Dans la galaxie des auteurs très souvent adaptés à l'écran, Philip K. Dick occupe incontestablement une place de choix. On relève ainsi près d'une vingtaine d'adaptations de nouvelles ou romans portés sur grand écran; plus en incluant les séries TV. Des adaptations avec plus ou moins de bonheur d'ailleurs.
A un chef-d'oeuvre absolu et définitif comme Blade Runner ou les plutôt solides Minority Report et Total Recall, s'opposent des adaptations comme Next ou Paycheck qui n'ont pas tout à fait brillées au firmament du 7e Art... A Scanner Darkly, sorti en 2006 et réalisé par Richard Linklater, fait incontestablement parti du haut du panier.
Publié en 1977 aux Etats-Unis et un an plus tard en France sous le titre Substance mort, A Scanner Darkly est l'un des chefs-d'oeuvre de K. Dick. L'auteur l'a d'ailleurs dédié à ses anciens amis toxicomanes, morts ou gardant de cette époque des séquelles à vie. Livre très personnel, en grande partie autobiographique, il met en scène une Amérique glaçante.
L'époque : un futur proche. Le lieu : la banlieue américaine. L'histoire ? le récit tordu et drôle d'une bande d'amis accos à la substance D. Et d'un gouvernement qui détruit allègremment ses citoyens (leurs droits, leurs relations) pour les sauver. Robert Downey Jr, Woody Harrelson, Winona Ryder et Rory Cochrane incarnent ces amis défoncés qui ont une peur bleue les uns des autres et des espions. Keanu Reeves interprète quant à lui un espion qui fait aussi partie de la bande. Jusqu'à ce que ses deux personnalités commencent à se dédoubler...
Dans les références qui viennent à l'esprit concernant les rôles de Keanu Reeves dans les films de SF, la plus évidente est bien entendu la saga des Matrix. Jamais, ou si peu, A Scanner Darkly, dans lequel il se révèle pourtant formidable sous les traits du personnage de Bob Arctor.
"J'adore Keanu. J'avais pensé à lui il y a des années, pour savoir s'il était disponible. Je crois qu'il était pile en plein milieu du tournage de Matrix à ce moment là, et qu'il ne voulait pas refaire de la Science-Fiction. Alors j'ai réessayé en 2004, je le voulais tellement en Bob Arctor !" racontait Linklater dans le making of du film. "En travaillant mon personnage, j'ai essayé avec Richard de trouver la bonne résonnance de chaque rôle, physiquement, émotionnellement, mentalement. Je me suis vraiment appuyé sur le livre" expliquait de son côté le comédien.
Un projet passé de main en main
A l'origine, le scénariste Charlie Kaufman (Eternal sunshine of the spotless mind, Dans la peau de John Malkovich) avait commencé à travailler sur une adaptation de cette nouvelle de Philip K. Dick, avant que le projet ne change de main, pour passer au début des années 90 entre celle du cinéaste Terry Gilliam. Ce dernier pensait lui aussi adapter cette nouvelle au cinéma. Au final, c'est Richard Linklater (Boyhood) qui a (bien) pris le projet en main.
Originalité supplémentaire de l'oeuvre, c'est qu'elle a été animée à partir de prises de vue réelles à l'aide de la technique de la rotoscopie. Les animateurs emploient le logiciel Rotoshop, de la firme Linklater, pour redessiner les personnages et les décors. Un rendu façon Cell Shading étonnant.
"En fait, nous avons réalisé deux films" expliquait le producteur Tommy Pallotta. "Nous avons écrit le script, fait le casting, on a filmé, et on l'a monté, comme une fiction classique. Ensuite, on l'a transformé en film d'animation, grâce au long travail de post production". Un travail qui nécessitera pas moins de 18 mois, là où l'équipe pensait achever ce travail en neuf...
Le livre de Philip K. Dick est plus d'actualité que jamais. A l'âge du Capitalisme de surveillance des masses, où la technologie contrôle et domine tout, jusqu'à nos émotions, l'oeuvre n'est définitivement plus du ressort de la Science-Fiction.
Parfois drôle, souvent dérangeant et fascinant, le film de Linklater en constitue un prolongement idéal, et reste un des meilleurs films de Keanu Reeves. Son colossal bide au Box Office mondial à l'époque, avec moins de 8 millions de dollars au compteur, fut une cruelle injustice. A vous de la réparer !