De quoi ça parle ? Un matin, Maureen Kearney est violemment agressée chez elle. Elle travaillait sur un dossier sensible dans le secteur nucléaire français et subissait de violentes pressions politiques. Les enquêteurs ne retrouvent aucune trace des agresseurs… Est-elle victime ou coupable de dénonciation mensongère ?
Une histoire vraie sordide
D’origine irlandaise, Maureen Kearney intègre, en 1987, la multinationale Areva (qui devient Orano en 2018), fleuron du nucléaire civil français, en tant que professeure d’anglais. Elle devient par la suite représentante de la CFDT et se démarque par son engagement très prononcé. En 2012, elle enquête sur des contrats secrets passés entre Areva et la Chine, portant sur des transferts de technologie. Persuadée que les salariés sont en danger, elle s'y oppose farouchement en devenant lanceuse d'alerte, notamment auprès de politiques, ce qui lui vaut de subir de multiples menaces.
A ce moment, Maureen Kearney est agressée par un homme, chez elle, dans les Yvelines. L'inconnu la ligote dans la cave de sa maison, puis la viole et la scarifie (lui inscrivant, avec un couteau, la lettre A sur son abdomen). Mais les enquêteurs pensent que la syndicaliste a simulé cette agression. Ainsi, elle est accusée de "dénonciation mensongère". Elle est dans un premier temps relaxée par le tribunal, puis condamnée à cinq mois de prison avec sursis et 5 000 euros d'amende en 2013. Maureen Kearney fait appel de cette décision et est finalement innocentée, en 2018.
Mais les coupables ne sont pas identifiés... Une sordide affaire qui refait parler d'elle aujourd'hui. Pour la sortie du film La Syndicaliste bien sûr, mais aussi parce qu'une autre femme sort du silence pour témoigner des mêmes sévices qu’elle dit avoir subis en 2006, à son domicile, dans les Yvelines (où elle est ligotée, violée et scarifiée, comme Maureen Kearney). Il s'agit de Marie-Lorraine Boquet-Petit, l'épouse d'un ex-cadre du groupe Veolia licencié après s'être opposé à la création d'une filiale au Moyen-Orient. Là encore, l'enquête est bâclée et aucun coupable trouvé.
La députée Clémentine Autain, de la France Insoumise, évoque un potentiel scandale d'Etat et demande l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur ces affaires.
Naissance du projet
C’est un tweet, dans lequel quelqu’un évoquait le livre de la journaliste Caroline Michel-Aguirre, La Syndicaliste, qui a aiguillé Jean-Paul Salomé vers ce fait divers survenu fin 2012. Le réalisateur s'est alors renseigné et a senti qu’il y avait la matière d’un film :
"J’avais déjà eu envie de faire un film sur une lanceuse d’alerte, autour d’Irène Frachon et du scandale du Mediator, mais ça ne s’était pas fait. Les pressions qu’avait subies Maureen Kearney, 'la' syndicaliste d’Areva, l’agression violente dont elle a été victime étaient puissamment dramatiques."
"On était allé très loin pour la contraindre à arrêter ses investigations... Le parcours de cette femme, sa mise en accusation, sa rédemption, ses moments de doute ou de dépression dont elle triomphe, c’était déjà du cinéma. Peut-être davantage dans la lignée du cinéma politique américain ou italien."
"Il y avait aussi la promesse d’un rôle pour Isabelle Huppert : la sortie de La Daronne venait d’être décalée à cause du Covid, mais l’envie de retravailler ensemble était là. J’ai trouvé des photos de Maureen Kearney et j’ai tout de suite vu la possibilité qu’Isabelle lui ressemble à l’écran."
"Après avoir lu le livre, j’ai appris que le producteur Bertrand Faivre en avait acquis les droits, sans penser à un cinéaste en particulier. Nous nous sommes mis d’accord, et la scénariste Fadette Drouard et moi avons commencé à écrire le scénario", se rappelle le metteur en scène.
Dimension intime
Dans un premier temps, Jean-Paul Salomé a rencontré la journaliste Caroline Michel-Aguirre, en lui disant ce qu'il voulait mettre en avant de son livre. Mais, au-delà des faits, des enjeux politiques et industriels propres à cette histoire, le cinéaste voulait savoir ce que Maureen Kearney avait vécu de l'intérieur, ce qu’avaient traversé ses proches et comment elle s’était reconstruite :
"Il me manquait une dimension intime. C’est ce que j’ai expliqué à Maureen Kearney, quand je l’ai rencontrée, accompagnée de son mari et de sa fille. Je lui ai dit que ce serait ma vision d’un personnage, qu’il nous faudrait, avec Fadette Drouard, imaginer des scènes de famille d’après ce que l’on percevait des rapports avec son mari et avec sa fille. Il fallait nous laisser inventer."
"Il y avait des passages dans le livre qui étaient intrigants : par exemple, un soir au cœur de l’affaire, elle part en voiture dans la nuit, on ne sait pas pourquoi, ni ce qu’elle part faire. Une pulsion de suicide ? Le deal était que Maureen lise le scénario : elle l’a validé, tout en précisant que ce n’était pas tout à fait elle par instants, ou qu’elle n’aurait pas forcément réagi comme ça."
"Mais une très grande partie du film est fidèle à ce qui s’est passé : certains dialogues sont exacts au mot près, notamment ce que l’on entend au cours des deux procès", confie Jean-Paul Salomé.
Souci d'authenticité
Par souci d'authenticité, Jean-Paul Salomé a tourné dans des décors où l’affaire a réellement eu lieu : Bercy, l’hôpital de Rambouillet ou encore le tribunal de Versailles (dans lequel des anciens d’Areva, présents au vrai procès, sont venus en tenue syndicale faire de la figuration).
Isabelle Huppert sur Maureen Kearney
Pour jouer Maureen Kearney, Isabelle Huppert ne s'est pas posé la question de sa culpabilité ou de son innocence. Ce qui intéressait la comédienne était le trouble qu’elle a suscité et qu'elle suscite encore : "Tout au long du film, le parcours du personnage est singulier, depuis le début de son combat jusqu’à la dernière scène, sa déposition magnifique devant la commission de l’Assemblée Nationale. Maureen se bat contre une sorte d’hydre tentaculaire qui la dépasse."
"En même temps, elle se bat aussi pour une chose très simple : sauver des emplois. Elle pourrait lâcher, mais il y a chez elle la volonté farouche de livrer bataille et au fond d’être un personnage plus grand que ce à quoi elle était vouée. C’était une syndicaliste, on ne lui demandait pas de conduire une armée mais elle s’est bâti un petit royaume à la tête duquel elle a décidé de régner et de résister. À l’arrivée, elle est seule contre tous, c’est son côté Erin Brockovich ! Mais ses choix vont la broyer."