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    Un gangster devenu star du rap en Allemagne : cette histoire incroyable mais vraie est à voir au cinéma
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Musique, violence, immigration... Les thèmes clés de l'oeuvre de Fatih Akin sont réunis dans "Rheingold", étonnant biopic sur une star du rap dont le réalisateur nous a parlé.

    À première vue, l'histoire semble trop incroyable et cinématographique pour être vraie. Car qui d'autre qu'un scénariste aurait pu imaginer le destin de Giwar Hajabi, alias Xatar, criminel et trafiquant de drogue devenu une star du rap en Allemagne ? Sauf que les faits, certes peu connus en France, sont avérés. Et c'est Fatih Akin qui se charge de les raconter dans son nouveau film, le percutant Rheingold.

    Révélé par Head-On il y a près de vingt ans, celui qui a offert à Diane Kruger un Prix d'Interprétation Féminine à Cannes (pour In the Fade en 2017) a trouvé dans ce projet un terrain de jeu idéal. Car la musique, la violence ou l'immigration font partie de ses thèmes de prédilection.

    Et il les accorde dans ce biopic surprenant aux accents mythologiques (grâce à son titre qui renvoie à la légende de l'or du Rhin), dont il nous a parlé avec passion lors de son passage à Paris.

    Rheingold
    Rheingold
    Sortie : 28 juin 2023 | 2h 18min
    De Fatih Akın
    Avec Emilio Sakraya, Mona Pirzad, Hussein Eliraqui
    Presse
    3,0
    Spectateurs
    3,4
    louer ou acheter

    AlloCiné : Avez-vous connu l'histoire incroyable de Xatar lorsqu'il a publié son autobiographie ? Ou la connaissiez-vous déjà ?

    Fatih Akin : Grâce au livre. J'avais entendu quelques histoires avant et cela m'avait rendu curieux, car cela me fascinait. Donc j'ai acheté le livre et je l'ai lu pendant mes vacances en Grèce en 2019. Et les circonstances étaient parfaites, car il a été écrit par un nègre et ce n'est pas un défi littéraire que de le lire. Il se dévore.

    Je me suis alors dit que cela ferait un film intéressant mais je ne comptais pas le faire moi-même au début. J'en ai simplement acheté les droits pour que personne d'autre ne puisse le faire. Je l'ai retiré du marché comme certaines équipes de football le font avec des joueurs. Donc j'avais le matériau, mais je ne savais pas quoi en faire.

    Mais je travaillais sur un autre projet qui ne s'est finalement pas fait. J'ai alors eu besoin de trouver un film à réaliser au plus vite, et je me suis dit que celui-ci serait peut-être facile, car il était question de gangsters. Or j'ai grandi avec eux. Il y avait aussi de la musique, et je connais la musique, j'aime travailler avec. Ça parle aussi d'immigrés, de Kurdes.

    Donc j'ai commencé à travailler dessus. Et c'est là que j'ai réalisé à quel point ce que j'avais entre les mains était vaste, complexe, compliqué, riche, généreux. Et fou.

    On en est presque surpris qu'il s'agisse d'une histoire vraie, vu comme ses thèmes collent à votre filmographie. Ça aurait pu être l'une de vos fictions.

    Oui, elle possède un vrai pouvoir de magnétisme, et je l'ai senti. Il arrive parfois que l'on se lance dans un projet, et que d'autres choses surgissent quand vous commencez à travailler dessus. Mon père est décédé pendant le tournage [le film lui est dédié, ndlr] alors que, dans le scénario et les histoires de Xatar, la relation père-fils n'était pas très complexe. Le père était le méchant, le responsable de tout.

    Après ce décès, lorsque j'ai retravaillé sur ces scènes - car ma relation avec mon père était différente de celle entre Xatar et le sien - j'ai pu introduire dans le film beaucoup de chagrin, de douleur, de souvenirs, d'émotions et de ce que mon père représentait pour moi. C'est donc devenu un film très personnel, qui avait commencé comme un projet plus aléatoire, pour l'industrie. Mais il est devenu très personnel au fil de mon travail dessus.

