Sorti à la fin de l'année 2018, entre deux aventures en prises de vues réelles emmenées par Tom Holland, Spider-Man New Generation n'a rapporté que 384 millions de dollars dans le monde. Mais son rayonnement va bien au-delà des chiffres, puisque le long métrage oscarisé de Peter Ramsey, Bob Persichetti et Rodney Rothman fait figure de petite révolution.
Un peu à la manière d'un Toy Story, toutes proportions gardées. Car là où le film de Pixar a fait basculer l'animation dans le tout-numérique, celui de Sony et Marvel lui fait prendre une forme hybride, au croisement de la 2D et la 3D (avec un soupçon de collage dans Across the Spider-Verse), qui ne s'exprime que par petites touches actuellement.
Mais la sortie toute récente de Ninja Turtles - Teenage Years confirme cette sensation de mutation du cinéma d'animation à l'œuvre depuis maintenant cinq ans. Et que l'on retrouve dans quelques films qui ont su marquer les esprits.
LES MITCHELL CONTRE LES MACHINES
Un temps appelé Déconnectés, le long métrage de Michael Rianda et Jeff Rowe (retenez bien ce nom) a finalement opté pour une traduction française plus fidèle du titre original au moment de débarquer sur Netflix, après avoir été privé de salles par la pandémie de Covid.
Chapeauté par Phil Lord et Chris Miller, les trublions déjà derrière Spider-Man New Generation, Les Mitchell contre les machines ne semble pas bien différent de la majorité des productions grand public en images de synthèse. Au premier abord seulement.
Car il suffit de regarder de plus près les contours des personnages ou les décors de leur folle embardée pour se rendre compte que quelque chose change.
Le rendu paraît plus artisanal, avec des traits qui semblent tracés à la main, tandis que les héros donnent le sentiment d'évoluer sur des peintures ou dessins préparatoires volontairement irréguliers. Comme pour coller avec les imperfections de cette famille haute en couleurs, sur tous les plans, et la volonté de Katie de s'écarter de la norme.
Et appuyer, par l'image, cette histoire de confrontation entre les sentiments et la notion de famille, et le technologie représentée par ces machines qui tentent de renverser le monde. Dans un film nommé aux Oscars, qui intègre les codes de YouTube et Snapchat dans sa narration, et paraît encore plus actuel à l'heure où Hollywood se bat contre l'intelligence artificielle.
LES BAD GUYS
Si Sony Animation n'avait pas vraiment de patte et ne parvenait pas à se mêler à la lutte pour les sommets du box-office, ce n'était pas le cas de Dreamworks. Longtemps vu comme le meilleur concurrent de Pixar, le studio étonne en 2022 avec ses Bad Guys, premier long métrage du Français Pierre Perifel, qui opte pour un rendu plus proche de l'illustration et du cartoon que de l'image de synthèse.
Il faut dire que "le pitch c’était de faire un film de Tarantino mais pour les enfants", selon le principal intéressé, ce qui ne peut se concevoir sans prendre les spectateurs à contrepied. Et pas seulement sur le plan narratif et la musique : l'animation participe au style de l'ensemble, racé à souhait, pour rester fidèle à son modèle.
"Aaron Blabey, l’écrivain [des livres dont Les Bad Guys s'inspire, ndlr], n’était pas un dessinateur à la base et donc ses illustrations sont très simples. On ne pouvait pas les adapter telles quelles. Et je me suis donc mis au travail pour trouver un style d’illustration animé non classique et pas dans la lignée de ce que l’on voit chez Disney ou Pixar ou même chez nous à DreamWorks."
On parlera moins d'influence de Spider-Man New Generation ici. Mais, comme Snoopy et les Peanuts, qui glissait des traits à la main dans les images de synthèse pour conserver l'esprit de Charles M. Schulz, Les Bad Guys participe au mouvement. Et montre que l'avenir de l'animation passe par un mélange des formes.
LE CHAT POTTÉ 2
Une suite que l'on n'a pas vraiment vue venir. Sur tous les plans. Lorsque le premier épisode est sorti, fin 2011, l'idée de remettre le couvert s'est vite présentée. Sans aboutir alors que le conte de la saga Shrek se conjugue depuis au passé. Et puis l'information tombe officiellement en 2019 : le matou revient, et son nouveau réalisateur n'est autre que son ancien directeur d'écriture. Un certain Bob Persichetti.
