17 mai, jour d'ouverture de Cannes, une tribune s'échange sur les réseaux sociaux, publiée dans les colonnes de Libération. Son titre ? "Cannes : des actrices dénoncent un système qui soutient les agresseurs".
Alors que le Festival s'apprête à donner le coup d'envoi de ses festivités, avec Jeanne du Barry de Maiwenn en ouverture, les mots de cette tribune retentissent fortement. En préambule, on peut y lire : "En déroulant le tapis rouge aux hommes et aux femmes qui agressent, le Festival démontre que les violences dans les milieux de création peuvent s’exercer en toute impunité. Plus d’une centaine d’actrices et d’acteurs saluent la décision d’Adèle Haenel d’arrêter le cinéma et ne veulent plus se taire."
Une semaine après la publication de cette tribune, AlloCiné a tendu le micro à deux de ses signataires, Louise Chevillotte, présente à Cannes en tant que membre du jury de la Queer Palm, récemment à l'affiche de mon film A mon seul désir, et Swann Arlaud, en compétition avec le film Anatomie d'une chute de Justine Triet.
Pourquoi cette tribune ? Et pour quelles raisons ont-ils souhaité la signer ? Voici leurs réponses.
Louise Chevillotte, actrice : "Cette tribune a été lancée en parallèle d'une nouvelle association d'actrices et d'acteurs, qui s'appelle l'ADA, l'association des acteurices, à l'initiative de 4 comédiennes de cinéma, qui avaient envie de s'interroger sur nos droits en tant qu'artistes - interprètes. Comment se renseigner ensemble sur la législation ? Comment devenir maîtresses des outils en cas de problème ? Trop souvent, il nous arrive des choses, et on ne sait pas du tout comment réagir. Il y a aussi un groupe de parole pour partager des histoires de violence sur des tournages, se dire comment on est poussé au silence."
"Toutes ces choses donnent énormément de courage. Entre nous. Et surtout, pour faire bouger les lignes. On fait venir des avocats, des juristes, des coordinatrices d'intimité... Voir comment dans nos contrats, on peut inclures des clauses, comment on peut associer nos agents à un problème de harcèlement, comment ils seraient tenus légalement de nous protéger de parler... Nous étudions différentes pistes pour la protection maximale des actrices. Si on connait nos droits, on saura d'autant plus se protéger. Et c'est un métier qui est tellement compétitif."
"La tribune n'est pas à l'initiative de l'association. C'est une des actrices de l'association qui nous a lu ce texte, et nous étions toutes assez en colère de ce qui s'annonçait à Cannes, et notamment suite à un article d'Indiewire, avec des propos de [Thierry] Frémaux, disant que si le film de [Roman] Polanski n'était pas là cette année, c'est qu'il n'était pas prêt. A un moment, il faut dire stop. Je trouve ça trop compliqué. Et puis, il y a tous les signaux envoyés par le festival... Se taire, c'est, une fois de plus, être poussée au silence parce qu'on a peur de parler."
Le jury de la Queer Palm 2023, dont fait partie Louise Chevillotte sur le tapis rouge du Festival de Cannes :
"Moi j'allais à Cannes en tant que jurée de la Queer Palm, d'autres allaient en compétition présenter leurs films... Ce Festival appartient à ceux qui font le cinéma, ce n'est pas le Festival d'un homme. Donc c'est très important de se le réapproprier. Le Festival est largement financé par de l'argent public, diffusé sur France Télévisions. C'est un événement d'intérêt commun, et je pense qu'il faut s'en réemparer ici.
Tenir autant de propos anti-féministes, anti #MeToo, qui sont à l'encontre de ce qu'il est en train de se passer en ce moment, c'est une déclaration, c'est un positionnement.
"Je n'ai pas de solution, je dis juste qu'à un moment, il faut entendre la société, il faut entendre les femmes qu'on a trop peu entendu. Tenir autant de propos anti-féministes, anti #MeToo, qui sont à l'encontre de ce qu'il est en train de se passer en ce moment, et à l'encontre d'une société qui veut se réconcilier, je trouve qu'il faut en prendre acte, et se dire que ce ne sont pas juste des phrases dites comme ça. C'est une déclaration. C'est un positionnement. Face à ces positionnement, nous, on dit qu'on est contre. On est très nombreuses... On est de plus en plus nombreuses. Il y en a beaucoup qui ne parlent pas, mais qui sont d'accord. Et on n'est pas du tout fatigués !"
L'impunité est terminée. Les gens vont arrêter de se taire.
Swann Arlaud, acteur : Le gros problème, ce sont les injonctions à se taire. D'ailleurs, on a arrêté préfectoral qui interdit les manifestations. Il y a comme ça, dans le monde du cinéma, des relations de pouvoir, de domination, et des injonctions à se taire. Cette tribune ne dénonce personne nommément. Je ne suis pas pour le tribunal populaire. (...) En revanche, je trouve ça très important de dire : aujourd'hui c'est terminé. L'impunité est terminée. Les gens vont arrêter de se taire. Je dis ça, mais moi-même je ne peux pas tout dire. On ne peut pas tout dire."
"Pourquoi signer ou non ? Si je ne la signe pas, on va dire Tu ne l'as pas signée. Si je la signe, il va falloir que j'en parle. C'est compliqué. On a vraiment ce sentiment de ne pas pouvoir tout dire. Pourquoi ? Parce qu'on a envie de travailler. Donc c'est toujours compliqué de prendre un positionnement politique, quel qu'il soit. Il y aura toujours des gens pour être contre. Mais je trouve ça vraiment très important de dire que l'impunité est terminée. C'est terminé d'avoir des personnes dans des positions de victime qui perdent tout parce qu'ils ont parlé de quelque chose qu'ils ont subi. Ca n'est pas possible."
"C'est aussi une manière de répondre à la lettre d'Adèle Haenel. De dire : On n'oublie pas. e pense qu'il y a quelque chose qui est en mouvement."
Pour lire la pétition
Dans le même temps, un collectif a partagé des photos de collages dans la ville de Cannes, en appui de cette tribune. "Nous, cinéastes et technicien.nes du cinéma, refusons la complicité du milieu du cinéma envers les agresseur·se·s et les harceleur·se·s."