Dans Nostalgia, en salles le 4 janvier, on fait la connaissance de Felice, campé par Pierfrancesco Favino. Ce dernier retourne dans sa ville natale : Naples. Il redécouvre les lieux, les codes de la ville et un passé qui le ronge.
Nostalgia a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2022. Le réalisateur Mario Martone connaît bien la croisette puisque Théâtre de guerre y a été présenté dans la section Un Certain Regard en 1998. De même, L'Odeur du sang a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2004.
À l'occasion de la sortie du long-métrage en France, AlloCiné a rencontré son acteur principal, PierFrancesco Favino, superstar en Italie. Le comédien, qui a déjà tourné des films en France, s'exprime parfaitement dans notre langue.
AlloCiné : Vous parlez très bien le français...
Pierfrancesco Favino : J'ai pris des cours à Rome et puis j'ai des amis en France. C'est facile pour moi d'apprendre les langues, c'est une passion que j'ai.
Nostalgia dégage une ambiance très mélancolique, notamment à travers votre personnage, Felice. Avez-vous accepté ce rôle car cette atmosphère se rapprochait de votre personnalité ou pas du tout ?
C'est un état d'âme qui me plait mais je ne suis pas vraiment un mélancolique. Le film est basé sur un roman et quand je l'ai lu, ça m'a beaucoup plu. Quand Mario Martone m'a proposé le rôle, je lui ai dit que je me sentais proche de ce récit.
J'ai ressenti une affinité particulière avec ce personnage mais je ne me sens pas particulièrement nostalgique ou mélancolique. Il faudrait demander à ma femme, elle dira sûrement que je le suis (rires).
Felice est très taiseux, il ne parle pas beaucoup...
J'adore ce genre de personnage. J'aime le fait qu'un acteur puisse raconter une histoire sans forcément avoir besoin de parler. Ça me plait car les yeux ou le corps peuvent en dire beaucoup plus que des mots.
Naples est comme une ville figée dans le temps et vous déambulez beaucoup dans ces rues. Qu'avez-vous ressenti en tournant à cet endroit ?
Trois mois avant le tournage, Mario Martone m'a emmené à Naples pour s'y promenter, s'imprégner de l'atmosphère. Il fallait qu'on sente les odeurs, qu'on découvre les sons de la ville, et c'était très fort.
Mais il est vrai que la Sanità est un quartier très particulier de Naples. Il n'a quasiment rien à voir avec l'image qu'on a de Naples. On ne voit pas la mer, on ne voit rien, on ne voit que les pierres, le béton, la terre. Et c'est fort car cet endroit est comme un labyrinthe. On adore s'y perdre et se laisser porter par l'ambiance des rues.
Felice a quitté Naples pour le moyen-orient, par conséquent il parle arabe. Vous avez étudié la langue ?
J'ai étudié un peu l'arabe en effet, je trouve que c'est une culture incroyablement poétique. Les racines arabes et napolitaines se croisent, ce n'est pas étonnant car les arabes ont colonisé et occupé le sud de l'Italie.
En tout cas, c'était intéressant de se plonger dans un personnage qui a construit sa vie pendant 40 ans avant de revenir. Là, il retrouve ses racines dans les odeurs, dans tout ce qu'il voit et qu'il avait oublié. Il regagne aussi une certaine énergie qu'il avait quand il était adolescent.
On retrouve cette énergie dans sa relation avec Oreste, son ancien ami...
En effet, et du point de vue de Felice, c'est une amitié qu'il a abandonné quand il avait 15 ans. C'était une amitié pure, presque plus forte que l'amour. Felice croyait vraiment que leurs coeurs n'avaient pas changé. Mais la vie fait que tout cela évolue et c'est ça qui peut tout changer dans une histoire.
Felice a aussi une belle relation avec le prêtre qui s'occupe des jeunes du quartier...
Ce personnage est basé sur un vrai prêtre, Antonio Loffredo, que j'ai connu. Les jeunes dans le film sont pour la plupart ceux avec qui le padre travaille chaque jour. Francesco Di Leva, qui incarne le père Luigi Rega, connaît aussi très bien le prêtre Antonio.
Ce dernier m'a vraiment fait découvrir une partie du monde que je ne connaissais pas. Je suis resté en contact avec ce monde-là car ça m'a redonné de l'espoir. Même si on est entourés par la violence, on peut s'en sortir et faire des belles choses.
C'est vrai que ça fait écho parfois à l'ambiance de Gomorra...
Oui, mais dans Gomorra, surtout la série, il y a un côté un peu glamour. Ici c'est totalement différent et Mario Martone a très bien dépeint la vie de ces gens.
On ne peut pas dire que le criminel Oreste est un héros. C'est très important pour les jeunes car si vous allez à Naples, vous verrez que beaucoup d'entre eux veulent ressembler aux héros de la série. C'est à nous de montrer des modèles différents.
Il y a aussi une très belle scène entre Felice et sa mère, où il la lave. Comment l'avez-vous appréhendé ?
La séquence était déjà très bien écrite. On a aussi beaucoup parlé avec le réalisateur et j'ai surtout été très aidé par l'actrice, Aurora Quattrocchi. Elle était incroyablement à l'aise, beaucoup plus que moi. De mon côté, j'étais particulièrement ému car c'est rare que ce genre de scène intime soit raconté avec autant de grâce.