Est-ce à lui que l'on doit le style visuel du film, dont il n'est plus le metteur en scène lorsqu'il sort en décembre 2022 ? Car c'est ce qui frappe au moment où les premières images sont dévoilées : l'influence notable et criante de Spider-Man New Generation sur le long métrage de Joel Crawford et Januel P. Mercado.
Celle des Bad Guys aussi, avec ce rendu parfois proche de la peinture, qui fait le lien entre la 3D et les illustrations des contes que le récit détourne.
Et c'est sans doute là que l'aura de Spider-Man New Generation sur le cinéma d'animation a été la plus évidente. Car Les Mitchell contre les machines et Les Bad Guys étaient des récits indépendants qui pouvaient plus facilement tenter des choses, là où Le Chat Potté 2 s'inscrivait dans une franchise déjà identifiée sur le plan visuel.
Est-ce une indication que les gros studios vont, eux aussi, participer à cette hybridation (comme Disney avec Wish cet hiver) ? Que l'avenir de la saga Shrek, en passe d'être relancée, prendra cette forme ? Les deux ?
SPIDER-MAN ACROSS THE SPIDER-VERSE
Il n'est pas nécessaire de se creuser longtemps pour percevoir l'influence de Spider-Man New Generation sur Across the Spider-Verse, qui n'est autre que sa suite directe. Avec un autre trio de réalisateurs, certes, mais une continuité visuelle qui donne le sentiment de voir un comic book s'animer sous nos yeux, et quelques nouveautés, chaque monde du multivers visité par Miles Morales ayant son identité.
Bien aidé par le bouche-à-oreille qui a fait grandir l'aura de son prédécesseur (et la sienne par la même occasion), Spider-Man Across the Spider-Verse approche aujourd'hui la barre des 700 millions de dollars de recettes dans le monde. Et il séduit à nouveau le public et les critiques, donc nous ne serions pas surpris qu'il inspire d'autres réalisateurs et studios à l'avenir.
NINJA TURTLES - TEENAGE YEARS
Cette forme d'animation dont Spider-Man New Generation a été le porte-étendard est-elle la meilleure pour adapter un comic book en film d'animation ? La réponse semblait déjà positive en 2018, elle l'est encore plus aujourd'hui. Grâce à Across the Spider-Verse et Ninja Turtles, nouvelle tentative de relancer les Tortues Ninja au cinéma.
Avec Jeff Rowe, réalisateur des Mitchell contre les machines aux commandes, donc ceci explique cela. Et par "cela", entendez : ce parti-pris graphique qui lorgne parfois vers le stop-motion et la pâte à modeler d'Aardman, lorsque des imperfections sont volontairement laissées à l'écran. Et une influence que le metteur en scène reconnaît à notre micro.
"Spider-Man New Generation nous a prouvé que c’est désormais tout à fait acceptable d’avoir l’air différent en terme d’animation. Évidemment, cela a eu une résonance sur tous les artistes qui travaillent dans l’animation depuis des années."
"A chaque fois qu’ils essayaient de produire un film avec une animation de qualité, leurs efforts se retrouvaient broyés au fur et à mesure de l’avancée du projet pour finalement se conformer au style d’animation du studio. Mais dans le cas présent, il n’y avait aucune excuse pour que le film ne ressemble pas à l’idée que nous avions en tête."
Un style qui, là encore, n'est pas qu'une coquetterie car cela colle avec le récit où le côté adolescent (donc imparfait, en formation) des héros est plus que jamais mis en avant.
En revenant au début de l'histoire, Ninja Turtles remet les compteurs à zéro et s'appuie sur le savoir-faire de son producteur Seth Rogen (également co-scénariste et doubleur de Bebop), spécialiste des récits adolescents depuis sa révélation dans la série Freaks and Geeks.
Un titre qui pourrait être celui des aventures de Leonardo, Raphael, Michelangelo et Donatello, qui changent leur carapace avec des personnalités bien distinctes et un humour très référencé. Dans un long métrage qui n'a pas peur d'être sombre ou de trancher avec le tout-venant de l'animation. Et montre que la mutation du genre se poursuit, ce dont on ne va pas se plaindre.