Au générique l'an dernier de Notre-Dame, la Part du feu sur Netflix, la comédienne Alice Isaaz décroche, à 32 ans, son premier rôle principal dans une série grâce au drame judiciaire 66-5, diffusé chaque lundi soir sur Canal+ depuis le 18 septembre.
Dans cette Création Originale signée Anne Landois (Engrenages, La Promesse), elle tient le rôle de Roxane Bauer, une jeune avocate d’affaires dans un prestigieux cabinet parisien qui voit sa vie basculer quand son mari, associé du cabinet, est accusé de viol. Ramenée malgré elle dans la cité de son enfance, elle va tenter de se reconstruire en tant qu’avocate pénaliste au tribunal de Bobigny. Et va devoir affronter les fantômes de son passé.
Alice Isaaz nous a parlé de ce personnage complexe, des thématiques très fortes de l'histoire, de son aspect féministe, et de son travail avec la créatrice et les deux réalisatrices de 66-5, qui s'impose plus que jamais comme une série de femmes.
Qu'est-ce qui vous a plu dans 66-5 ?
Alice Isaaz : Beaucoup de choses. Déjà, pour être très sincère, le fait qu'on me propose le rôle principal dans une série Canal+. Je trouve qu'il y a vraiment un gage de qualité dans la Création Originale Canal+. Cette série, je l'ai vraiment vécue comme un cadeau. Ensuite, j'ai aimé ce personnage de Roxane, qui est un très beau portrait de jeune femme. C'est un personnage fort, qui traverse beaucoup de choses. C'était un vrai challenge en tant qu'actrice de l'interpréter parce qu'elle est à un tournant important de sa vie. Elle traverse d'énormes bouleversements. Donc, pour moi, c'était hyper excitant à aborder.
Après, évidemment, il y a aussi le fait que cette série ait été écrite par Anne Landois, dont on connaît les talents de scénariste. Qu'elle soit mise en scène par deux réalisatrices, Danielle Arbid et Karen Ben Rafael, qui viennent du cinéma d'auteurs et qui ont apporté leur patte à 66-5.
Et la dernière chose c'est l'aspect juridique, qu'Anne et les scénaristes ont vraiment abordé par le prisme de la jeunesse. Au départ, quand j'ai lu le scénario, je me suis dit "Est-ce que je vais être crédible dans le rôle d'une avocate ?". Je ne me sentais pas tellement légitime, mais ensuite j'ai assisté à des comparutions immédiates au Tribunal de Bobigny pour me préparer au rôle et j'ai vraiment été frappée par la jeunesse des magistrats, des avocats.
Je crois que c'est assez propre aussi à ce tribunal- là, mais je me suis dit "C'est une réalité". Je pense que c'est important de le montrer à l'écran car, jusqu'à présent, de ce que j'avais pu voir des séries ou des films qui se passent dans le milieu juridique, je trouvais qu'on avait une image un peu plus âgée de ce milieu. Alors, si des jeunes peuvent s'intéresser à cette voie grâce à la série, c'est super.
Le jargon juridique n'a pas été trop compliqué à apprendre et à manier ?
C'est marrant, on me dit souvent "Mais ce n'est pas trop dur d'apprendre tous ces textes ?". Par chance, ce n'est pas là où se situe, pour moi, la difficulté du métier d'acteur. Ce n'est pas tellement sur l'apprentissage du texte, même si c'est vrai que, dans 66-5, il y a beaucoup de termes techniques.
Comme c'était un univers qui m'était totalement étranger auparavant, j'ai vraiment dû tout apprendre et surtout tout comprendre. Et pour ça, heureusement, j'ai été très bien accompagnée par Anne Landois, la créatrice, qui maîtrise très bien le sujet, et par Clarisse Serre, une avocate pénaliste qui a été consultante sur le projet et qui a accompagné Anne dans toute la création de la série. Je m'en suis toujours référée à elles, dès que j'avais la moindre question.
Comme décririez-vous Roxane ?
Je trouve qu'elle représente très bien les jeunes femmes de ma génération. C'est une jeune femme qui est forte, qui a aussi une grande part de sensibilité, qui a de grandes convictions, qui se donne les moyens d'obtenir ce qu'elle veut, qui est carriériste, ambitieuse. Elle ne se laisse pas marcher dessus. Je pense qu'elle peut être un beau modèle pour les jeunes femmes et jeunes hommes qui regarderont la série.
Il y a une vraie dualité chez elle. Elle est née à Bobigny, dans la cité de l'Abreuvoir. Elle y a grandi, elle y a vécu un drame étant jeune. Et malgré tout, elle s'est émancipée de tout ça. Elle en a fait une force. Elle a évolué dans un milieu finalement plus bourgeois parisien. Elle a intégré l'un des plus grands cabinets d'affaires à Paris.
