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    "J'en ai ras le bol des films bien-pensants !" : Jean-François Richet livre sa vision du cinéma d'action avec Mayday
    Vincent Formica
    Vincent Formica
    -Journaliste cinéma
    Bercé dès son plus jeune âge par le cinéma du Nouvel Hollywood, Vincent découvre très tôt les œuvres de Martin Scorsese, Coppola, De Palma ou Steven Spielberg. Grâce à ces parrains du cinéma, il va apprendre à aimer profondément le 7ème art, se forgeant une cinéphilie éclectique.

    À l'occasion de la sortie de Mayday le 25 janvier, AlloCiné a rencontré le réalisateur Jean-François Richet, qui a dirigé la star de l'action Gerard Butler. Le cinéaste évoque avec passion son travail aux Etats-Unis.

    Après L'Empereur de Paris, sorti en 2018, Jean-François Richet est de retour derrière la caméra avec Mayday, un film d'action porté par Gerard Butler.

    Le comédien interprète un pilote commercial, Brodie Torrance. Ce dernier a réussi l'exploit de faire atterrir son avion endommagé par une tempête sur la terre ferme. Il va découvrir qu'il s'est déposé sur une zone de guerre. Lui et les passagers se retrouvent pris en otage...

    Mayday
    Mayday
    Sortie : 25 janvier 2023 | 1h 48min
    De Jean-François Richet
    Avec Gerard Butler, Mike Colter, Yoson An
    Presse
    3,3
    Spectateurs
    3,5
    louer ou acheter

    À l'occasion de la sortie du film le 25 janvier, AlloCiné est allé à la rencontre de Jean-François Richet. Le metteur en scène livre sa vision du cinéma d'action et évoque son travail aux Etats-Unis.

    AlloCiné : Comment on se retrouve à la tête d'un blockbuster d'action comme Mayday ?

    Jean-François Richet : Les producteurs ont vu mes films, notamment Mesrine et L'Empereur de Paris, puis ils m'ont envoyé le scénario. J'ai accepté sous réserve de pouvoir changer quelques trucs, qui ont été acceptés.

    Après on a plusieurs rendez-vous avec eux, avec Gerard Butler, pour que je leur explique ma vision. On avait la même vision, Butler et moi. Ça s'est fait de façon assez classique, ils aiment bien votre travail, ils ont un film à faire, ils ont pensé à moi.

    J'avais une liberté totale.

    Dans quelle mesure aviez-vous une liberté artistique sur ce projet ?

    J'avais une liberté totale. Une fois qu'on s'entend sur le film et sur le scénario, ils voient les rushes pendant quelques jours et puis si c'est bien pour eux, c'est bon. Il ne faut pas aller à Hollywood en voulant tout révolutionner. Parfois, certains metteurs en scène français, qui ont été écrasés par ce système, avaient la prétention de le révolutionner.

    Il y a un carcan à l'intérieur d'Hollywood mais comme dans toute industrie. C'est à vous de pousser les murs par la suite. Si avec le scénario de Mayday, j'avais fait un film contemplatif, ça se serait mal passé. Mais je n'avais pas d'intérêt à faire ça. Concrètement, on n'a pas le final cut aux Etats-Unis, alors qu'en France on l'a. Toutefois, je suis syndiqué D.G.A. donc j'ai des droits là-bas.

    Gerard Butler Metropolitan FilmExport
    Gerard Butler

    Cela permet aux cinéastes de pouvoir monter et proposer une première version eux-mêmes. Ensuite, les producteurs organisent des projections tests. En fonction du score obtenu, vous êtes le roi du monde ou pas. Dans un film d'action comme Mayday, ils ont fait deux projections tests et ils additionnent ensuite les avis.

    Il ne faut pas aller à Hollywood en voulant tout révolutionner.

    Ils prennent les avis « très bon » et « excellent » et ils font une moyenne. Pour un long-métrage d'action, un très bon score, c'est 72% d'excellent et très bon. Mayday a obtenu 89 %, ce qui est très rare. Donc, à un moment, ils te foutent une paix royale avec ton montage. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne t'envoient pas des notes, que tu peux décider d'intégrer ou pas.

    En général, à la tête des studios, ce sont des gens intelligents. J'ai travaillé avec Lionsgate, Focus Features, et je peux dire que ce ne sont pas des idiots. En général, il y a au moins 50% des notes que je prends en compte car elles sont très intéressantes. Juridiquement, je n'ai pas le final cut, mais dans les faits, pour ce film-là, je l'ai eu.