    J'ai pu introduire dans le film beaucoup de chagrin, de douleur, de souvenirs, d'émotions et de ce que mon père représentait pour moi

    J'ai lu que le projet avait d'abord été développé comme une série.

    Je n'étais pas impliqué à ce moment-là. Quand j'ai acheté les droits du livre et dit à Xatar que je comptais en faire un film, il m'a répondu : "Vraiment ? Fais une série ! Tout le monde en regarde, plus personne ne va pas au cinéma." Mais je lui ai dit que sa vie était un film. Il fallait le voir au cinéma, dans des festivals, même si nous n'en avons pas beaucoup fait car le film n'était pas prêt.

    J'ai travaillé dessus pendant longtemps, et j'ai encore l'impression de le faire car j'ai toujours de soucis avec les droits musicaux. Alors que le film est sorti. Mais des gens viennent me voir pour me réclamer des droits.

    Vous allez devoir faire des changements sur la bande-son ?

    Non, nous allons trouver une solution, même s'il faut payer. Mais le film a été très long à faire. On se disait à chaque fois qu'il nous fallait plus d'argent, de temps, de post-production… Tout était toujours plus et je ne sais pas pourquoi. Mais c'était génial et il a connu un énorme succès en Allemagne.

    Je ne m'y attendais pas. Personne ne s'y attendait. Mais c'est mon plus gros succès. C'est un blockbuster là-bas. Et je ne l'ai pas fait dans ce but. Je l'ai fait car je cherchais mon prochain film, ça n'était qu'une tâche.

    Savez-vous pourquoi les gens ont autant aimé le film ?

    Il y avait beaucoup d'enfants parmi le public. Et c'est une belle chose, quand on vieillit, que d'avoir des spectateurs plus jeunes. J'ai fait Head-On à 28-29 ans, et mon public était surtout composé de quarantenaires et plus, uniquement des Blancs. Aujourd'hui, j'ai presque 50 ans, j'ai fait ce film une vingtaine d'années après Head-On, et je n'ai jamais eu un public aussi jeune.

    Il y a beaucoup d'ados âgés de 16 ans, pas mal d'immigrés. C'est une expérience magnifique, qui vous permet de rester jeune. Quand vos propres enfants aiment votre film, et que vous le sentez. Ils aiment d'autres choses, mais pas comme ça. Là ils disent "Papa a fait un film que tout le monde aime à l'école" (rires)

    Fatih Akin Christophe Clovis / Betsimage
    Fatih Akin

    Ce que Xatar vous a dit, comme quoi les gens ne regardaient plus de films mais des séries, vous le ressentez de faire aboutir un projet ? Est-ce plus compliqué qu'à l'époque de "Head-On" ?

    Tout a changé, mais je ne peux pas dire que ce soit plus difficile. Ça l'a toujours été, et ce sont les difficultés qui changent, comme le marché. Je n'aime pas utiliser ces termes, car je suis un artiste et je ne devrais pas m'en soucier, mais ça n'est plus aussi facile. Surtout que je regarde absolument tout ce que le marché nous apporte.

    Je peux regarder un Nuri Bilge Ceylan et un John Wick le même jour. Et j'aime les deux ! Je ne me dis pas qu'un film a rapporté plus d'argent que l'autre et qu'il est donc meilleur, car ça n'est pas le cas. Mais je reste attentif à ce que chacun peut me dire, m'apporter, m'apprendre. Je continue quand même à croire au cinéma : lorsque Rheingold est sorti, personne ne s'attendait à ce qu'il ait du succès car nous étions après le COVID. Et il a fait plus d'un million d'entrées !

    Tout le monde a été choqué et s'est demandé d'où venaient ces spectateurs. Mais après mon film il y a eu Avatar 2, donc il y a un public. Oui, il y a les platerformes de streaming - et je parle pour les films comme The Irishman ou le prochain de Martin Scorsese [attendu sur Apple TV+ dans certains pays, ndlr], pas les séries. Mais j'essaye de ne pas séparer les films d'art & essai et ceux qui ne le sont pas.

