Les films de Luc Besson ont comme principale qualité d'être d'une grande maîtrise formelle. Sur ce point, on peut reconnaître l'esthétique de « Léon ». Les images impressionnent. Les scènes d'action sont haletantes. C'est à cause de cela qu'on ne remarque pas la terrible incohérence du scénario. L'intrigue repose entièrement sur un ressort scénaristique improbable. Je ne l'ai remarqué qu'après plusieurs visionnages. La faute en revient a cette mise en scène virtuose et efficace. Elle a étouffé et dissimulé l'aberration du script.
En règle générale, un film débute avec un premier acte qui présente les protagonistes. Puis, il y a un élément déclencheur qui met en branle l'histoire. Ici, on fait la connaissance d'un tueur à gage, solitaire et analphabète, ainsi que d'une jeune fille en détresse. Tout bascule quand la famille de la gamine se fait trucider. À partir de là, elle n'aura qu'un seul objectif tenace : venger la mort de son petit frère. C'est à ce moment précis que plus rien n'est plausible. Lorsqu’on voit le film une première fois, on se dit : « Ce carnage est un règlement de compte entre malfrats. Rien de plus. »
Le méchant, joué par Gary Oldman, est un flic. Lui et ses équipiers sont des policiers véreux et corrompus. Tous, ils massacrent cette famille à cause d'un contentieux. Le père est accusé d'avoir mis de côté un peu de came. Comment le responsable de la tuerie explique et justifie le carnage ? Il parle d'une descente de police qui aurait mal tourné. En revoyant le déroulé de la séquence, on se dit qu'on se fiche bien de nous.
Armé d'un fusil à pompe, le vilain policier défonce la porte de l'appartement après avoir ingurgité une drogue. Il s'élance à l'intérieur et se laisse guider par le rythme d'une symphonie de Beethoven. Il tue une bonne femme qui se prélasse dans sa baignoire avec une serviette sur les yeux. La pauvre n'a rien vu venir. Dans le salon, il abat une grosse qui fait de l'aerobic devant la télé. Il surgit et la flingue par derrière. Le père n'est que blessé. On le voit ramper au sol, tandis que le flic fou furieux lui loge au moins cinq balles dans le dos. Le pire arrive quand le gamin tente de fuir alors qu'il était planqué sous un lit. On ne lui laisse aucune chance. Il y passe à son tour. Pareillement, il est dégommé comme au balltrap. N'oublions pas le gag. Sur le palier, une petite vieille, en robe de chambre et en bigoudis, sort pour savoir pourquoi il y a autant de raffut. Le flic n'hésite pas à tirer en sa direction. La grand-mère demeure amorphe, nullement impressionnée. Un collègue s'excuse en disant : « Ne vous inquiétez pas, on est de la police. C'est une opération de routine. ». Il prend son chef en aparté et lui dit de se calmer, genre : « Respire bien ! Sous relax ! Ne te laisse pas trop prendre par cette montée d'adrénaline. Garde le contrôle. ».
De ce massacre, il découle tout le reste du film. Ce qui s'est produit, on nomme cela une bavure. Dans aucun pays au monde, aucune justice ne pourrait tolérer un tel manquement. Aucun flic ne serait en mesure d’éviter les emmerdes juste en arguant : « La situation a dérapé et tout a dégénéré. ». Systématiquement, il s'en suit une investigation rigoureuse. Il est important qu'on établisse dans quelle circonstance exacte et précise a eu lieu les faits. Il est impossible qu'on laisse impuni un tel déchaînement de violence gratuit et non justifié.
De toute façon, dans ses productions, on voit bien que Luc Besson tient peu en estime les flics. L'exemple flagrant est la franchise « Taxi ». Pour ce qui est de Léon, il s'est sans doute dit : « Ils sont trop bêtes et incompétents. Disons qu'ils ne pigeront rien. ».