    S'ils sont contents du film et que c'est certifié par le public de la projection test, ils ne vous embêtent pas. Et surtout, ils n'ont pas envie de prendre la responsabilité de changer quelque chose qui fonctionne. J'ai toujours résisté à l'idée de me lancer dans un film à gros budget car je pensais que j'allais être malheureux. Et puis, quand j'ai lu ce scénario, je me suis dit que ça m'intéressait de faire un film viscéral.

    C'est quelque chose que je n'avais jamais fait. Et ça s'est super bien passé avec Metropolitan sur ce film. Un studio aux USA, c'est comme en France, vous avez des interlocuteurs, on ne bosse pas avec une boîte générique. Si tout se passe bien c'est que les gens qui bossent dedans sont bien.

    Quand j'ai lu ce scénario, je me suis dit que ça m'intéressait de faire un film viscéral.

    Enfin un film d'action à l'ancienne qui sort au cinéma et qui rappelle la bonne époque de Die Hard, vous n'avez pas eu peur qu'on vous dise de le sortir finalement en streaming ?

    Je fais des films pour la salle. Pour l'instant je refuse le streaming. Après ils auraient changé d'avis et ne pas le sortir en salles, je n'aurais pas eu le choix. Mais c'est très intéressant ; hier j'ai reçu un coup de fil du chef de Lionsgate qui m'a exprimé la joie qu'il avait par rapport au score de Mayday, qui a gagné 12 millions en 4 jours aux USA.

    Il m'a dit que c'était le premier film à avoir un tel succès depuis le Covid à part les franchises et les super-héros. Il y a donc de l'espoir pour que ce genre de films puisse encore sorti en salles aux Etats-Unis. Surtout que les frais pour sortir une œuvre au cinéma sont assez conséquents. Pourquoi certains films sortent directement en streaming ou en vidéo ? Car ce n'est pas le même budget de promotion.

    Je fais des films pour la salle. Pour l'instant je refuse le streaming.

    Pour Mayday, je ne sais pas exactement mais je dirais que la promo aux USA, c'est au moins 20 millions. Donc, c'est de l'argent qu'ils doivent récupérer. Quand vous sortez directement en VOD, vous n'avez pas ces 20 millions à récupérer. Ils se font donc de l'argent assez rapidement sur ce genre de films si ça sort en streaming. Pour Mayday, ils y ont cru et à la fin c'est payant. Donc ils sont très contents.

    Mais ça aurait pu sortir en VOD et c'est quelque chose qui m'aurait échappé. Voir un film en salles, ce n'est pas du tout pareil que chez soi. On est devenus des gros fainéants avec le Covid mais heureusement que des gros films font revenir les gens en salles comme Avatar 2.

    En tout cas, c'est vrai que sortir ce genre de film d'action à l'ancienne en salles est presque une anomalie...

    C'est atypique parce que le personnage de Gerard Butler est pratiquement un personnage lambda. Ce n'est pas un militaire, ce n'est pas un mercenaire, ce n'est pas un tueur ou un flic, mais un simple pilote. J'aime bien ce processus d'identification. Et Gerard Butler est un des derniers acteurs qui peut camper un héros « de la classe ouvrière », un « working class hero » en anglais.

    Il est un peu comme Stallone dans Rocky, quand il se lève le matin, il est fatigué, il prend ses œufs, il va courir, il va taper sur la bidoche. Il est un peu à la Mel Gibson aussi. On peut tous s'identifier à lui et il a un potentiel sympathie assez large. C'est à l'ancienne, mais du bon côté de l'ancienne. Et puis on ne va pas se mentir, le cinéma c'est l'art du subterfuge qui fonctionne beaucoup sur l'identification.

    Le personnage de Gerard Butler est un peu comme Stallone dans Rocky, un héros de la classe ouvrière.

    Le choix de faire ce film-là c'est aussi car c'était une œuvre de tripes, c'était viscéral. C'est pas un film bien-pensant. On ne passe pas par toutes les codifications par lesquelles on doit obligatoirement passer en France comme les idéologies. C'est un pur moment de cinéma. Je commence à en avoir ras le bol des films bien-pensants ! Donner des leçons aux autres, ça suffit.

