De quoi ça parle ?
Angleterre, 1924. Femme de chambre chez un couple d'aristocrates, Jane fréquente secrètement Paul, le fils des propriétaires du manoir voisin. Instinctivement, Jane sait que leur différence de milieu, et le futur mariage de Paul avec une autre, vouent leur liaison passionnée à l'échec. Elle se raccroche alors à ces étreintes dérobées comme à autant de futurs souvenirs destinés à nourrir sa plume d'écrivaine en devenir.
Entre prise de pouvoir au féminin et masculinité déconstruite
Après Bang Gang et Les Filles du soleil, Eva Husson revient avec une proposition différente au cinéma : Entre les lignes. Adapté du roman Le Dimanche des mères de Graham Swift, ce film d’époque assez épuré et délicat suit le parcours de Jane, une jeune bonne orpheline dans une petite ville d’Angleterre encore meurtrie par la Première Guerre.
À travers un moment clé de sa vie, impliquant son amant Paul, fils d’aristocrates, le film raconte comment elle a réussi à s’extirper de sa condition sociale pour s’accomplir en tant qu’écrivaine. Appuyé par une réalisation léchée et une esthétique très travaillée, ce drame romantique bénéficie d’une musique troublante et d’un montage extrêmement soigné.
Les acteurs Odessa Young (Assassination Nation) et Josh O’Connor (The Crown), soutenus entre autres par Olivia Colman et Colin Firth mais aussi Emma D'Arcy (House of the Dragon), sont sublimés dans ce récit grâce à de très belles séquences qu’Eva Husson met en forme pour traiter de sujets plus sombres comme la perte, le deuil, la mort et les regrets.
Rencontrée lors de la 74ème édition du Festival de Cannes, la réalisatrice a évoqué les thématiques qu'elle souhaitait traiter avec Entre les lignes :
"J’aime explorer les extrêmes, les limites dans la vie. Donc, c’est à la fois très éloigné de mes deux précédents films et en même temps, c’est un peu les thèmes principaux : l’amour, la mort, l’intimité et comment survivre à la tragédie qu’est la vie.
C’est-à-dire comment nous, petits être humains, faisons-nous pour ne pas s’arrêter et succomber au désespoir ? C’est quelque chose qui me travaille beaucoup."
Avec le personnage de Jane, Eva Husson raconte aussi l'empouvoirement d'une jeune femme "avec des cartes en main au début qui sont extrêmement difficiles" mais qui va s'élever et s'épanouir grâce à sa force de caractère, sa vision de la vie et ses choix déterminants :
"Elle est abandonnée à la naissance, elle est dans un orphelinat, elle est placée comme bonne. À l’époque, être bonne au début du XXème siècle, c’est quand même la garantie d’être exploitée sexuellement.. J’ai lu beaucoup de journaux de bonnes de l’époque. Et elle détourne tout, elle en fait à chaque fois une force. Le système travaille pour elle.
On est dans un système où on se sent complètement écrasé et c'est intéressant de voir un personnage qui utilise le système à ses propres fins. Il y a des manières extrêmement infimes, petites, comme profiter d’un rayon de soleil, profiter d’une page de livre, profiter d’une caresse sur l’épaule ou d’un regard, qui sont d’une douceur extraordinaire.
Et il y a d’autres manières beaucoup plus grandes, c’est-à-dire écrire un livre, avoir une carrière, avoir des prix, je trouvais ça passionnant d’explorer tout ça."
Face à Jane, on retrouve un personnage masculin aussi intéressant qui s'autorise des sentiments et une intimité dans la douceur, contrairement à ses pairs de l'époque. Paul est incarné par Josh O'Connor, qui est l'un des acteurs qui représente le mieux cette masculinité déconstruite au cinéma et à la télévision, et qui en est conscient :
"J'ai l'impression que si je regarde tous les hommes que j'ai joués, ce sont des hommes qui luttent avec leur masculinité ou qui sont aux prises avec leurs émotions et qui essaient de les surmonter.
Il y a un thème récurrent dans ma carrière honnêtement mais je ne pense pas que ce soit conscient. Je pense juste que c'est un phénomène actuel. Et je pense qu'heureusement, ça se passe aussi au cinéma."
Si ces thématiques sont autant mises en avant, c'est aussi grâce à la puissante écriture d'Alice Birch, qui signe le scénario d'Entre les lignes. La scénariste a notamment travaillé sur Lady Macbeth, Dead Ringers, mais aussi les séries à succès Normal People et Succession.
La bande-annonce du film Entre les lignes, actuellement au cinéma :
Propos recueillis par Mégane Choquet le 10 juillet 2021 à Cannes.