    Il y a des bons films et des mauvais films. Point. Je ne cherche pas à catégoriser un Nuri Bilge Ceylan et John Wick 4 car, pour moi, c'est la même chose : deux bons films. Il y a une élite qui est devenue de plus en plus élitiste, à tel point que je me sens parfois étranger à ce cercle dont je fais pourtant partie. Et, de l'autre côté, cette évasion que l'on retrouve en tête du box-office.

    Il y a beaucoup de raisons de s'inquiéter aujourd'hui, donc les gens cherchent à s'évader. Comme dans les années 1930 : il y avait cette énorme crise économique, et les gens sont allés au cinéma pour l'oublier. Je ne peux pas dire que le public est stupide car je respecte son désir d'évasion.

    Je peux regarder un film de Nuri Bilge Ceylan et un John Wick le même jour. Et j'aime les deux !

    J'ai lu que Xatar n'était initialement pas convaincu par l'idée de vous voir réaliser le film, car il ne vous sentait pas capable de mettre un rappeur en scène. Comment l'avez-vous fait changer d'avis ?

    Il me trouvait trop sophistiqué. Il ne remettait pas mes connaissances musicales en question, mais me disait que j'avais été à Cannes et que je faisais partie de ce genre de cercle, alors que lui était un vaurien, et que je ne saurais pas faire de films sur des vauriens. Mais il avait tort. Je n'ai pas eu à le convaincre sur le plan musical, car le film ne contient pas beaucoup de rap.

    Je voulais faire un film pour un public qui ne connaît pas sa musique, car il devait fonctionner sur lui aussi. Mais lorsqu'il devait être question de musique, je voulais vraiment faire les choses comme eux les avaient faites. Je lui ai demandé comment ils avaient réussi à enregistrer ce disque depuis sa cellule de prison. Il me fallait connaître chacune des étapes.

    Il m'a donné les enregistrement originaux - que j'ai encore sur mon téléphone. Ceux qu'il a faits en prison. Et il m'a raconté comment ils avaient échangé les puces des portables, comment il rappait sur une musique de 50 Cent. C'était vraiment intéressant et j'ai essayé d'être aussi authentique que possible.

    A quel point Xatar a-t-il été impliqué pour parvenir à cette authenticité ?

    Il était présent tous les jours sur le plateau. Et si jamais ça n'était pas le cas, ça n'était pas un bonne journée. Car je peux sentir son univers, mais je ne le connais pas. Si je prends ma montre, par exemple, qui me vient de mon père : elle nous sert à savoir qu'il reste dix minutes d'interview, mais pour Xatar c'est autre chose. Elle représente dix-huit carats, de l'or. Les chaussures sont aussi quelque chose de très différent.

    Je ne le savais pas avant de faire le film, et j'avais donc besoin de lui près de moi, pour savoir si cette voiture, cette langue ou cette musique étaient correctes. Il a donc été toujours là pour m'aider.

    Emilio Sakraya avant et pendant Rheingold Wild Bunch Germany / Pathé Distribution
    Emilio Sakraya avant et pendant Rheingold

    Est-ce qu'il a été impliqué dans le choix de l'acteur qui l'incarne à l'écran ?

    Non. A aucun moment. Je lui ai dit que j'étais conscient qu'il était le sujet, mais qu'il s'agissait avant tout de mon film et qu'il fallait qu'il me fasse confiance, sans quoi nous ne le ferions pas. Et il m'a donné sa bénédiction, en reconnaissant que c'était à moi de choisir. Tous les artistes ne sont pas comme lui, mais il a été très généreux.

    Comment a-t-il réagi lorsqu'il a vu Emilio Sakraya, qui ne lui ressemble pas vraiment ?

    Il était fâché. Il me disait que c'était une blague et que je ne pouvais pas prendre ce type. Mais Emilio est ambitieux, dont il l'a vu comme un défi à relever. Quelques jours avant la sortie du film, l'un de mes amis a vu des gamins qui écoutaient Xatar sur un terrain de basket.