    Gerard Butler et Mike Colter Metropolitan FilmExport
    Gerard Butler et Mike Colter

    Faites juste votre boulot, faites des bons films et on s'éclate. Après on peut rater un film, c'est pas grave, mais au moins ayez la prétention de raconter une bonne histoire ! Ce n'est pas pour rien que je suis parti aux Etats-Unis. J'ai plus de libertés là-bas qu'en France. Ici, pour avoir des financements, il faut passer par : « Est-ce que vous avez le quota de ci, est-ce que vous pensez bien comme ça... » Hey ho, laissez-moi tranquille !

    Je commence à en avoir ras le bol des films bien-pensants ! Donner des leçons aux autres, ça suffit.

    D'une, je vote pour qui je veux et je suis copain avec qui je veux et mes personnages ont le droit d'être des hommes, des femmes, ce qu'ils veulent. On n'est pas obligés de se dire « Ah, là c'est trop stéréotypé pour les femmes, là c'est trop genré pour les hommes. » Laissez-nous tranquilles ! On raconte des histoires ! Comment Shakespeare serait-il jugé maintenant par les décideurs ? On l'enfermerait à double tour ? Ça n'a aucun sens.

    Le choix de faire ce film-là c'est aussi car c'était une œuvre de tripes, c'était viscéral. C'est pas un film bien-pensant.

    Vous pensez que des personnages comme celui de Gerard Butler, qui incarne en quelque sorte une certaine virilité, c'est désormais mal vu ?

    Complètement ! Mais ça ne veut pas dire que ce personnage ne peut pas être viril tout en ayant du cœur. Il peut aussi être fragile. La virilité ce n'est pas un seul bloc. On peut être viril et fragile, le personnage le montre dans le film quand il est contraint de tuer des ennemis. Ce n'est pas facile. Ça reste un film de genre, ce n'est pas une œuvre psychologique.

    Et puis j'ai un certain âge et j'ai été élevé aussi avec ça. J'ai été élevé aussi bien avec Cassavetes qu'avec Stallone, Eisenstein ou Sergio Leone. C'est aussi ça que j'aimerais transmettre aux jeunes générations. Voilà le cinéma qu'on aimait. Il n'y a pas que du numérique dans la vie ou les réseaux sociaux.

    Comment avez-vous travaillé avec Gerard Butler sur le plateau pour construire le personnage ? Comment on gère une star d'envergure internationale, comme vous l'avez fait avec Mel Gibson ou Ethan Hawke ?

    Il ne faut pas partir avec un acteur qui n'a pas la même vision que vous. Sinon, ça sera un cauchemar. Et moi, je ne suis pas là pour souffrir dans la vie. Je peux souffrir pour le résultat d'un film, mais je ne veux pas souffrir par ego ou parce que je me suis trompé. Sur Mayday, Butler est arrivé avant moi, donc si on n'avait pas eu la même vision quand j'arrive dessus, je me serais trompé.

    Une fois qu'on s'entend sur la vision, ça roule. J'ai dit à Gerard qu'ils allaient tous lui dire qu'il est génial, qu'il a raison etc. Moi, je ne serai pas ce mec-là. Je te dirai quand je pense que c'est bon et aussi quand c'est pas bon. Mais pas dans le jeu car les américains le sont toujours dans cet aspect-là. C'est plus sur des points de scénario.

    Mais Butler a toujours été derrière moi. C'est un écossais franc du collier, il ne passe pas par quatre chemins, et moi aussi. Donc c'était super. Je ferais un autre film avec lui avec plaisir.

    Butler a toujours été derrière moi. C'est un écossais franc du collier, il ne passe pas par quatre chemins, et moi aussi.

    La scène où Brodie Torrance essaye de contacter les secours et se fait surprendre par un pirate est très brutale, comment on appréhende une telle scène en tant que metteur en scène ?

    Ça prend beaucoup de temps, des semaines. Je dis aux équipes ce que je veux comme coups, le style de combat que je veux, je leur rappelle que le personnage n'est pas un super-héros. Après il y a une chorégraphie qui se crée, j'en retire des choses, j'en ajoute d'autres...

    Et puis la mise en scène, pour moi, ce n'est pas la caméra. C'est comment je fais bouger un acteur dans un espace donné. Et surtout pourquoi. Qui est dominant, qui est dominé, etc. La caméra est là pour amplifier le mouvement et la motivation de l'acteur.

    On a fait cette scène en plan séquence, c'était plutôt dur. C'était le 2ème jour de tournage et je n'avais que 3 jours pour faire cette scène. Je l'ai fait en une demi-journée. Gerard Butler a fait la première prise, ça a foiré au bout d'un tiers et il était déjà exténué. C'est très physique et on tournait à Porto Rico, il suait à grosses gouttes par 40 degrés.

