Vous avez écrit le film Philadelphia de Jonathan Demme avec Tom Hanks et Denzel Washington. Le film a fêté ses 30 ans. Quel souvenir gardez-vous de ce moment de votre carrière ?

    C'est l'un des grands cadeaux de ma vie. Jonathan Demme a été mon mentor. Il m'a fait entrer dans le monde du cinéma et a changé ma vie. Il y a quelques mois encore, j’étais chez mon massothérapeute. À un moment donné, il a dû me chercher sur Google et m'a dit : "Vous avez écrit Philadelphia". Il a 30 ans. J'ai répondu que oui. Il m'a dit que ce film avait changé sa vie. J'ai répondu : "Comment est-ce possible ? Vous avez 30 ans. Vous étiez un enfant.

    Il m'a raconté l'histoire de son lycée en Amérique centrale. Son professeur de lycée lui a montré le film et il s'est dit : "Je vais m'en sortir. Si Tom Hanks peut jouer mon rôle dans un grand film, c'est que tout est possible.

    Ce film continue de m'offrir ce type de cadeau. Je suis toujours ami avec les personnes qui ont fait ce film. Nous nous voyons encore régulièrement, en petit groupe. J'ai dit récemment à mes acteurs de Fellow Travelers : "Peut-être que dans 30 ans, vous vous réunirez tous comme mes amis de Philadelphia. Je ne serai probablement pas là." Et ils m'ont répondu : "Oh, bien sûr, tu seras là". Je leur réponds que je serai probablement en fauteuil roulant à ce moment-là (rires). Quoi qu'il en soit, Fellow Travelers aura été une expérience tout aussi importante pour moi.

    Propos recueillis par Thomas Desroches le 28 décembre 2023.

    Fellow Travelers est disponible sur myCANAL et diffusée sur CANAL+.

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