De quoi ça parle ?
C'est l'été dans un petit village du sud-est espagnol. Une tempête menace de faire déborder à nouveau la rivière qui le traverse. Une ancienne croyance populaire assure que certaines femmes sont prédestinées à disparaître à chaque nouvelle inondation, car elles ont « l'eau en elles ». Une bande de jeunes essaie de survivre à la lassitude de l’été, ils fument, dansent, se désirent. Dans cette atmosphère électrique, Ana et José vivent une histoire d'amour, jusqu'à ce que la tempête éclate...
El Agua, porté par l'incandescente Luna Pamies, dont c'est le premier rôle au cinéma, nous a donne à voir une histoire de croyance populaire, dont on ne peut dire si c'est une pure fiction ou inspirée de faits réels. Le film séduit dans sa façon d’articuler une dimension documentaire avec du fantastique.
La réalisatrice Elena Lopez Riera explique aimer tout ce qui touche "au surnaturel et aux croyances, comme le mauvais œil, parler avec les morts"*. "Comment introduire toutes ces choses qui appartiennent à d’autres forces venues d’ailleurs dans le concret de la vie ? Tout ce qui est mysticisme et religion m’intéressent beaucoup, comme pratique, croyance ou façon de voir le monde".
Il y a ce besoin absolu de magie et de surnaturel.
La réalisatrice a convoqué le souvenir de livres et de films anciens : "Cela a commencé dans la littérature puis avec le fantastique des films RKO des années 1940 de Jacques Tourneur, comme La Féline (Cat People, 1942) qui joue sur la perception des gens et non sur une réalité extérieure. J’ai construit l’histoire d’Ana de cette manière. On ne saura jamais si cette histoire est vraie, mais dès que pour elle cela devient une réalité parce qu’elle commence à le croire, cela change sa perception, sa vision, et ce surnaturel devient réel. Et puis, il y a ce besoin absolu de magie et de surnaturel propre à cette région très dure à vivre, pour surmonter cela et s’inventer une poésie, un ailleurs, la vie ne pouvant pas être réduite à sa propre réalité."
"C’est une fiction avec laquelle j’ai grandi. J’ai cru ma grand mère car elle me l’a raconté", a expliqué la réalisatrice sur la scène de la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes en mai dernier. La cinéaste Elena Lopez Riera explique avoir "grandi avec ces mythologies, avec cette espèce d’amour-haine de l’eau et tout ce qui va avec".
"J’ai eu la chance d’être élevée par des femmes comme ça et des femmes que j’ai rencontré ", ajoute-t-elle. "La légende existe et elle a été quelque peu modifiée. Des inondations successives, outre les images des animaux morts et les histoires de personnes disparues, je me souviens surtout des récits des vieilles femmes du village qui parlaient de femmes avalées par le fleuve. Selon les croyances locales, elles seraient condamnées à disparaître avec chaque nouvelle inondation. Comme une malédiction qui les poursuit. "
La forme du film est intéressante à plusieurs titres, notamment pour ses insertions de séquences face-caméra avec des femmes évoquant cette croyance populaire. "Pour les femmes dans le film qui témoignent devant la caméra et parlent de la légende, il a d’abord fallu les aider à surmonter leur peur, car je ne voulais pas qu’elles lisent ou apprennent un texte car rien n’était écrit : il y avait un blocage, elles estimaient qu’elles ne savaient pas parler en public, ne se sentaient pas légitimes", développe-t-elle dans le dossier de presse du film. "Je tenais à ce qu’elles racontent la légende comme elles voulaient. La parole les fait grandir et les transforme. On a eu beaucoup de doutes et discussions à ce sujet car il y avait le risque d’interrompre un récit fictionnel. C’est très beau de recevoir cette parole libérée qui se réinvente et se réapproprie un récit. Mon envie de faire des films vient vraiment de là. J’ai grandi avec des femmes qui aimaient raconter des histoires et chérissaient la parole".
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Par ailleurs, les scènes amoureuses entre les personnages de l'héroïne Ana et José sont très belles. El Agua est un premier long métrage à découvrir actuellement au cinéma.
* Citations extraites du dossier de presse du film