    Je vais le voir et je lui dis : « J'ai prévu de la découper en 3 mais mon rêve c'est de la faire en 1. Je te donne encore une chance sinon je vais perdre trop de temps et les 3 jours suffiront pas. » Il a dit ok et il l'a réussi en une seule fois. On est ensuite allé voir le moniteur, c'est le 2ème jour de tournage, le producteur est là, personne ne se connaît vraiment.

    Le producteur est archi excité, il trouve ça super, Butler aussi. Et il se rend compte que le producteur n'est pas au courant qu'on l'a fait en un seul plan. L'acteur, le cadreur, le chef-opérateur et moi-même étions les seuls au courant. Le producteur nous dit, « mais vous allez découper dans la scène ? » Et là je lui dis non. Et Gerard m'appuie : « C'est hors de question, ce genre de scène en un plan, ça ne s'est jamais fait à Hollywood.

    Gerard Butler Metropolitan FilmExport
    Gerard Butler

    Il faut qu'on voit que c'est moi qui me bat, c'est une séquence qui va marquer. » Et il avait raison. Et je remercie le producteur de nous avoir suivi car il pensait que le studio allait nous tuer. Et c'est passé. Le producteur a pris le risque car il est mandaté par le studio mais ce n'est pas lui qui met l'argent. Et il a des comptes à rendre. On a tous pris des risques sur ce film d'ailleurs.

    Mayday est certes un film d'action mais l'intrigue prend le temps de se mettre en place de façon très réaliste, notamment le check des pilotes dans l'avion etc, c'était important de coller à la réalité et surtout prendre le temps d'installer les personnages etc ?

    Avant les scènes d'action, il faut qu'on connaisse l'espace, qu'on connaisse le hors champ. Parfois, les réalisateurs oublient le hors champ. Et en général ce ne sont pas des bons. J'aime que, dans une séquence d'action, on sache ce qui se passe autour. Ce qui est dur, c'est de ne pas le présenter comme dans n'importe quelle série TV.

    C'est à dire plan large et ensuite on resserre, c'est ennuyant. Ils font tous ça dans les séries. Il faut faire un mélange de plans moyens et de gros plans et petit à petit on construit dedans, comme un puzzle. On construit l'espace et une fois que c'est fait, boum ! On peut y aller dans l'action.

    Il y aussi plusieurs scènes de fusillade assez intenses, quelle a été votre approche sur ces séquences afin de les rendre les plus lisibles possibles, comme dans un avion, un espace étroit ?

    On a tourné avec un vrai avion mais on a d'abord travaillé avec des maquettes pour que tout le monde puisse comprendre les enjeux. Notre métier en tant que metteur en scène, c'est surtout de faire en sorte que les techniciens puissent te comprendre. Et pour qu'ils puissent comprendre il faut que ce soit très clair dans ta tête.

    C'est des semaines de travail tout ça avec des maquettes, dessins, story-boards... J'aime pas les story-boards, car on ne fait pas de la BD et on oublie le hors champ, mais ça aide pour se faire comprendre et clarifier les choses pour les techniciens. Pour les scènes de fusillades, c'est un vrai puzzle, il faut vraiment avoir déjà le montage dans sa tête.

    Evan Dane Taylor Metropolitan FilmExport
    Evan Dane Taylor

    Comment avez-vous créé l'impressionnante scène du passage de l'avion dans l'orage ?

    On a fait ça avec le plus de prises de vues réelles possibles. Tout ce qui est à l'intérieur de l'avion est vrai. Après, on a un avion dans la tourmente donc on était obligés d'avoir des effets spéciaux. Mais globalement, dès que je peux m'en passer, je m'en passe. J'ai refusé qu'on ait l'impression que les intérieurs aient été filmés avec une caméra placée à l'extérieur.

    Après il y a des plans de l'avion à l'extérieur pour resituer le truc, car j'ai voulu le filmer comme un personnage. C'est dur à Hollywood, en temps que metteur en scène, de ne pas faire le malin en cherchant à faire LE beau plan. Je n'aime pas, pour moi ça signifie que tu as raté ton film.

    Vous travaillez déjà sur votre prochain projet ?

    Je ne peux pas en parler avec les acteurs encore car ce n'est pas signé, mais je suis parti sur un autre film.

    On va tourner en Europe de l'Est, ça sera un long-métrage américain avec une actrice française et un comédien de renommée internationale. Le scénario est incroyable, je pars en repérage fin février. Si tout va bien, on tourne en juillet-août.

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