Dans la galaxie des auteurs très souvent adaptés à l'écran, Philip K. Dick occupe incontestablement une place de choix. On relève ainsi au moins une dizaine de nouvelles ou romans portés sur grand écran, avec plus ou moins de bonheur d'ailleurs.
A un chef-d'oeuvre absolu comme Blade Runner ou les plutôt solides Minority Report et A Scanner Darkly, s'opposent des adaptations comme Next ou Paycheck qui n'ont pas tout à fait brillées au firmament du 7e Art...
Ecrit en 1962 et couronné l'année suivante par le prestigieux Prix Hugo du Meilleur roman, Le Maître du haut château est l'une de oeuvres de K. Dick les plus célèbres -et lues- dans le monde. Cultissime roman uchronique, il traîne aussi une réputation d'être plus ou moins inadaptable (tout comme Ubik, sur lequel Michel Gondry s'est cassé les dents), tant introspections et sous-intrigues se multiplient. L'auteur pratique même la mise en abîme en créant une uchronie dans l'uchronie. Pas vraiment le genre de choses dont le Hollywood Mainstream raffole, à moins de pratiquer généreux caviardage...
Il faut dire aussi que l'adaptation de ce roman a connu un accouchement très, très difficile. On en parlait depuis 2010. A cette date, la société de production de Ridley Scott, Scott Free, voulait s'en charger, avec la bénédiction de la BBC, qui s'est finalement rétractée. Puis ce fut au tour de la chaîne SyFy de se désister du projet.
La relève a finalement été assurée grâce à Amazon Studios. Et Ridley Scott en tant que producteur exécutif, lequel ne tarissait d'ailleurs pas d'éloges sur l'oeuvre de K. Dick : "Le Maître du Haut Château est l'une des oeuvres de Dick les plus imaginatives et captivantes. Certainement l'une de mes préférées".
Si le projet initial était de créer une mini série en quatre épisodes, puis finalement dix, seul le pilote, scénarisé par Frank Spotnitz (bien connu des amateurs de X-Files) et réalisé par David Semel, a vu le jour dans un premier temps.
Dévoilé aux abonnés Premium, ces derniers devaient ensuite voter pour donner une suite favorable ou non à ce pilote, et transformer ainsi l'essai. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les retours du public comme de la critique ont été très élogieux. L'engouement pour la série, qui a bénéficié d'un large bouche à oreille, a permis au final de développer pas moins de quatre saisons, de 2015 à 2019.
Une uchronie absolument terrifiante
Basé sur le principe de l'uchronie, le roman décrit un univers terrifiant. Soit une réalité alternative, dans laquelle les Alliés auraient perdu la Seconde guerre mondiale face à l'Allemagne Nazie, le Japon impérialiste et l'Italie fasciste.
Après la capitulation des Alliés en 1947, les Nazis occupent désormais une partie du territoire américain, tandis que le Japon en occupe une autre, formant ainsi le Grand Reich Nazi et les Etats Pacifiques Japonais. Au centre, une zone qui constitue un pays vassalisé et exsangue, où les rebus de la société sont expédiés.
L'intrigue se déroule en 1962. Hitler est âgé de 73 ans, et malade. Goebbels et Himmler luttent pour lui succéder à la tête du Grand Reich. Sur le territoire américain, une lutte à mort clandestine s'est engagée pour tenter de résister, impitoyablement réprimée par les occupants nazis et japonais.
Entre ces deux puissances conquérantes, les relations diplomatiques courtoises ne sont que pure façade : l'Allemagne Nazie méprise en réalité leurs alliés japonais, au point de se préparer à les frapper prochainement...
Nous n'en dirons pas plus au risque de vous gâcher les effets de surprise. Bénéficiant d'un soin maniaque du détail, tant au niveau des décors que des costumes, pour plonger au mieux le spectateur dans son atmosphère logiquement très oppressante, la série est portée à bout de bras par une sensationnelle brochette de talents.
La comédienne franco-américaine Alexa Davalos, en résistante malgré elle. Joel de la Fuente, glaçant en impitoyable inspecteur de la Kenpeitai, l'équivalent de la Gestapo japonaise. Brennan Brown, sous les traits d'un antiquaire au rôle clé dans les événements déchirant le pays.
Mais on décernera la mention spéciale à Rufus Sewell, absolument génial et terrifiant sous les traits d'un ancien officier de l'armée US ayant fait allégeance aux Nazis, parvenant à se hisser jusqu'au plus haut sommet de l'état au prix de toutes les compromissions et sacrifices possibles, y compris bien entendu les pires.
Sur la fameuse question "Et si...", dont la réflexion peut facilement être vertigineuse, The Man in The High Castle fait incontestablement parti du haut du panier. A voir absolument !