Derrière, même quand sa vie s'effondre, elle rebondit et elle se retrouve à être avocate pénaliste au Tribunal de Bobigny, alors qu'elle n'était pas forcément destinée à cela. Et même, ce n'est pas ce qu'elle souhaitait au départ. Je trouve que c'est un très bel exemple de se dire "Peu importe d'où l'on vient, peu importe si on n'est pas né avec toutes les bonnes cartes en main, on peut y arriver".
Le personnage de Bilal, joué par Raphaël Acloque, que l'on découvre peu à peu au fil des épisodes, résume assez bien ce que Roxane vit, cette perte de repère, cette dualité. Parce qu'elle l'a fui lui aussi, et finalement tout la ramène vers lui. Comment analysez-vous ce lien qui les unit ?
J'ai toujours été un peu fascinée par ces relations amoureuses qui ont un certain goût d'inachevé, dans la jeunesse, dans l'adolescence ou même à l'âge adulte. Et qui parfois rejaillissent comme ça des années plus tard. Qu'est-ce qui fait que cette étincelle renaît ? Ça m'a toujours interpelé.
Alors qu'elle aurait des raisons d'en vouloir beaucoup à Bilal...
C'est vrai, mais je trouve ça hyper juste. C'est ce que j'aime bien dans le personnage de Roxane, ce n'est pas juste une nana forte qui s'émancipe. Elle a aussi ses failles, je trouve ça très réaliste. Dans mon entourage, ça m'est déjà arrivé de dire à des amis "Tu ne peux pas continuer à être avec ce type, il faut fuir", et on se rend compte qu'on ne comprend pas toujours ce qui motive la personne à y retourner. Je trouve que c'est bien d'en parler. Je n'ai pas l'impression d'avoir vu ce genre d'histoire dans beaucoup de films ou de séries.
Pour vous, 66-5 est-elle une série féministe ?
On n'a pas mis de mots là-dessus, de façon aussi claire en tout cas. Mais, oui, pour moi c'est une série féministe parce que c'est l'histoire d'une femme qui évolue dans des milieux quand même très masculins, que ce soit à Paris ou à Bobigny, dans ces deux vies qu'elle peut avoir, dans ces deux mondes un peu différents, ces deux classes sociales différentes.
Dans son cabinet parisien, il y a ces hommes qui la maltraitent, mais elle ne se laisse pas faire. Donc oui, c'est une série féministe dans ce sens-là. Elle sait s'imposer, elle sait s'affirmer et, surtout, elle gagne à la fin, je trouve. C'est elle qui s'en sort le mieux, sans trop spoiler (rires). Et après, dans la fabrication aussi, c'est une série qui a été écrite par une femme, qui a été réalisée par deux femmes, c'est important.
Vous avez senti cette patte féminine justement sur le tournage ?
Je ne sais pas si je ferais tellement la différence entre deux réalisateurs, quels qu'ils soient, par leur genre. Je les identifie surtout par rapport aux artiste qu'ils sont, par rapport à leur personnalité, plus que par le fait que ce soit un homme ou une femme. Après, sur 66-5, je dirais que ça a changé ma manière d'arriver sur le plateau au début. Je pense qu'il y a un rapport de confiance qui se fait de manière plus instantanée avec une femme, qu'on parle plus librement, et qu'avec des réalisateurs masculins ça se fait peut-être plus sur la durée.
Je trouvais aussi que c'était intéressant qu'il y ait un regard féminin sur Roxane, son parcours et tout ce qu'elle vit. Parce qu'en plus de tout ça, elle vit quand même l'accusation de son mari, qui est accusé de viol. C'est quand même un sujet qui peut être difficile à traiter. Même si, en réalité, on n'en fait pas la question de la série. La question n'est pas de savoir si Samuel Bauer est coupable ou non.
C'est plus de savoir comment une jeune femme de 30 ans vit ça, quand elle s'est construit une vie et que, tout à coup, tout s'effondre, tout bascule, que sa vie de femme en dépend, que sa vie d'avocate en dépend. Comment une jeune femme aujourd'hui gère ce genre d'accusation envers son mari ? Qu'est-ce que ça implique dans la vie d'une femme ? Dans ce genre d'affaire, on montre rarement le point de vue de l'épouse de l'homme accusé de viol. On est souvent du point de vue de la victime ou du point de vue de l'agresseur, mais on oublie souvent ces femmes qui sont des victimes collatérales.