    Quand il leur a demandé s'ils allaient aller voir le film sur lui, ils ont répondu que non, car l'acteur qui le jouait ne lui ressemblait pas. Mais Emilio a convaincu tout le monde. Et il n'y a pas une personne qui a dit que sa performance était mauvaise. Pas une seule. Alors que c'était très difficile.

    Ça nous renvoie aux deux écoles en matière de biopics : d'un côté ceux qui jugent que la ressemblance de l'acteur prime sur son jeu, et de l'autre ceux pour qui il faut avant tout trouver le meilleur interprète. Comme lorsque nous avons eu les films sur Steve Jobs avec Ashton Kutcher et Michael Fassbender.

    Oui, moi je suis de la seconde école. Toujours. Car ce qui compte, au final, c'est l'interprétation. C'est bien de travailler avec des faits réels, mais vous faites avant tout un film, pas un documentaire. C'est plus une adaptation. Il y a des éléments plus importants que le fait que l'acteur principal ressemble, ou non, au personnage. Si vous avez le sentiment que c'est juste, c'est ce qui compte le plus.

    Emilio Sakraya a convaincu tout le monde. Et il n'y a pas une personne qui a dit que sa performance était mauvaise. Pas une seule. Alors que c'était très difficile.

    Quelle est la part de faits avérés et romancés dans le film ?

    La plupart des choses sont vraies et possèdent un fond de vérité. Pour vous donner un exemple : j'ai pris quelques libertés dans l'histoire avec les videurs. Ça ne s'est pas passé comme ça, et il n'y avait par exemple pas de mitraillettes. Mais le but de la scène était de montrer qu'ils n'avaient pas peur et qu'ils aillent voir l'oncle qui gère ce business. Cette partie a vraiment eu lieu, j'ai juste rajouté de l'action et des mitraillettes.

    De même, la dernière scène n'a pas existé, car la fille de Xatar a 4 ou 5 ans aujourd'hui. Mais j'ai une fille de 4 ans, et je me suis dit que la sienne pourrait, un jour, l'interroger sur sa vie. J'ai donc eu l'occasion de me projeter dans l'avenir et en l'interpréter à ma manière, tout en partant du cœur de l'histoire.

    Pourquoi la musique est-elle aussi importante dans votre travail ?

    Parce qu'elle est importante dans ma vie. Je fais tout avec, j'adore la musique. Je ne suis pas musicien, mais j'ai appris à jouer de certains instruments, et notamment de la basse, pour mieux la comprendre. Et le cinéma est, pour moi, un outil merveilleux pour être musicien d'une certaine manière. Car je peux en être un quand je fais un film.

    Je peux utiliser la musique de quelqu'un d'autre, la découper, la placer dans un autre contexte. C'est, en quelque sorte, ma façon de jouer d'un instrument, et cela fait de moi un musicien.

    Pathé Distribution

    Et vous essayez de trouver une musicalité dans les dialogues et le rythme d'une scène lorsque vous écrivez ?

    Bien sûr ! J'écris en musique. J'écoute toujours de la musique quand j'écris, sauf quand je corrige quelque chose qui ne va pas. Mais je travaille souvent sans musique sur des films : je n'en mets pas du début à la fin. La scène où la fille récupère l'enfant dans la grotte n'en a pas, mais le bruit des bombes crée un certain rythme.

    A cause de la musicalité de ces bombardements, l'utilisation de la musique est alors limitée. De même, la scène chez le vendeur de montres est très musicale dans ses dialogues.

    Pourquoi avoir choisi ce titre très mythologique et, d'une certaine manière, très musical aussi ?

    Quand on connaît l'opéra de "L'Or du Rhin" ["Rheingold" en version originale, ndlr], on sait qu'il est question de voler de l'or qui disparaît et devient un mythe. Et cela se passe du côté de Bonn, où Xatar vit. Et lorsque vous vous rendez dans n'importe quel ghetto avec lui, il possède cette aura de personnage mythologique.

    J'ai alors réalisé qu'il incarnait la nouvelle mythologie allemande, et qu'il avait volé de l'or. Donc j'ai voulu réunir cela, car il y avait une puissance qui rappelle aussi Victor Hugo et "Les Misérables".

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 15 juin 2023

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