Il y a un vrai rituel dans cette séquence, avec la lumière, les prières... À la fin, on était tous émus et très respectueux du moment. Et ça, c'est quelque chose qui parle à tout le monde. Peu importe d'où l'on vient, on comprend la relation unique et rare qui lie une mère et son fils.
J'aimerais revenir sur votre carrière, très riche. Vous avez notamment tourné aux Etats-Unis, que retenez-vous de cette expérience ?
Ça m'a plu mais je n'ai jamais vraiment rêvé d'avoir une carrière aux Etats-Unis. Tout s'est fait plus ou moins par hasard. Je ne pourrai pas vivre aux USA, je me sens un homme européen, profondément. J'appartiens aussi profondément à ma culture italienne, et je me pose beaucoup de questions autour de ça.
Il y a un certain cinéma américain que j'aime beaucoup, mais c'est rare d'avoir un personnage italien qui n'est pas un cliché. Je déteste le cliché de l'italien dans les films américains et je fais tout ce que je peux pour l'éviter. On peut être un acteur heureux sans être forcément reconnu par le monde entier.
En tant que spectateur, depuis 4 ou 5 ans, je ne regarde quasiment que du cinéma européen. Et je suis très content d'appartenir au cinéma italien et de l'Europe. Mais si demain une nouvelle proposition venait des Etats-Unis, je serai content.
Vous accepteriez de jouer dans un Marvel ?
Ces films traitent pas mal de la mythologie avec la présence des Dieux, ça m'amuse beaucoup de les regarder, que ce soit Marvel ou DC. Je ne ferme pas la porte, pourquoi pas jouer dedans. Mais je sais que j'appartiens à une mentalité différente.
Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération de cinéastes italients comme Gabriele Mainetti (Jeeg Robot, Freaks Out) ?
J'aime beaucoup ces films, Mainetti fait du grand spectacle sans oublier l'aspect local. Car on a des choses à dire en Italie. Je n'aime pas faire la distinction cinéma d'auteur, cinéma populaire etc. Ce sont des différences que je ne comprends pas trop. J'aime quand Mainetti s'amuse avec les genres sans perdre la racine italienne de ce qu'il raconte. C'est une chose rare.
On a pas mal de jeunes réalisateurs qui commencent, qui font des choses intéressantes, qui racontent notre culture. Par exemple, j'ai beaucoup aimé Settembre, d'une réalisatrice qui s'appelle Giulia Louise Steigerwalt. Elle est écrivaine, c'est son premier film. Elle apporte vraiment une certaine nouveauté dans le cinéma italien.
Je pense aussi aux frères D'Innocenzo, qui sont excellents. Mais on a aussi Paolo Sorrentino, Matteo Garrone. Et les jeunes sont là aussi mais il faut simplement être curieux. C'est pareil en France, il y a une énergie française que je connais peu et que je voudrais connaître.
Vous évoquiez les réalisatrices, avez-vous la sensation que c'est plus compliqué pour les femmes d'accéder à la réalisation au cinéma en Italie ?
Je viens de tourner deux films avec deux réalisatrices. Je pense qu'il ne faut pas juger selon le sexe de la personne qui réalise, il y a des bons films et des mauvais films, peu importe qui le met en scène. Ce qui fait la différence, c'est le travail. Je viens de tourner un film avec Francesca Archibugi, Le Colibri, et je crois qu'au final, c'est le talent qui fait la différence.
C'est aussi l'histoire qui compte. On ne décide pas de tourner un film avec quelqu'un uniquement en raison de son sexe. Hommes ou femmes, nous sommes des artistes, le sexe importe peu.
Quel regard portez-vous sur la puissance des plateformes comme Netflix ?
De mon côté, j'essaie de privilégier le cinéma. J'ai déjà travaillé avec Netflix sur la série Marco Polo aux USA. C'était une expérience intéressante mais je trouve que les séries ont poussé le cinéma à se challenger. Elles ont apporté des choses intéressantes du point de la structure, sur la façon de raconter les histoires.
En Italie on a un gros problème, on n'a pas votre chronologie des médias. Et je trouve ça dangereux, j'aimerais qu'il y ait une vraie fenêtre de diffusion au cinéma avant que le film ne soit disponible en streaming, au minimum 90 jours.
Je dis cela car je ne veux pas qu'on nous enlève la possibilité de voir une oeuvre tous ensemble en salles. Qu'on ne pense pas à promouvoir cette idée de communauté, politiquement, ça me fait peur. Si le film est disponible dans ton canapé une semaine après sa sortie en salles, ça ne va pas inciter les gens à se rendre dans les salles.
Vous avez tourné deux fois avec Stefano Sollima, ACAB et Suburra, vous avez une relation particulière avec ce cinéaste ?
Je viens de terminer un 3ème film avec lui, Adagio. Je donne la réplique à Toni Servillo, Valerio Mastandrea, Adriano Giannini. Stefano, c'est comme mon frère, on se comprend simplement en se regardant. J'aime beaucoup travailler avec lui car il n'a pas de limites, c'est le seul réalisateur punk qu'on a en Italie.
Dieu n'existe pas dans son cinéma. C'est quelqu'un qui aime repousser les limites, mais joyeusement. Avec lui je peux oser tout ce que je veux, plus qu'avec n'importe qui d'autre. Je lui fais une totale confiance, on se comprend facilement et j'aimerais encore travailler avec lui. On s'amuse beaucoup sur le plateau avec Stefano.